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Bénin : "Libérer ces malades que l'on enchaîne"

  Société, #

Depuis plus de 20 ans, avec son association la Sainte-Camille, Grégoire Ahongbonon a porté secours à des milliers de personnes atteintes de troubles psychiques en Afrique de l'Ouest.

Il y a quelques semaines, ce Béninois sexagénaire a reçu le prix de l''Africain de l'année" pour son travail humanitaire.

Notre reporter Laeila Adjovi est allee au Bénin à sa rencontre, pour tenter de comprendre certains des défis auxquels sont confrontés les autorités pour la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux.

Aimé sort de sa chambre en faisant de tout petit pas. Il n'est pas sorti de chez lui depuis des mois.

Une chaîne lui entrave les chevilles.

La scène se déroule dans une petite maison de Calavi, en banlieue de Cotonou, la capitale économique du Bénin.

Aimé, 24 ans, est atteint de troubles mentaux.

Ses parents, malades, sont au village.

L'ainé de la famille, Rosinos, fait ce qu'il peut pour s'occuper de lui.

"Nous avons du l'enfermer, car il ne fait que déranger les gens du quartier, se désole Rosinos, étudiant en génie civil. Il peut agresser des gens dans la rue, en disant qu'ils ont pris quelque chose qui lui appartient."

"Il ne fait que crier jour et nuit, ajoute-t-il. Il n'arrive pas dormir. Vraiment, je suis dépassé".

Manque de moyens

Ses proches ont bien tenté de faire soigner le jeune homme dans le seul hôpital psychiatrique public de Cotonou.

 

Mais le traitement a dû être interrompu au bout de quelques mois.

"Compte tenu du manque de moyens, a on dû arrêter, et la maladie est revenue", explique Rosinos.

Et puis la famille a entendu parler de l'association Sainte Camille, fondée par Grégoire Ahongbonon.

Alertée sur le cas d'Aimé, l'association a envoyé un des membres de son équipe le chercher.

Depuis plus de 20 ans, la Sainte-Camille construit des centres d'accueil, de traitement et de formation pour les personnes atteintes de maladies mentales.

Plus d'une quinzaine de centres sont disséminés aujourd'hui entre la Côte d'Ivoire, le Bénin, le Togo et le Burkina Faso.

Au centre d'accueil de la Sainte-Camille de Calavi, Aime sera logé et soigné.

La prise en charge est beaucoup moins chère que dans les autres structures - qu'elles soient privées ou publiques.

Dans une autre vie, Grégoire Ahongbonon était mécaninien, avec une vie rangée et un garage prospère.

Puis, son affaire a fait faillite et il a sombré dans la dépression.

Missions

"J'ai commencé à avoir de gros problèmes économiques, et à la fin j'ai tout perdu, se souvient le sexagénaire. A tel point que j ai failli me suicider. Mais j'ai eu la chance de retrouver le chemin de l'église. J'ai eu la chance de retrouver Dieu. "

 

De cette révélation, Grégoire tire une mission, celle d'aider les démunis, et plus particulièrement les personnes atteintes de maladies mentales.

Une tâche ardue, dans des pays ou les troubles psychiques sont souvent associés à des forces mystiques.

Face à la maladie d'un proche, nombreux sont ceux qui se tournent vers ces églises évangéliques qui affirment pouvoir exorciser le mal par la prière, ou vers des guérisseurs traditionnels.

"Près de 80% des Béninois ont recours à la médecine traditionnelle, et ce pour diverses raisons. Que ce soit le cout des médicaments dits modernes, mais aussi pour les éléments culturels, la nécessité d'avoir une autre approche", souligne Roch Hougnihin, le coordonateur national du programme de la pharmacopée et de la médecine traditionnelle au ministère de la santé du Bénin.

Pour la plupart des Béninois, les maladies peuvent être provoquées.

Certains guérisseurs, les "bokhônons", utilisent donc des techniques divinatoires pour déterminer si la maladie vient d'un envoûtement, ou d'une offense faite aux ancêtres.

Un autre type de guérisseur, l"amawato", soigne par les plantes, "il est l'équivalent d'un phytothérapeute", détaille Roch Hougninhin.

Il admet qu'il est parfois difficile de distinguer les vrais tradi-praticiens des charlatans.

Ces 5 dernières années, le gouvernement a renforcé ses efforts pour réguler leurs prestations.

"Aujourd'hui nous avons une association de guérisseurs crédible. Elle a une police interne et la possibilité de faire des arrestations, avec l'accompagnement du ministère de la santé."

Nestor Dakowegbe est un des guérisseurs les plus renommés du pays.

Il est à la fois ''Bokônon" et "Amawato".

Médecine traditionnelle

Au cours de plusieurs décennies de pratique, il a vu d'innombrables patients atteints de troubles psychiques, et fait bien la distinction entre maladies naturelles et les maladies provoquées.

