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Dites LES musiques africaines et non... LA musique africaine !

  Culture & Loisirs, #

Derrière les expériences africaines de Damon Albarn, les copier-coller de Vampire Weekend, le succès de Tinariwen, ceux de Sinkane ou de Bombino, une vérité implacable sonne comme une bonne nouvelle : la musique du continent africain est en vogue et l'effet de mode persiste.

Pourtant, "la musique africaine" - tout comme la danse du même nom - n'existe pas. Et affirmer le contraire reviendrait à garantir la réalité d'un mirage, d'une inspiration collective improbable, à renier les différences culturelles et les frontières entre mbalax et sungura, Peuls et Ndébélés, Sénégal et Zimbabwe.

 

Pour comprendre la diversité musicale de l'Afrique et illustrer le retour de hype des musiques composées dans les pays du continent, un clic vaut parfois mieux qu'un long discours. Lancé en 2003, le blog Awesome Tapes From Africa a profité de la dernière décennie pour devenir un label indépendant intégralement dédié aux musiques qui passionnent Brian Shimkovitz.

Celles que l'ethnomusicologue américain a découvertes au gré de ses multiples itinérances au Burkina Faso, au Ghana, en Côte d'Ivoire ou au Mali, et dont la mémoire survit dans le souffle des cassettes qu'il collectionne et rapporte de chaque voyage.

Brian est un mec difficile à immobiliser. Ilchange de fuseau horaire aussi rapidement qu'il enchaîne les cassettes pendant ses dj sets d'un autre temps. Le jour de notre entretien connecté, le boss du label Awesome Tapes From Africa traînait chez lui à Los Angeles, au calme, encadré par le clapet de son ordinateur portable et celui de son canapé convertible. On a profité de son expérience et de sa gentillesse pour revenir sur l'histoire de son blog devenu label et lui voler quelques bonnes adresses de K7 shops parisiens. Comme vous l'avez déduit, l'interview s'est déroulée via Skype.

La première fois que je suis tombé sur ton blog, c'était il y a trois ans. A l'époque, tu avais mis en ligne un morceau incroyable signé Oliver Mtukudzi, un artiste zimbabwéen je crois...

Brian Shimkovitz - Tu arrives à me voir toi ? Chez moi la connexion est très lente et mon écran affiche des images distordues au ralenti. On dirait de l'art visuel d'avant garde ! C'est complètement fou mais je vais essayer d'ignorer tout ça pour me concentrer et tenter de répondre convenablement. Donc, oui, Oliver Mtukudzi est l'un des musiciens les plus célèbres au Zimbabwe.

C'est un super guitariste. Il a publié un nombre incalculable d'albums depuis les années 70, il n'arrête jamais. Ses mélodies son très rythmées, il joue très vite. Sa musique lui a permis de jouer dans de nombreux festivals en Europe et en Amérique.

A l'époque, j'avais décidé de mettre en ligne une de ses vieilles K7 car les morceaux qui la constituent sont très rares et je pense qu'ils incarnent parfaitement ses idées et le musicien qu'il est. A la base, la K7 était un cadeau. J'en reçois de plus en plus avec le succès du site.

Comment l'idée de créer un blog pour mettre en ligne les K7 que tu ramènes d'Afrique t'est-elle venue ?

J'ai passé un an au Ghana pour un projet de recherches sur le hip-hop local. Après cela j'ai déménagé à New York pour travailler dans l'industrie musicale et représenter des groupes ou des labels. C'est un milieu assez particulier et j'avais besoin d'un projet personnel pour sortir de cette ambiance stressante.

A l'époque je n'arrêtais pas de raconter à mes amis toutes les musiques et les courants incroyables que j'avais rencontrés au Ghana et en Afrique de l'Ouest. Je me suis rendu compte qu'il existait un moyen encore plus direct que la parole pour partager ma passion avec mes amis ou les quelques nerds qui traînent sur des sites bizarres.

 

Je me souviens encore du jour où j'ai décidé de lancer le blog. Je m'ennuyais chez moi avec mon colocataire, et je lui ai dit que j'allais lancer le site car il fallait que je fasse quelque chose avec ces awesome tapes from Africa qui s'entassaient sous mon lit.

C'était en 2006 et le but était de montrer toutes les différentes musiques que l'on peut croiser quand on traverse le continent. Il y a une variété de style et d'intentions assez dingue. Il faut parfois se méfier de ce que les labels américains ou européens veulent nous présenter comme de "la musique africaine".

Ce voyage au Ghana faisait partie de ton programme d'études ?

La première fois que je suis allé au Ghana, c'était en 2002. Et c'était dans le cadre de mes études oui. Il s'agissait d'un court séjour. Mais la deuxième fois j'ai pu y rester une année entière (entre 2004 et 2005) car j'ai pu avoir une bourse du gouvernement américain pour financer mon travail de recherches.

J'étais tellement heureux et conscient de la chance d'avoir cette opportunité ! Tous les groupes et les musiciens que j'ai croisés avaient vraiment faim. Ils n'avaient qu'une envie : faire connaître leur musique au plus grand nombre. Pourtant, les musiques que j'ai rencontrées n'étaient même pas distribuées convenablement dans leur pays d'origine.

J'ai ressenti cette frustration assez rapidement, dès mon arrivée en fait. Et ça a été un long chemin pour trouver l'idée du blog et aboutir à un projet suffisamment sérieux et crédible pour aider tous ces musiciens fantastiques à distribuer leur musique.

