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Comment l'Afrique veut s'imposer au coeur de New York

  Business, #

Sur la petite porte d'entrée, orange et violette, une inscription annonce la couleur : " The Africa Center : l'Ambassade de l'Afrique sur le monde ". A peine le temps de lire, que Michelle D. Gavin, trenchcoat sur les épaules et talons aux pieds, avance déjà à grand pas, écartant un câble, évitant les marches en béton, les tréteaux, les chaises en plastique et les prises électriques pendant du plafond.

L'Africa Center, autoproclamé future " principale institution civique africaine au monde ", est encore en chantier. Logé face à Central Park, au numéro 1280 de la très chic 5 e avenue, au premier niveau d'un gratte-ciel d'habitation et de bureaux, il sera le premier établissement culturel à ouvrir ses portes depuis 1959 sur Museum Mile, la mythique artère culturelle de New York, hébergeant le Met et le Guggenheim.

Le bâtiment, baptisé d'ailleurs " One Museum Mile ", beige et constellé de petites fenêtres ondulées, est l'œuvre du célèbre architecte américain Robert A. M. Stern. A l'entrée, un atrium, vaste puit de lumière d'une vingtaine de mètres de haut, accueillera un café et un amphithéâtre de 76 places, d'où l'on pourra voir spectacles vivants, défilés de mode et concerts. L'achat et la construction de l'espace - plus de 7 000 m 2 sur trois niveaux - a déjà coûté plus de 70 millions d'euros.

Les trois piliers de l'Africa Center : culture, business et politique

" Les gens qui viendront ici auront des expériences très diversifiées. Le lieu sera aussi flexible que possible, changeant de jour en jour ", prédit la directrice. Quelques pas plus loin, on bute sur les fondations d'une pièce à en devenir, basse de plafond et encore dénuée de murs. " Ici, il y aura la grande salle d'exposition ". Isolée, à température contrôlée, la salle exposera les 550 pièces du centre, masques dogon, figurines en bois mumuye du Nigéria ou drapeaux fanti du Golfe de Guinée, vieux parfois de plus de 600 ans.

" Nous voulons que cet espace soit un centre de gravité, un incubateur, un point de rendez-vous pour tout le continent africain à New York "

Au premier étage, les jeunes créateurs africains et afro-américains auront à leur disposition un vaste espace de création, une galerie d'art contemporain et une salle de spectacle. " Mais attention : l'Africa Center aura trois piliers : culture, mais aussi business et politique ", insiste Michelle D. Gavin. Au deuxième étage, dans un vaste espace en construction, des conférences et rencontres seront ainsi organisées, réunissant chefs d'Etats et militants associatifs, grands capitaines d'industrie et petits entrepreneurs du continent.

La vue d'extérieur du futur Africa Center Crédits : WYATT GALLERY

" Nous voulons que cet espace soit un centre de gravité, un incubateur, un point de rendez-vous pour tout le continent africain à New York ", souligne la directrice. Tout a été prévu pour accueillir les grands de ce monde : au dernier étage, une terrasse avec vue plongeante sur la canopée de Central Park, est prête pour les cocktails et les soirées privées ; dans des cuisines attenantes, les meilleurs chefs du continent nourriront les discussions des puissants et donneront même des cours de gastronomie africaine.

 

Lien entre le continent africain et les Etats-Unis

Le projet a aussi l'ambition d'être un pont entre l'Afrique et les Etats-Unis. " Nous voulons montrer aux Américains l'immensité et la complexité de l'Afrique. A l'école, la plupart des Américains apprennent la traite des esclaves. Mais après, l'Afrique disparaît complètement de leur curriculum ! Il y a un manque de connaissance, même sur les points les plus basiques. On l'a vu avec Ebola : le tourisme a chuté dans des endroits comme le Kenya, à des milliers de kilomètres du cœur de l'épidémie. "

" Nous voulons montrer aux Américains l'immensité et la complexité de l'Afrique "

L'Africa Center revient de loin. Ouvert en 1984, ce qui n'était au départ qu'un musée itinérant a déjà connu trois patronymes et quatre déménagements, de Manhattan jusqu'au Queens ; de " Center for African Art " et " Museum for African Art ", il n'a été baptisé de son nom actuel qu'en 2013.

