En 2005, je vivais à Bamenda, et l'une des choses qui m'y intriguait, c'était une rue appelée " Church Street ". En fait, Church Street c'est une rue d'à peine 500 mètres sur laquelle étaient concentrées sept églises. Rendu dix ans plus tard, le phénomène est devenu banal pour moi, lorsque j'arpente les rues de Douala et que j'aperçois un peu partout des boutiques, maisons d'habitation, quincailleries, salles de cinéma ou anciennes salles de fêtes transformées en églises.

Si toutes ont en commun le christianisme comme doctrine, chacune d'elles en revanche à sa proposition de valeur. Il suffit de lire leurs dénominations pour se faire une idée de leurs ambitions spirituelles, ou devrais-je dire de leurs promesses spirituelles. Certaines revendiquent détenir seules la vérité, d'autres acceptent la pluralité, et toutes proposent des miracles, des produits dérivés, des spectacles du genre qu'on ne voit que sur Nollywood, des prières spéciales pour obtenir un Visa, un travail, un enfant, un(e) conjoint(e), la multiplication de l'argent ou encore des suivis spirituels pour exceller dans les affaires. En gros, elles promettent une vie meilleure, ou disons plutôt, un accès miraculeux et rapide à une vie meilleure. Tout comme mon voisin à Bamenda qui était parti d'une maison bâtie en parpaing de terre, pour une maison faite de ciment avec une jolie voiture en un an seulement, les leaders de ces églises rivalisent en opulence, exhalent la grandeur et accumulent des biens matériels de manière miraculeuse, justement !... Cependant, tandis que leur enrichissement d'ailleurs exonéré d'impôts croit, le nombre de leurs fidèles croit tout autant, et vu que le résultat des prières ne dépend pas d'eux, mais de Jésus Christ, un " vrai croyant " ne peut pas leur tenir rigueur si entre temps sa vie à lui n'a pas beaucoup avancée... Beaucoup qui ont écrit sur ce sujet jettent la pierre sur ces pasteurs, les accusant d'arnaque, de filouterie, de manipulation. Or, tandis qu'on leur attribue tous les noms d'oiseaux rares pour les désigner comme coupables de cette débâcle sociale qui se déroule avec la bénédiction de la Loi camerounaise sur la Liberté des Associations, moi je vois les coupables ailleurs.

Regardez ces églises lorsqu'elles débutent : un individu qui se présente comme pasteur débarque de nulle part, ouvre un lieu de culte, recrute les premiers fidèles dans son entourage proche ou lors d'une soirée de miracles publiques organisée avec un de ses confrères... Notre cher pasteur promet, ciel et terre, monts et merveilles, accompli quelques unes, donne des promotions ecclésiastiques aux premiers fidèles, lesquels devront les mériter en recrutant de nouveaux croyants. A la clé : une proposition de valeur alléchante : " Nous pouvons faire que vos rêves deviennent réalité... Juste en priant avec vous ! " Lors de leurs célébrations dominicales, il ne s'agit plus de lire et prêcher la Parole, il s'agit d'aller ça et là dans la Bible piocher des versets qui justifient leur proposition de valeur ; il s'agit de miracles, de démonstration du puissance, de manifestations spectaculaires dont le but n'est ni plus ni moins que de susciter chez les spectateurs de vives émotions. Or, lorsqu'on sait que les émotions peuvent influencer jusqu'à 70% le processus de prise de décision chez l'Homme, on comprend logiquement que les résultats suivent, en tout cas pour le pasteur.

Ces " hommes de Dieu " Made of Africa maîtrisent très bien les méandres de l'Intelligence Émotionnelle, ils ont tout compris au Marketing Expérientiel, ils pratiquent la Gestion de la Relation Client mieux que certaines de nos grandes entreprises, et l'amélioration continue de leur Business Model ne laisse aucun doute quant à leurs compétences en Management Stratégique. Cependant, pour les croyants, les conséquences sociales sont celles que nous ne perdrons plus le temps à décrire ici.

Regardons maintenant du côté de ces croyants : ce sont le plus souvent des personnes qui lisent et méditent la Bible régulièrement, mais, là dedans ils évitent soigneusement les parties comme Genèse 3 : 19 où Dieu dit " C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris " ; Ils évitent les passages comme Proverbes 6 : 6-11 où il est écrit : " Va vers la fourmi, paresseux ; Considère ses voies, et deviens sage. Elle n'a ni chef, ni inspecteur, ni maître ; Elle prépare en été sa nourriture, elle amasse pendant la moisson de quoi manger. Paresseux, jusque à quand seras-tu couché ? Quand te lèveras-tu de ton sommeil ? Un peu de sommeil, un peu d'assoupissement, un peu croiser les mains pour dormir ... Et la pauvreté te surprendra, comme un rôdeur, Et la disette, comme un homme en armes ". Pour ces croyants, tandis que la Parabole des Dix Vierges nous apprend que " la chance, c'est quand l'opportunité croise la préparation ", pour eux, ça leur apprend qu'il suffit de prier pour être admis dans la salle des noces. Ils cherchent un Dieu serviteur qui va accomplir leurs desseins ; ils trouvent la réalité de la vie trop dure, et préfèrent s'accrocher à un vendeur d'illusions qui leur promet de les mener à une vie où coulent le lait et le miel... et ceci, sans passer par le désert ! Ils croient certainement que Dieu est tellement accro aux prières des Hommes, tant ils ont oublié qu'il est écrit dans Luc 19 :40 " S'ils se taisent les pierres crieront ", et donc, que ce n'est pas parce qu'ils passent leur temps à adresser des prières à Dieu qu'il dérogera pour eux à ses principes de méritocratie. Ce sont des personnes qui cherchent les voies et moyens pour échapper aux contraintes que le succès impose, qui renient les valeurs du travail, qui pensent pouvoir se dispenser de l'effort, mais en récolter les fruits. Ce sont donc eux les vrais arnaqueurs qui se font tout simplement arnaquer, des pris qui croyaient prendre, des paresseux à qui les " bonbons pasteurs " appliquent merveilleusement bien la Parabole des Talents du Christ.

Je suis d'accord qu'on culpabilise les dealers de drogue qui vendent aux mineurs considérés comme n'étant pas conscients de leurs actes, mais, lorsqu'un adulte consentant cherche lui-même l'adresse d'un dealer et sort le peu d'argent qu'il a pour acheter sa drogue, je pense qu'il est seul responsable des conséquences qui en suivront. Pareillement, face à la situation économique difficile que connait tous les camerounais, certains ont choisi de se shooter avec des prières sensationnelles et d'autres ont privilégié l'approche spiritualiste à l'approche scientifique du travail ; De ce fait, l'accroissement de la demande ne pouvait qu'entrainer un accroissement de l'offre. Nos " bonbons pasteurs " sont responsables des actes qu'ils posent dans le cadre de leur métier devant les autorités compétentes. Quant aux croyants, c'est à eux de savoir mieux choisir les solutions à leurs problèmes, car, avouons-le nous, l'accroissement des églises réveillées au Cameroun n'est pas le résultat d'un regain de foi en Dieu, mais, le fruit d'une quête désespérée de solutions aux problèmes socio-économiques dont souffre notre pays.