Devenez publicateur / Créez votre blog


 

Comment Mandela maîtrisait l'art de la rhétorique

  Politique, #

Alors qu'on ne retient de la prose de nos dirigeants d'aujourd'hui que quelques petites phrases et vains dérapages, il est bon de se souvenir que la parole politique a su, à un moment de l'Histoire, faire vibrer un peuple, montrer la voie, créer du sens. Dans un court essai ( Convoquer l'Histoire. Nelson Mandela. Trois discours commentés, Alma Editeur, 90 pages, 12 euros), l'historien François-Xavier Fauvelle démontre le talent d'orateur de Nelson Mandela en s'appuyant sur trois discours fondateurs prononcés le jour de sa libération, après l'assassinat de Chris Hani, chef d'état-major de la branche armée de l'ANC, et lors de son investiture à la présidence de l'Afrique du Sud. Par sa vision mais aussi par ses mots, Mandela a su métamorphoser un pays. La preuve en dix astuces rhétoriques.

1. Réussir son retour : la figure du père

" Je me tiens ici devant vous non comme un prophète mais comme un humble serviteur du peuple. Vos sacrifices inlassables et héroïques m'ont permis d'être ici aujourd'hui. C'est donc entre vos mains que je place les dernières années de ma vie. "

Le 11 février 1990, Nelson Mandela sort de prison et parle en public pour le première fois depuis le procès de Rivonia en 1964. Refusant la rhétorique du sauveur - trop orgueilleuse après sa longue absence - il se place en père

 

2. Parler au plus grand nombre : le discours polyphonique

" Mes amis, camarades et compatriotes sud-africains, je vous salue tous au nom de la paix, de la démocratie et de la liberté. "

Si " camarade " désigne les militants anti-apartheid, les termes " amis " et " compatriotes ", moins précis, permettent au plus grand nombre de s'y reconnaître. Trop long, étouffé par la foule festive, le discours est à peine audible. C'est l'objectif recherché : créer une polyphonie dans laquelle chacun ne retient que ce qui le concerne : la poursuite de la lutte pour les Sud-Africains noirs, le mot généreux à l'ex-président De Klerk pour les Blancs d'Afrique du sud.

 

3. Montrer la voie : le verbe exorciste

" Aujourd'hui, une majorité de Sud-Africains, noirs ou blancs, admettent que l'apartheid n'a pas d'avenir. Il faut maintenant que notre action massive et volontaire y mette fin, dans le but de construire la paix et la sécurité (...) L'étendue des destructions causées par l'apartheid à l'échelle de notre sous-continent est incalculable. "

Au peuple d'Afrique du sud, Nelson Mandela fait redouter le pire : qu'il ne soit pas capable de devenir une nation, seul remède contre la menace qui plane sur le pays. Selon François-Xavier Fauvelle, le verbe exorciste, inspiré du chœur tragique chez Eschyle et Sophocle, montre à l'auditoire contre quelle menace

4. Réussir son retour 2 : l'art de l'ellipse

" En conclusion, je voudrais citer mes propres paroles lors de mon procès de 1964. Elles sont aussi vraies aujourd'hui qu'elles l'étaient alors. J'écrivais : "J'ai combattu la domination blanche et j'ai combattu la domination noire". "

Ellipse chronologique, cette astuce donne l'impression que, bien qu'absent physiquement, il n'a jamais quitté le devant de la scène politique.

 

5. Faire naître un élan collectif : le mode intime

" Ce soir, je tends la main à chaque Sud-Africain, noir ou blanc, du plus profond de mon être. "

Le 13 avril 1993, trois jours après l'assassinat de Chris Hani, le chef d'état-major de la branche armée de l'ANC, Nelson Mandela fait une allocution à la télévision. L'opinion publique est sous le choc et la paix menacée. Mandela décide de s'adresser à la conscience de chaque Sud-africain, en espérant faire naître ainsi un élan collectif.

