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Au Niger, elles apprennent à dire " non " aux mariages précoces

  Société, #

 

Niamey, Tillabéri (Niger), envoyée spéciale.

Certains jours de la semaine font pousser des ailes à Aïcha, Belkessa, Manira, Ousseina, Souweba et tant d'autres jeunes Nigériennes. Ces jours où elles n'hésitent pas à se lever dès l'aube pour s'acquitter vite fait des tâches ménagères et foncer vers l'espace dit "?sûr?" qui leur est entièrement réservé. Un lieu où ces adolescentes analphabètes ou illettrées apprennent à devenir des êtres libres, délestées du lourd fardeau des normes sociales qui leur fait courber le dos depuis leur naissance.

Ce matin-là, Belkessa et Souweba quittent leurs chaussures, s'installent parmi leurs camarades sur les nattes déployées au sol d'un grand hangar dont le toit troué en tôle ondulée laisse passer le soleil brûlant. Elles écoutent attentivement l'animatrice expliquer les conséquences qu'engendrent les mariages et les grossesses précoces, avant que ne s'instaure le jeu des questions-réponses sur cette thématique du jour. Elles suivent assidûment ces séances et ne ratent aucun des cours d'alphabétisation prodigués huit mois durant.

Baptisée "?Le savoir pour la dignité?", ce programme d'éducation populaire, initié par le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), en collaboration étroite avec l'association nationale Lafia Matassa et le ministère de la Promotion des femmes, est suivi, cette année, par plus de 10?000 personnes de 10 à 19 ans (250?000 d'ici à 2018), réparties dans sept des huit régions du Niger.

Comme dans le territoire de Tillabéri, d'où sont originaires Belkessa et Souweba. Ces deux adolescentes de quinze ans, habitantes de Méhana, une commune rurale bordée par le fleuve Niger, ont bousculé la tradition patriarcale en osant retarder leur mariage, elles qui, un an auparavant, s'apprêtaient à vivre la nuit de noce sans se poser de questions. "?J'ai arrêté mes études en primaire, à cause des nombreux travaux domestiques que l'on me confiait, explique Souweba. Quand le prétendu s'est présenté, j'ai dit oui. Je savais qu'une fille se devait d'être mariée. Mais, depuis, j'ai compris que j'étais trop petite pour fonder une famille.?" L'émancipation imprègne Souweba et Belkessa à mesure qu'elles acquièrent le savoir diffusé par l'animatrice et la prof d'alphabétisation. "?On apprend à connaître notre corps, à comprendre l'importance de le laisser mûrir avant de faire des enfants, et ainsi, éviter les fistules obstétricales, voire la mortalité maternelle?", précise Souweba. Belkessa enchaîne?: "?J'aime mon prétendant. C'est mon cousin. Mais j'ai repoussé de plusieurs années le mariage et il a accepté, d'autant qu'il a dû s'exiler en Libye pour trouver du travail.?" Elle veut d'abord apprendre, elle qui n'est jamais allée à l'école. "?Je prévois de devenir couturière et de subvenir à mes besoins.?" Ni Belkessa ni sa copine n'envisagent désormais de convoler avant l'âge de dix-neuf ans.

"?On l'a donnée trop tôt en mariage, et contre son gré... "

Le Niger, pays d'Afrique de l'Ouest, cumule des chiffres alarmants, lesquels entravent dangereusement son développement?: 73?% des adolescentes de 15 à 19 ans ne savent ni lire ni écrire?; plus de 75?% d'entre elles sont mariées avant dix-huit ans et près de 30?% le sont avant d'atteindre quinze ans. Les épousées doivent, de plus, prouver leur fertilité dans l'année suivant l'union scellée. Le Niger détient ainsi le record mondial de fécondité, avec 7,6 enfants par femme.

Mais derrière les chiffres se cachent les traumatismes que subissent toutes les personnes vouées à une existence de "?femelle animale?", tout juste capable d'enfanter et d'élever des petits. À Tonfalis, toujours dans la région de Tillabéri, la vie des jeunes filles ressemble à s'y méprendre à celle des habitantes de Méhana. Les corvées ménagères, l'éducation des enfants, l'eau à puiser, le mil à piler et les repas à préparer rythment leur quotidien. Manira, quinze ans, camoufle ses cheveux sous un châle rouge, le regard perpétuellement sombre. Analphabète, elle a été mariée à l'âge de treize ans, sans son consentement, "?au fils d'un ami de mon père?". "?J'ai dit non et j'ai pleuré jusqu'à me fatiguer. Mais la décision paternelle était irréversible. Ma mère a cautionné par son silence.?" La fillette d'alors se sent "?rejetée, comme si je n'étais pas aimée par mes parents. Ma vie a été gâchée?". Elle se souvient parfaitement du premier rapport sexuel?: "?Je pleurais, je n'y connaissais rien. Il m'a demandé de me déshabiller, de me coucher sur le dos et d'écarter les cuisses. Il m'a pénétrée si fortement que pendant deux jours j'ai eu du mal à marcher normalement.?" Un an après l'union forcée, la fillette accouchera d'un garçon. Elle sera répudiée dans la foulée. "?J'étais contente puisque je ne voulais pas de ce mariage?", dit-elle.