 

Si l'on en croit les différents articles sur toi qui traînent sur le web, tu as un diplôme d'ethnomusicologue ? Quelle est ta formation ?

Je suis de Chicago mais j'ai étudié à l'université en Indiana. J'ai une maîtrise en ethnomusicologie et j'ai aussi passé un diplôme d'anthropologie. Je voulais travailler dans le monde de la musique, donc j'ai fait un stage chez Secretly Canadian lors de mes premières années d'études, un super label avec lequel je travaille aujourd'hui pour distribuer les sorties de ma propre structure.

 

Je crois que tu es aussi passé par Belin.

Oui j'y ai vécu un an et demi avant de m'installer à Los Angeles. C'était à une époque où je me concentrais sur les Dj sets. Car c'est le seul moyen pour moi de gagner assez d'argent pour assurer la survie du label. Je fais mes Dj sets avec des K7, je joue dans des soirées et dans des festivals. Cela me permet aussi de parler d'Awesome Tapes From Africa à d'autres groupes, d'établir des connexions avec d'autres styles de musique et surtout de créer un contact physique avec des gens qui aiment danser.

 

A quel moment le blog a-t-il commencé à prendre de l'ampleur ?

Dès l'ouverture du site, beaucoup de personnes ont commencé à m'écrire pour me demander des informations sur les artistes. Au bout de deux ou trois mois, quelques sites américains assez suivis comme Gorilla Vs Bear ont commencé à en parler. Aujourd'hui j'habite Los Angeles, mais j'ai monté le projet à une époque où il y avait un vrai phénomène autour de la culture et de la musique à New York. En 2006, à Brooklyn, tout le monde voulait repenser la musique, chacun avait sa propre perception et voulait la défendre. Un microcosme assez identifiable se déplaçait de soirée en soirée, de coffee-shop en coffee-shop. C'est sans doute un phénomène qui s'est produit dans plusieurs grandes villes du monde : après M.I.A, Animal Collective ou d'autres groupes tout aussi inventifs que j'oublie, les gens sont devenus beaucoup plus réceptifs à d'autres formats d'expression musicale. D'un seul coup, il n'y avait plus seulement le rock, la pop et le rap... Les fans de musique ont ouvert leurs oreilles à d'autres influences.

 

Aujourd'hui, d'où vient la majorité de la musique que tu mets en ligne sur Awesome Tapes From Africa ?

La base de ma collection vient de mes voyages en Afrique de l'Ouest. Quand j'étais au Ghana, il m'arrivait d'envoyer des colis de 200 K7 vers les Etats-Unis ! Aujourd'hui, il s'agit surtout d'absorber d'autres collections qui existent déjà. En fouillant le courrier que je reçois où en suivant les recommandations du réseau qui m'entoure depuis presque dix ans ! Il arrive que des gens me contactent car ils veulent se débarrasser de grosses quantités de K7, souvent à cause de déménagements. C'est une importante source de réapprovisionnement pour moi.

 

Tu continues à voyager en Afrique pour y découvrir de nouveaux groupes ?

Je n'y suis pas allé depuis un bout de temps mais j'espère y retourner dans les six prochains mois. J'étais en Ethiopie l'année dernière, j'ai rapporté quelques K7 mais j'en ai aussi profité pour voyager et profiter des paysages.

 

Comment Awesope Tapes From Africa s'est transformé pour passer du statut de blog très suivi à celui de label ?

C'est lié au label avec lequel je travaille : Secretly Canadian. Ils m'ont contacté pour me proposer leur aide si je voulais monter ma propre structure et tout s'est enchaîné naturellement. J'y avais pensé au fur et à mesure des années et puis c'était aussi un bon moyen pour que les artistes du blog gagnent enfin de l'argent puisque sur le site, l'écoute et le téléchargement sont gratuits. Vendre des disques constituait donc l'étape suivante. Même s'il ne s'agit que de 500 ou 1 000 dollars pour l'artiste, ce n'est pas négligeable.

 

En ce moment, ça commence à bien marcher pour le label : les artistes reçoivent de l'argent, la presse chronique nos sorties et j'ai toujours plus de musiques incroyables à faire découvrir. Mais le plus excitant, en ce qui me concerne, reste d'avoir la chance de travailler directement avec des musiciens que j'admire et dont je suis fan. C'est passionnant de nouer une relation artistique et amicale avec eux tout en aidant à propager leurs talents.

Tu as un exemple de rencontre qui te tient particulièrement à cœur ?

Oui, il s'est passé un truc formidable avec Hailu Mergia, un pianiste éthiopien qui habite Washington. J'ai trouvé quelques-uns de ses enregistrements lors de mon voyage en Ethiopie l'an dernier. Je l'ai un peu stalké sur internet pour prendre contact avec lui et on a finalement sorti un album sur le label qui a vraiment bien marché.

Aujourd'hui il est de retour sur scène, en tournée, alors qu'il n'avait pas donné le moindre concert en 25 ans. Il était chauffeur de taxi et aujourd'hui il est en tournée européenne et prépare la sortie d'une réédition d'un disque qui date de 1977. Il a 68 ans.

 

Tu possèdes combien de K7 aujourd'hui ?

Plus de 4 000. C'est vraiment incroyable car j'ai aujourd'hui l'impression que tous ces enregistrements viennent à moi alors que j'ai passé de longs mois à courir après. Même quand je viens en France c'est le cas, et j'ai maintenant quelques bonnes adresses à Paris, que ce soit à Montreuil, à Belleville ou à Château-Rouge.

 

Azzedine Fall

lesinrocks.com


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