 

"Quand un patient vient pour la première fois, je fais la consultation, et je sais s'il a enfreint un interdit, s'il a commis une offense, ou si c'est à cause d'un gri-gri," explique-t-il

"S'il s'avère que son mal est causé par une offense ou un envoûtement, alors c'est plus simple pour moi de le traiter, car ce qu'un homme fait sur un autre homme est plus facile à soigner".

Nestor Dakowegbe est très fier du savoir transmis dans sa famille depuis des générations.

Il ne se sent nullement menacé par la médecine moderne, et collabore même avec certains médecins.

"Il existe des docteurs qui font appel à nous, les guérisseurs. Ca arrive très souvent. Nous allons à leur secours, et la personne peut être sauvée. Et parfois c'est moi qui appelle des médecins pour leur dire, " voici ce sur quoi je travaille, donne-moi ton avis "

Au Bénin, de nombreux médecins formés en psychiatrie et en psychanalyse défendent l'intérêt d'une collaboration entre médecine dite traditionnelle et médecine dite moderne.

"Il y a des histoire de sorcellerie qui sont vraies, et quand cela arrive, il vaut mieux aller chercher l'aide de l'autre côté pour décider ensemble de ce qu'il convient de faire", martèle Gualbert Ahyi, un des premiers psychiatres béninois, et l'ancien directeur du seul hôpital psychiatrique de Cotonou.

Lui défend une psychiatrie à l'africaine, qui prendrait en compte certaines spécificités culturelles.

"Ici, la maladie mentale n'est pas une aventure personnelle. C'est un dysfonctionnement qui intéresse toute la communauté, soutient-il. Il faut tenir compte de modèles de compréhension où la maladie vient du dehors, du sorcier, du jeteur de sort, des ancêtres. "

A la Sainte-Camille, cette collaboration semble difficile, car Grégoire Ahongbonon est sceptique sur l'efficacité des guérisseurs : "On dit que les tradi-praticiens soignent mieux les malades mentaux mais ce sont des histoires", assène-t-il.

"La plupart des malades se tournent d'abord vers les tradi-praticiens ou les églises et malheureusement avant qu'ils ne commencent à recevoir les traitements adéquats, la maladie est déjà devenue chronique."

Et de s'interroger : "Alors est-ce que réellement il y a des gueriseurs qui arrivent véritablement à soigner?"

Pour Rosinos, le frère d'Aimé, cette question-là n'est pas vraiment une priorité.

Ce qui lui importe c'est que depuis qu'Aimé est à la sainte Camille, il est plus calme, et il a retrouvé le sommeil.

Oui, certains de ses médicaments restent une charge pour la famille, mais Rosinos estime que la situation s'est améliorée.

Un traitement abordable, une approche très humaine qui tente de réinsérer le patient dans le monde du travail et dans sa communauté, et des équipes constituées essentiellement d'anciens malades, voila les ingrédients du succès de la Sainte-Camille.

Critiques

Ce qui n'a pas empêché l'association d'attirer de vives critiques.

 

"Je pense que la prise en charge médicale dans ces centres devrait vraiment être améliorée", plaide Dorothée Kinde Gazar, ministre de la santé au Benin jusqu'en 2012.

A la Sainte-Camille, en effet, pas de psychiatre à plein temps.

Mais avoir un psychiatre dans chaque centre parait difficile, quand on sait que le Bénin compte à peine une douzaine de psychiatres formés sur toute l'étendue de son territoire.

Dans l'association de Grégoire, certains anciens malades reçoivent de la formation pour devenir infirmiers en psychiatrie.

Depuis un an, un arthérapeute français propose aussi bénévolement des ateliers quotidiens au centre de Calavi.

Sans oublier ces psychiatres qui soutiennent l'association et viennent d'Europe tous les trois mois pour des consultations bénévoles.

Grégoire Ahongbonon admet que ce n'est pas assez, mais sa foi en sa mission reste inébranlable.

"Je m'abandonne toujours à la volonté de Dieu. Et mon désir aujourd'hui, c'est de faire tout ce qui est possible pour amener les gens à changer de comportement et à changer de regard."

Il sait qu'il ne sera pas possible de guérir tout le monde.

Mais "l'essentiel c'est d'aider à stabiliser leur condition, explique-t-il. Leur permettre de retrouver leur dignité d'homme. Je lutte contre l'enchaînement des malades. Au troisième millénaire, qu'on trouve des hommes et des femmes enchaînés, je ne peux pas accepter ça. "

Grégoire Ahongbonon sillonne en voiture la sous-région.

Chaque année il parcourt des milliers de kilomètres pour aller chercher les malades y compris dans les villages les plus reculés, guidé par une devise: "Tant qu'il y a encore un malade enchaîné dans le monde, c'est l'humanité toute entière qui est enchaînée."

Laela Adjovi



Source : www.bbc.com


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