Manira vit désormais chez ses parents, avec son fils. Dans la cour de la maison en argile mélangée à la paille et au fumier, le bébé tête le sein de la jeune maman, assise sur une chaise, tout près de sa mère, Binta. Cette dernière confie?: "?On l'a donnée trop tôt en mariage, et contre son gré... C'est une coutume chez nous. Si c'était à refaire, je ne le referais pas.?" Une vie qui se perpétue d'une génération à l'autre. "?On a tous si peur que nos filles fassent des enfants hors mariage que l'on préfère les marier pour ne pas connaître le déshonneur?", explique la mère. "?C'était pareil pour moi, souligne-t-elle. J'ai eu dix enfants dont trois mort-nés.?" Elle déplore aujourd'hui son action, d'autant, précise-t-elle, que sa fille "?a failli mourir lors de son accouchement. Elle a souffert deux jours avant de mettre au monde son bébé. Son bassin était trop petit... Et puis, tout cela s'est soldé par un divorce...?"

Le bébé dort désormais paisiblement dans les bras de Manira, attentive aux propos de sa mère?: "?J'ai vu un changement de comportement chez Manira depuis qu'elle participe au programme?" de l'UNFPA. "?Je la vois réviser ses cours d'alphabétisation, poursuit-elle. Au début, je ne me rendais pas compte de l'importance de l'école, je n'y suis jamais allée. Je lui souhaite d'avoir un métier, de devenir couturière.?"

Pour les ados, les séances de sensibilisation sont des "?bouffées de liberté?"

À quelques pas de chez Manira, nous rencontrons Aïcha, dix-huit ans, et Ousseina, dix-sept ans. Toutes deux mariées à deux frères partis en Libye, terre d'émigration pour les hommes de Tillabéri. Toutes deux déjà mères, la première d'un garçon, la seconde d'une fille. Toutes deux regrettent de s'être enfermées dans cette union, espérant transformer leur "?morne?" existence. Mais toutes deux suivent, elles aussi, les séances de sensibilisation et d'alphabétisation, qualifiées de "?bouffées de liberté?". Un moment privilégié, dans cet espace qui leur fait découvrir "?tout de la vie?". "?On a appris qu'il valait mieux utiliser des moyens contraceptifs, tels que la pilule, pour espacer les naissances. Avant, on mettait les gris-gris prescrits par le marabout?", explique Aïcha. Ousseina poursuit?: "?Ici, nous apprenons à voir les choses autrement. On veut, par exemple, le partage dans le couple.?" "?Et une plus grande considération de la part de la communauté?", ajoute Aïcha.

L'UNFPA et ses partenaires misent justement sur le "?dialogue communautaire?" pour que la société cesse de transformer les filles en victimes de mariages et grossesses précoces. "?La sensibilisation et le débat sont indispensables, y compris avec les familles, les élus, les chefs traditionnels et les responsables religieux, si l'on veut arriver à changer les normes sociales néfastes à l'épanouissement de chacune et chacun?", souligne Monique Clesca, représentante de l'UNFPA au Niger (voir page?22). Et ils sont nombreux ces leaders d'opinion à accompagner l'éducation à la citoyenneté. C'est le cas du maire de Méhana, Daouda Nouhou. "?Je m'inscris contre la logique du mariage précoce. Je suis intervenu dans des cas litigieux, en expliquant qu'il fallait arrêter de gâcher la vie de nos filles.?" Sa commune aux trente-cinq villages subsistant de l'agriculture et de l'élevage a obtenu, cette année, le deuxième prix (le premier est revenu à une ville d'Espagne) pour son budget participatif, décerné par l'Observatoire international pour la démocratie participative. "?Les femmes sont les premières à s'impliquer dans le développement de la commune?", insiste le maire, fier de la distinction.

Pour autant, les pesanteurs sont toujours là. Mais la ministre de la Promotion des femmes, Maïkibi Kadidiatou Dandobi, voit le verre plutôt à moitié plein, mettant en avant le travail de sensibilisation qu'effectuent aussi bien l'UNFPA, les associations et son ministère. "?Il y a plusieurs portes d'entrée dans une même communauté pour éveiller les consciences?", note-t-elle. La ministre mise sur l'émancipation des femmes rurales, majoritaires au Niger, pour "?briser la chaîne?" de la servitude. Dans ce but, elle indique que son ministère et l'UNFPA projettent, en collaboration avec la Banque mondiale, de programmer une action censée permettre aux villageoises de "?se libérer des travaux pénibles?". "?Les femmes passent quatre heures par jour à piler le mil, au lieu de vingt minutes si elles utilisaient un moulin.?" Selon Maïkibi Kadidiatou Dandobi, cette tâche harassante "?incite les mères à ne pas scolariser leurs filles afin qu'elles les aident à la maison?".

La grande pauvreté, conjuguée à l'immense analphabétisme et à l'ignorance de l'islam, alors que 80?% des habitants sont de confession musulmane, peut provoquer un séisme au Niger, pays à hauts risques, entouré par le Mali, la Libye, le Nigeria et l'Algérie, entre autres. Cette réalité n'échappe ni à l'UNFPA ni au gouvernement, qui regroupent leurs forces dans l'intention de prévenir la catastrophe en optant pour l'émancipation des femmes, gage du changement de mentalité de la société entière.



Source : www.humanite.fr


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