Akinwumi Adesina a pris les rênes de la Banque africaine de développement (BAD) en octobre avec pour première priorité d'électrifier le continent. L'institution jouera un rôle central dans la mise en œuvre de la nouvelle Initiative africaine sur les énergies renouvelables lancée pendant la COP21. Au Bourget, le Nigérian plaide pour un accord contraignant qui donne les moyens à l'Afrique de s'adapter au changement climatique et de ne plus " être dans le noir ".

Cela fait des décennies que l'électrification de l'Afrique est une priorité, est-ce qu'il faut une crise climatique pour que cela cesse de n'être que des mots ?

Akinwumi Adesina L'Afrique doit résoudre son problème d'énergie, pas parce qu'elle y est poussée par le changement climatique, mais parce que c'est insensé qu'elle n'ait pas d'électricité. Il y 640 millions d'Africains qui n'ont accès à aucune source d'énergie. Les Africains sont fatigués d'être dans le noir. Nous avons besoin de nous industrialiser et, pour cela, nous avons besoin d'électricité.

Cela n'est pas nouveau. Pourquoi faut-il y croire aujourd'hui ?

Mais on ne peut pas continuer comme ça. Ma priorité est d'électrifier l'Afrique. Nous allons investir 12 milliards de dollars [11,3 milliards d'euros] d'ici cinq ans qui permettront au total de lever entre 40 et 50 milliards de dollars.

Cela représente à peine une année des investissements nécessaires.

" Il n'est pas acceptable d'avoir des ressources et de ne pas les utiliser pour la population. L'accès à l'électricité est un droit "

En Angola, pays pétrolier, la part de la population qui a accès à l'énergie est moins élevée qu'au Bangladesh. La volonté des gouvernements n'est-il pas un préalable ?

Il n'est pas acceptable d'avoir des ressources et de ne pas les utiliser pour la population. L'accès à l'électricité est un droit.

Une Initiative africaine sur les énergies renouvelables vient d'être lancée par l' Union africaine. La BAD doit en être l'agence d'exécution. En quoi cela consistera-t-il ?

Le premier ministre indien, Rajendra Modi, a déclaré qu'il est impossible de demander aux pays en développement de se passer des énergies fossiles. Les scientifiques du climat affirment au contraire que c'est l'une des conditions pour limiter le réchauffement à 2 °C. Y compris pour l'Afrique. Quel est votre avis ?

Si vous avez deux personnes, que l'une est grosse et l'autre maigre, les deux ont un problème de poids. Mais la solution a leur problème n'est pas la même. L'une doit perdre du poids, l'autre doit en gagner. Les pays industrialisés qui ont pollué le monde depuis si longtemps doivent maigrir. Ils doivent arrêter de polluer autant. L'Afrique n'a contribué en rien au réchauffement. Elle doit donc utiliser toutes les énergies dont elle a besoin pour se développer. Certes, elle doit aller vers un mix énergétique qui intègre le plus d'énergies renouvelables possibles, mais on ne peut pas oublier que les énergies les moins chères sont le gaz, l'hydroélectricité et le charbon.

Les banques multilatérales se désengagent du charbon qui est l'énergie la plus polluante. Pas vous ?

Il n'y a aucun signe dans le monde qui me dise que le charbon, c'est fini. L' Union européenne, les Etats-Unis, l' Inde, la Chine ouvrent des centrales à charbon. Soyons justes. Il n'est pas possible que certains puissent le faire et pas l'Afrique. L'Afrique doit se développer avec ce qu'elle a.

Mais le Sénégal, par exemple, n'a pas de charbon, est-ce que cela un sens qu'il mise tout sur cette ressource qu'il doit importer d' Afrique du Sud ?

Les pays définissent les politiques qu'ils jugent bonnes pour eux. Je ne connais pas d'usines qui fonctionnent avec des panneaux solaires. Le coût de l'énergie est essentiel dans le processus d'industrialisation. Mais nous ne faisons pas n'importe quoi. Il y a des nouvelles technologies qui permettent de limiter la pollution et nous les privilégions.

Vous avez comme objectif de doter toutes les familles africaines qui dépendent du charbon de bois de foyers améliorés d'ici cinq ans. Comment allez-vous faire ?

Ce n'est pas seulement ma priorité. C'est aussi celle du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon et du président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim. Nous allons créer une Facilité financière pour résoudre ce problème qui est à l'origine de 600 000 morts par an et qui concerne 700 millions d'Africains. Je connais aucune région dans le monde où autant de personnes meurent pour faire la cuisine.

Quels sont les trois projets que vous aimeriez voir sinon achevé du moins vraiment lancé pendant votre mandat ?

Celui des foyers améliorés en priorité, ensuite le grand barrage d'Inga en RDC et enfin un grand projet d'interconnexion régionale.

L'agriculture est une autre de vos priorités, vous défendez que l'agriculture doit être " un business " et pas " un mode de vie ", qu'est-ce que cela veut dire ?

" Cela n'a pas de sens que nous exportions du cacao pour importer du chocolat "

Avant d'exporter, ne faut-il pas d'abord donner à manger aux Africains ?

Vous avez une baguette magique ?

Si vous regardez ce que j'ai fait quand j'étais ministre de l'agriculture au Nigeria, vous verrez que cela peut aller très vite. En trois ans, j'ai transformé le secteur et c'est devenu une success story en Afrique. Il y a trois conditions : savoir ce que l'on veut, le faire à grande échelle et être sûr que les ministres des finances et les banquiers centraux suivent.

Le Bénin, petit pays, importe quinze fois plus de riz que le Nigeria, mais l'essentiel repart en contrebande au Nigeria qui limite les importations par des tarifs douaniers élevés, est-ce que cela ne relativise pas ce succès ?

La contrebande peut saper une bonne politique dans n'importe quel pays.