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A Lens, colons et colonisés se font face

  Culture & Loisirs, #

"Homme blanc - Homme noir", à la Fondation Pierre Arnaud, met en lumière les regards croisés des Africains et des Européens, du XVIe siècle aux années 1960. L'exposition n'escamote pas les ambiguïtés de l'époque coloniale

Une tête de Jeune fille Gpara, taillée dans une pierre claire par une artiste blanche, sert d'ambassadrice à l'exposition estivale de la Fondation Pierre Arnaud, à Lens en Valais. Métisse, l'exposition suit l'évolution des relations entre Européens et Africains, depuis qu'au XVe siècle les navigateurs portugais ont installé des comptoirs le long de la côte ouest de l'Afrique, jusqu'à la production d'artistes et d'artisans à une période récente, en passant par les excès et les ambiguïtés de l'époque coloniale. Dans un souci de vérité, indispensable lorsqu'on procède à une telle confrontation, le parcours n'escamote pas le type de pièces ouvertement racistes qui suscitent le malaise et une espèce d'indignation rétrospective, alors que d'autres propositions dénotent une attitude qui oscille entre crainte et émerveillement, dédain et désir de comprendre, et, du côté africain, un regard lucide et pas mal d'humour.

Le sujet touche à la psychologie, à l'ethnographie et à l'histoire des mentalités. Le choix d'une approche fondée sur l'histoire de l'art permet de le traiter en se plaçant sur un terrain sinon neutre, du moins entouré d'une aura d'intouchabilité. Auteur de la sculpture qui figure sur l'affiche, Jane Tercafs (1898-1940) n'a eu de cesse d'exercer son sens critique vis-à-vis du comportement des missionnaires et des colons. S'étant immergée dans le quotidien des femmes à la période du Congo belge, elle a réalisé des portraits qui allient beauté classique et respect de l'individu. Loin, bien loin de l'affiche pour le chocolat Banania et son slogan, "Y'a bon", et de cet automate-présentoir pour du cirage, objet caricatural et dégradant.

Les pièces les plus belles et expressives, qui remontent aux "premiers contacts", dialoguent avec les approches ponctuelles de peintres tels que Géricault et Chassériau, ou encore Vallotton, qui évoque la participation des soldats sénégalais à la Première Guerre mondiale. La manifestation offre une vitrine à des peintres et dessinateurs africanistes par trop négligés (Alexandre Iacovleff, Albert Brenet, Pierre de Vaucleroy) et aux sujets inédits de sculpteurs africains, dont la fantaisie et l'inventivité séduisent dans leur représentation des missionnaires et autres Toubabs - statuettes souvent déconsidérées en tant que production pour touristes. La page des expositions coloniales, et de leurs "zoos humains", n'est pas sautée, elle est contrebalancée dans une certaine mesure par cette manière kaléidoscopique de scruter, de part et d'autre, les différences, mais aussi les correspondances et les affinités.

Par-ci par-là, des images ravissantes rappellent que le pouvoir d'admiration et même d'affection, chez l'être humain, n'est jamais tout à fait en sommeil. Tel ce pastel créé dans l'entourage de la pastelliste Louise Vigée Le Brun, où une Femme Ourika, héroïne d'un roman de Claire de Duras au début du XIXe siècle, arbore, outre des détails vestimentaires significatifs, une expression très touchante. (Ce tableau, nous dit-on, est resté dans la famille du chevalier de Boufflers, qui fut gouverneur du Sénégal.) On découvrira également un rare modèle anatomique, en bois de tilleul, ainsi que de superbes photographies de Casimir Zagourski.

Il serait malvenu de parler de versant africain de l'exposition, tant les œuvres se font écho et cohabitent, somme toute, en bonne harmonie. A Lens, les statuettes, les fétiches et autres figures nées en Afrique même constituent la part du lion. L'occasion de redresser un peu l'image qu'ont eue, et qu'ont répercutée plus loin, les artistes découvreurs, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, d'un "art" primitif, où il eût été plus judicieux de parler de pratiques rituelles, en ce sens fonctionnelles plutôt qu'esthétiques. La fréquentation des Blancs, dotés de cet attribut du pouvoir qu'incarne le casque colonial, a amené les indigènes à figurer les administrateurs, les militaires, les missionnaires, en les dédramatisant au moyen de la satire, et en recourant à leur propos à un certain réalisme, absent de la statuaire traditionnelle.

Beaucoup de ces artistes sont restés anonymes, d'autres sont connus et même reconnus, en particulier le Nigérian Thomas Ona Odulate, qui évoque la société anglaise, et le Ghanéen Osei Bonsu, qui associe uniforme colonial, visage anguleux et scarifications. Auteur d'une surprenante pièce en bois conservée à Neuchâtel, Mouhlati a signé des groupes qui évoquent l'interaction d'un père et de son fils, ou cette vision d'un Léopard dévorant un Anglais (vers 1896). Le face-à-face de l'homme, impavide, sans doute terrorisé, et de la bête au "visage" gentil se révèle efficace, dans le registre de l'humour noir. L'art africain d'aujourd'hui puise son inspiration dans ce passé encore récent du colonialisme, mais aussi dans le spectacle de la rue et dans les mass-médias. Certains plasticiens, peintres en particulier, parviennent, hors tendances, à s'imposer sur la scène internationale - mais ce n'est pas le propos de l'exposition de cet été à Lens.

Homme blanc - Homme noir, Fondation Pierre Arnaud (route de Crans 1, Lens. Tél. 027 483 46 11). Me-di 10-19h. Jusqu'au 25 octobre.



Source : www.letemps.ch


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agatha
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