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Dans la rue, la vie des jeunes Afro-Américains ne vaut pas cher

  Politique, #

Environ un demi-siècle après l'adoption par le Congrès d'une législation historique sur les droits civiques, la fracture entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis n'a jamais été aussi béante.

Quelques jours après la mort du jeune Michael Brown, 18 ans, tué par le policier Darren Wilson à Ferguson, dans le Missouri, je me trouvais dans la salle du petit-déjeuner d'un motel à la sortie de Buffalo. Nous regardions sur CNN les images des violentes émeutes qui avaient éclaté la nuit précédente. Nous étions en train d'avaler nos corn flakes et notre café lorsque j'ai entendu un adolescent assis à la table voisine lancer à son père?: "Des centaines de policiers sont abattus chaque année, et personne n'en parle jamais."

Une grande partie de l'Amérique blanche a réagi de même à l'affaire Michael Brown, ce qui est révélateur. Environ un demi-siècle après l'adoption par le Congrès d'une législation historique sur les droits civiques, la fracture entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis n'a jamais été aussi béante. Selon les chiffres du FBI, 27 policiers ont trouvé la mort en service l'année dernière?; quant au nombre de civils tués par la police, faute de statistiques officielles fiables, plusieurs sources indépendantes l'estiment à plus de 1 000 par an. Et, d'après une étude réalisée par la rédaction américaine indépendante ProPublica, les adolescents noirs courent 21 fois plus de risques d'être pris pour cible par la police que les jeunes Blancs du même âge. D'autres travaux reposant sur des simulations vidéo montrent que les policiers en formation, qu'ils soient noirs ou blancs, ont davantage tendance à tirer sur des hommes noirs. Des recherches psychologiques corroborent ces résultats.

En effet, depuis que Trayvon Martin a été abattu en 2012 par un voisin qui patrouillait dans le quartier, pour lequel la justice devait ensuite retenir la légitime défense, les Etats-Unis ont connu une série de drames qui révèlent que la vie des jeunes Afro-Américains ne vaut pas cher dans les rues du pays. Samedi 22 novembre, à Cleveland, alors que toute l'Amérique attendait que le grand jury rende sa décision à propos de l'inculpation de Darren Wilson, un Afro-Américain de 12 ans a été tué par balle par des policiers qui ont pris son revolver en plastique pour une arme à feu. En août dernier, la police a fait feu sur un Noir de 22 ans dans un supermarché Walmart dans la banlieue de Dayton (Ohio), et l'a tué alors qu'il était en train d'admirer une carabine à air comprimé qu'il venait de saisir sur une étagère. Ces cas sont loin d'être isolés. Ces dernières années, les policiers ont fait usage de leurs armes à de multiples occasions contre de jeunes Noirs qui tenaient des portefeuilles, des téléphones portables, des canettes de Coca-Cola, des barres chocolatées, des brosses à cheveux et, bien sûr, des faux pistolets. Et, dans un pourcentage très élevé de ces cas, ils ont été disculpés, car prouver "au-delà du doute raisonnable" qu'un policier n'a pas agi en état de légitime défense est mission impossible, même si rien de ressemblant à une arme n'a été retrouvé sur les lieux. Bien que Darren Wilson ait expressément affirmé avoir vu Michael Brown tenir des cigarillos et non une arme, il a aussi déclaré que ce dernier avait cherché quelque chose sous son tee-shirt en fonçant vers lui, ce qui constitue un argument de défense certes prévisible, mais néanmoins discutable puisque Michael Brown ne dissimulait rien sous son tee-shirt.

Dans la rue, les policiers bénéficient d'une quasi-impunité?; ce sont les fantassins d'armées d'occupation locales qui, depuis les années 80, massacrent les Afro-Américains plus qu'elles ne les protègent. Avec la "guerre contre la drogue" déclarée par le Président Ronald Reagan, les ghettos noirs décimés par la désindustrialisation, le dépeuplement, le désinvestissement et l'effondrement des infrastructures ont été de plus en plus punis et sanctionnés pour les conditions de pauvreté qui les accablaient. Pendant ces années-là, les aides fédérales aux villes en grande difficulté se sont réduites comme peau de chagrin, et celles qui ont subsisté ont davantage financé le maintien de l'ordre que les programmes sociaux. Il ne s'agissait pas pour autant d'un complot républicain. C'est bel et bien le Président démocrate Bill Clinton qui a "mis fin à la politique sociale telle que nous l'avons connue" lorsqu'il a fait adopter par le Congrès la loi sur la délinquance la plus ambitieuse de l'histoire des Etats-Unis, au nom de la "responsabilité individuelle". Cette volonté de rejeter la responsabilité sur les victimes a également trouvé un écho auprès de chefs religieux et de célébrités noirs comme Bill Cosby. C'est ce cadre idéologique et politique commun aux deux grands partis politiques qui est à l'origine de l'expansion spectaculaire de l'industrie carcérale dans ce pays, et de l'hyperincarcération des Noirs de la classe ouvrière. Entre 1980 et 2008, le nombre de prisonniers aux Etats-Unis est passé de 500?000 à 2,3 millions, dont un million de Noirs (environ 43%), alors qu'ils représentent moins de 13% de la population américaine. Aujourd'hui, le taux d'incarcération des Afro-Américains est près de six fois supérieur à celui des Blancs. Les Noirs et les Latinos constituent quelque 58 % de la population carcérale.

Cette incarcération massive de Noirs pauvres prive des familles à faibles revenus de pères et de mères, accroît l'exposition des communautés noires au VIH et à la tuberculose, exacerbe le problème du dépeuplement et alimente les réseaux de gangs des rues qui, à leur tour, sèment les graines d'une violence meurtrière qui perturbe les établissements scolaires et les communautés. Ces conditions sont loin d'être favorables à l'émergence de mouvements de protestation. C'est pourquoi les manifestations de ces jours-ci auront tôt fait de retomber dans l'oubli. Les organisations communautaires noires de l'ère de l'austérité au XXIe siècle sont contraintes de prendre à bras-le-corps des problèmes de survie spécifiques au niveau local (violence des gangs, protection policière insuffisante, fermetures d'écoles, absence de centres de traumatologie de proximité pour accueillir les blessés par balles), et n'ont pas le temps de remettre en question l'ordre politique. Et c'est en vain qu'elles ont attendu un leadership sur ces problèmes de la part d'un président qui, espéraient-elles, allait enfin les représenter, mais qui s'arrange en réalité toujours pour éviter d'avoir à traiter des questions raciales et qui, lorsqu'il ne peut faire autrement, se borne à une politique des bons sentiments.

Traduit de l'américain par Architexte


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