 

6. Conjurer la terreur : créer une fiction

Pour Nelson Mandela, après le meurtre de Chris Hani, il faut neutraliser les " hommes qui vouent un culte à la guerre ". Dans son discours, il créé la fiction d'une nation unie blessée dans tout son corps par cette tragédie.

" Un homme blanc, rempli de préjugés et de haine, est venu dans notre pays et a commis un acte si funeste que notre nation tout entière vacille à présent au bord du précipice. "

Jamais les mots " nation ", " national ", " peuple ", " nous " n'avaient été utilisé dans un sens inclusif qui englobe tous les Sud-Africains. François-Xavier Fauvelle parle ici d'un véritable " coup d'état sémantique ". Répétés à plusieurs reprises, ces termes donnent du corps à des notions encore abstraites à l'époque.

 

" Rien ne remplacera Chris Hani dans le cœur de notre nation et de notre peuple... Nous sommes une nation en deuil. "

7. Conjurer la terreur : convertir ses ouailles

Enfin, Mandela prend la position d'un prêtre. Il file une métaphore liturgique en invitant la nation sud-africaine à communier en mémoire du défunt présenté, comme " un Christ civique ", qui a " donné sa vie pour la liberté de chacun ".

" Il est désormais temps pour nos compatriotes blancs, dont les messages de condoléances continuent d'affluer, de compatir à la perte douloureuse qu'a subie notre nation, et de participer aux cérémonies de la mémoire et aux commémorations funèbres. "

Le terme " communier " signifiant au sens littéral " participer à la communauté ", Mandela intègre ici les blancs d'Afrique du Sud à l'assemblée

 

8. Parler au cœur de son auditoire : produire un métadiscours

Le 10 mai 1994, Nelson Mandela prononce son discours d'investiture :

" Vos majestés, Vos altesses royales, distingués invités, camarades et amis. Aujourd'hui, nous tous, par notre présence ici et par nos célébrations ailleurs dans notre pays et dans le monde, conférons gloire et espérance à la liberté qui vient de naître. "

Nelson Mandela utilise ici le métadiscours. Les formules d'adresses inhabituelles sont incompréhensibles pour l'oreille extérieure, mais les Sud-Africains se reconnaissent dans ces différents statuts qui suscitent leur fierté.

 

9. Parler au cœur de son auditoire : filer la bonne métaphore

" A mes compatriotes, je dis sans hésitation que chacun de nous est aussi intimement attaché au sol de ce magnifique pays que le sont les célèbres jaracandas de Pretoria et les mimosas du bushveld. "

Métaphore botanique, cette image peut être décodée politiquement. Les jaracandas sont des arbres importés en Afrique du Sud à l'époque coloniale : Nelson Mandela rend ainsi hommage à l'implantation réussie des Européens dans le pays. Le mimosa du bushveld est une variété d'acacia qui n'existe qu'en Afrique australe. Par cette métaphore, les blancs reçoivent une identité dans des termes similaires aux noirs. Une énonciation extrêmement originale dans l'histoire de la colonisation.

 

10. De l'usage politique des remerciements

" Nous sommes profondément reconnaissants du rôle que les masses et les dirigeants des mouvements politiques démocratiques, religieux, de femmes, de jeunes, du monde des affaires, ainsi que des leaders traditionnels ou autres, ont joué pour arriver à cette conclusion. "

Chez Mandela, les remerciements sont politiques. Il s'agit de désigner les catégories sociales qu'il souhaite voir agir dans son nouveau projet de société.

 



Source : www.lemonde.fr


PARTAGEZ UN LIEN OU ECRIVEZ UN ARTICLE

Pas de commentaire

Pas de commentaire
 
Tagada
Partagé par : Tagada@France
VOIR SON BLOG 26 SUIVRE SES PUBLICATIONS LUI ECRIRE

SES STATS

26
Publications

917
J'aime Facebook sur ses publications

37
Commentaires sur ses publications

Devenez publicateur

Dernières Actualités

Pas d'article dans la liste.