L'idée de se fixer n'est venue qu'en 2003, date de l'acquisition des milliers de mètre carrés du One Museum Mile. Mais la crise de 2008 foudroie le musée. " Le projet a été à court de financement, tout simplement ", résume Michelle D. Gavin. Les dirigeants ont eu les yeux plus gros que le ventre, prévoyant même un restaurant de luxe et une terrasse en marbre.

En pleine crise économique, le plan n'est plus soutenable. En 2010, alors que bâtiment est terminé et que les appartements luxueux du One Museum Mile se vendent comme des petits pains, l'immense Africa Center reste vide, et son chantier, enlisé, regarde les saisons défiler sur Central Park. Le rebond ne viendra que quatre ans plus tard : début 2014, un nouveau conseil d'administration est nommé. L'équipe choisit de transformer le musée en centre, allant bien au-delà d'un lieu d'exposition.

Un chantier et un gouffre financier

Des personnalités riches et influentes font leur entrée dans la direction : Hadeel Ibrahim, fille du milliardaire philanthrope anglo-soudanais Mo Ibrahim, et Chelsea Clinton, héritière de Bill et Hillary. Michelle D. Gavin est nommée directrice en janvier 2015. Poids lourd de la politique africaine des Etats-Unis, elle est une proche de Barack Obama, dont elle a été l'assistante spéciale sur les questions africaines au début de son premier mandat, avant de devenir ambassadrice des Etats-Unis au Botswana entre 2011 et 2014.

Mais malgré l'engagement de la nouvelle équipe, l'Africa Center demeure en chantier et son puit de lumière reste un gouffre financier. Le dernier budget de construction, pour terminer le projet, a été évalué à plus de 85 millions d'euros. Aujourd'hui sa directrice est à la recherche d'au moins 17 millions (un chiffre en train d'être réévalué à la hausse).

Le projet d'Africa Center est un vaste chantier, et un gouffre financier. Crédits : WYATT GALLERY

Michelle D. Gavin n'en aurait trouvé que la moitié, et ce malgré l'intense travail de lobbying de Mo Ibrahim et Chelsea Clinton. A la question de l'indépendance vis-à-vis de ses deux puissantes familles, l'ancienne ambassadrice botte en touche. " C'est Chelsea qui est membre du conseil d'administration, pas son père ou sa mère. Elle a ses idées et ses convictions, comme nous tous. " La Fondation Clinton participera-t-elle au financement de l'Africa Center ? " Là, vous devrez demander à Bill [Clinton]. "

 

" C'est une promesse brisée ", a déclaré au New York Times le sénateur de l'Etat de New York Bill Perkins

Pour cela, il n'y aurait que quelques pas à faire. La Fondation Clinton a son siège historique à Harlem, à 15 blocs de l'Africa Center, lui-même situé à la périphérie du quartier historique des Afro-Américains de New York. Mais malgré la proximité géographique, Harlem et le centre ne sont pas encore devenus des compagnons de route, contrairement aux espérances de la communauté noire. " C'est une promesse brisée ", a même déclaré au New York Times le sénateur de l'Etat de New York Bill Perkins, dont la circonscription recoupe Harlem.

Le musée, devenu centre, n'a que peu mis en valeur la culture des Afro-Américains de New York, représentant plus du quart de la population de la ville. Mais, la nouvelle direction souhaite aujourd'hui puiser dans l'énergie de Harlem, son " voisin et partenaire ", et accueillir ses institutions, comme le légendaire Apollo Theater. " Une grosse partie de notre mission sera l'éducation. ", insiste Michelle D. Gavin. " Nous allons travailler avec beaucoup d'écoles, et il serait absurde de ne pas commencer par celles de Harlem ".

Quand il s'agit de parler de la date d'ouverture, Michelle D. Gavin semble moins pressée, et marque le pas. " Nous pensons réussir. On fait appel à tous les philanthropes traditionnels, les think-tank... " Une date ? " Je ne sais pas ! " lâche-t-elle. La directrice ne veut pas faire de promesse qu'elle ne pourra pas tenir. " Je sais où je vais ", assure-t-elle. Un symbole lui importe tout de même : arrivera-t-elle à ouvrir son institution avant la fin du mandat de Barack Obama, fils d'un Kenyan et d'une Américaine, en janvier 2017 ? Ici, la directrice s'arrête, sourit, et tape deux coups sur une table, comme pour se donner chance, et frapper, enfin, le début de la pièce.



Source : www.lemonde.fr


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