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Alain Mabanckou: "Au Congo, Ali est venu conforter notre africanité"

  Evènement, #

L'écrivain franco-congolais Alain Mabanckou, installé depuis quatorze ans aux Etats-Unis, où il enseigne la littérature francophone à l'université de Californie-Los Angeles (UCLA), revient sur la disparition de Mohamed Ali et ses liens avec le continent africain.

 

Vous vivez aux Etats-Unis depuis de nombreuses années. Quel est l'impact de la mort de Mohamed Ali ?

C'est un séisme, et c'est le seul événement qui a pu reléguer au second plan les propos extrémistes de Donald Trump. Ali apparaît comme le grand chaînon qui facilite une unité nationale, même si celle-ci est à repenser tous les jours : l'Amérique est encore victime de ses propres démons et de ses principes "multiculturalistes", louables mais qui ne font pas l'économie des regroupements identitaires. Et donc de perpétuels clashs.

Quel regard portiez-vous sur Mohamed Ali lorsque vous étiez enfant, au Congo ?

Je l'ai découvert en même temps que la télévision, à l'âge de 9 ans. C'était en 1974, lorsqu'il est venu combattre George Foreman au Zaïre, lors du "Rumble in the Jungle". Pendant deux jours, avec mes parents, nous avions parcouru en train les 512 km qui séparent Pointe-Noire de Brazzaville pour pouvoir regarder ce combat à la télévision sur une chaîne émettant depuis Kinshasa. Le public congolais des deux rives se reconnaissait en Ali parce qu'il clamait son identité, affirmait haut et fort sa fierté d'être africain. Il avait réussi son émancipation, pensions-nous, à travers ses changements de nom et de religion. A l'opposé, George Foreman était arrivé en Afrique avec un gros chien. Il représentait à nos yeux l'Occident, et notre rêve était de le voir perdre. Nous étions donc derrière Ali, et nous chantions : "Ali bomayé !" c'est-à-dire "Ali, abats-le !" J'ai raconté cet épisode dans mon roman, Demain j'aurai vingt ans [éd. Gallimard, 2010].

Qu'est-ce que ce combat a défini des rapports entre l'Afrique et Mohamed Ali ?

Nous étions fiers de voir ce combat se dérouler sur le continent. Bien sûr, il était orchestré par un dictateur, Mobutu, qui avait mis de l'argent sur la table. Mais il faut rappeler que, dans les années 70, le Zaïre était régi par ce qu'on appelait "la politique de l'authenticité". Il s'agissait d'un retour aux traditions et aux cultures africaines et du refus des éléments qui pouvaient symboliser l'Occident colonial. A l'époque, au Zaïre, il était interdit de porter la veste occidentale et la cravate. On portait une tenue locale nommée abacost (un nom dérivé de "à bas le costume"). Les photos de Mohamed Ali au Zaïre le montrent portant l' abacost. Il venait ainsi conforter notre africanité. Il se disait chez lui en Afrique, ce qui dans ces années 70, quelques années seulement après les indépendances, faisait écho à la nécessité pour les Etats africains de galvaniser les populations. Voir un si grand personnage, connu dans le monde entier et rencontrant un tel succès, valoriser ainsi l'Afrique nous rendait heureux d'être africains.

Mohamed Ali faisait l'apologie du corps noir et de sa beauté. Quelle résonance cela a-t-il auprès de vous ?

Il était dans la ligne du mouvement "black is beautiful". Avant certains combats, Ali s'exhibait avec son peigne pour se coiffer en public, avant de dire : "Je suis beau et prêt, on peut y aller." En tant qu'Africains, l'entendre insister sur sa beauté nous rappelait que nous ne devions pas nous considérer comme laids ou inférieurs parce que noirs. Au contraire, nous devions être noirs et fiers. C'était un personnage conscient de l'importance de l'esthétique et qui nous démontrait que les canons de la beauté n'étaient pas réservés à une seule civilisation.

Comment expliquer qu'on célèbre en France un Mohamed Ali qui portait aussi fièrement son identité tout en critiquant le communautarisme ?

L'Amérique a intégré le fait que sa société est une superposition d'"ethnies". Ce que la Constitution française récuse dans ses principes. Par conséquent, en France, beaucoup de questionnements n'ont jamais été discutés et survivent grâce à une certaine idéologie occidentale fondée sur l'inégalité des ethnies. Si vous discutez de la "question noire" en tant que Noir ou de l'islam en tant que musulman, on vous taxe de communautariste. Parallèlement, si vous le faites en tant que Blanc, on vous traite de raciste. En France, tout doit être enveloppé dans des principes généraux de bonne conscience - liberté, égalité, fraternité. Mais leur application sur le terrain reste un véritable défi, avec le sentiment d'une frustration vécue par ceux qui sont montrés du doigt, et cela explique, de près ou de loin, la défaillance de la plupart des politiques envisagées.



Source : Libération.fr


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