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Gonçalo Mabunda et la guerre civile mozambicaine recyclée

  Culture & Loisirs, #

Maputoïte invétéré, Gonçalo Mabunda réalise des masques, des sculptures et du mobilier plutôt inconfortable. Sa matière de travail ? Des kalachnikovs, des roquettes, des pistolets et autres douilles ayant servi pendant la guerre civile mozambicaine (1976-1992). Dans le milieu bouillonnant de l'art contemporain africain, on ne présente plus ce Mozambicain de 40 ans dont les sculptures faites d'armes déconstruites sont déjà passées par les cinq continents.

A Maputo, l'artiste reçoit dans son atelier situé sur l'avenue Karl-Marx, une maison coquette coincée entre un immeuble de douze étages et un fast-food servant du poulet. Trônes, masques et globes terrestres, déjà visibles depuis la rue, parsèment l'allée transformée en galerie d'exposition à ciel ouvert. " Et ça ne rouille pas ? ", s'enquiert-on, la dernière saison des pluies, particulièrement dévastatrice, n'étant pas si loin. " Nooon... ", répond-il nonchalamment, à moitié gêné, sans donner tellement plus d'explications.

Des obus rouillés et évidés

L'arrière-cour est l'espace de travail à proprement parler. S'y entasse, comme promis, un bric-à-brac de réalisations et de morceaux de ferrailles. Et traînent, au milieu du hayon de voiture, des restes d'électroménagers et des tôles, les obus rouillés et évidés. " La poudre est retirée, assure-t-il. Ça peut être dangereux, parfois des balles incrustées explosent. Mais nous avons l'habitude de ce matériau. Il n'y a jamais eu de morts. "

Ce jour-là, le linge sèche sur un fil tendu au-dessus de la ferraille. Mabunda offre le café à l'étage, où les murs présentent le travail de son partenaire dans le crime, le photographe Mauro Pinto. Dans l'un des coins, un cliché immortalise une poignée de main entre le sculpteur, tout sourire, et Bill Clinton. Pour la petite histoire, c'est l'actuelle ministre française de la culture, Fleur Pellerin, qui est venue à Maputo jouer les intermédiaires, afin que Mabunda réalise des trophées en forme de globe terrestre pour l'ancien président. Des trophées que ce dernier a remis au moment de la Clinton Global Initiative, la grand-messe caritative qu'il organise avec sa fondation chaque année à New York.

A l'écouter parler, on pourrait croire que Mabunda doit sa carrière à un coup de chance. Manquant de se réinscrire au lycée, il trouve à 17 ans un travail de coursier au Nucleo de Arte, une coopérative d'artistes qui reste aujourd'hui le véritable poumon artistique de Maputo. " Dans mes heures libres, j'allais à l'atelier voir ce qu'il se passait. On me laissait quelques pinceaux et des cadres ", raconte-t-il. Jusqu'au jour où, le sculpteur sud-africain Andries Botha, à l'occasion d'un workshop organisé sur place, ait besoin d'un assistant et le prenne sous son aile.

Des trônes imposants

A Durban, pendant trois mois, Botha le forme au travail du métal et du bronze, et Mabunda perfectionne sa technique de soudure. De retour au Mozambique, il intègre le projet Arms into Art porté par une organisation chrétienne mozambicaine. " Le Conseil chrétien recueillait des armes depuis la fin de la guerre civile en 1992 pour les détruire. Ils ont mis au défi quelques artistes, dont moi, de les utiliser dans nos créations ", détaille-t-il.

Mais alors que les autres s'affairent à reproduire les animaux de la savane, lui voit grand. Il revisite l'artisanat traditionnel africain et ses masques deviennent grandioses et effrayants. Et surtout, il s'attaque à la représentation du pouvoir avec ses trônes imposants, qui lui procureront l'aval des caciques du milieu. Des trônes que l'on retrouve en ce moment à Venise, mais aussi à Paris, dans la collection permanente récemment remodelée du musée national d'art moderne du Centre Pompidou.

A Beaubourg, ses œuvres y sont entrées dès 2005, à l'occasion de l'exposition itinérante Africa Remix - la première exposition en Europe uniquement consacrée à l'art contemporain africain - qui marque véritablement sa consécration au niveau international. Les critiques louent le travail de mémoire que ses œuvres matérialisent : à lui tout seul il est la catharsis du Mozambique. " Ces œuvres nous permettent de diffuser une vision positive de la culture mozambicaine. Après tout, ce n'est pas évident pour un pays de détruire des armes qui sont encore opérationnelles et de les donner aux artistes ", souligne-t-il.

La kalachnikov sur le drapeau national

Cette année, le Mozambique - tout comme Gonçalo Mabunda - fête ses 40 ans d'indépendance. La " guerre de seize ans " comme on l'appelle ici, qui déchira le pays jusqu'en 1992, causant un million de morts et quatre millions de déplacés, n'est pas encore un lointain souvenir. Alors que la vie politique reste dominée par les deux principaux protagonistes de la guerre - le Frelimo et la Renamo -, le leader de l'opposition, Afonso Dhlakama, n'hésite pas à brandir la menace d'un retour à la lutte armée pour obtenir un partage du pouvoir suite aux dernières élections d'octobre 2014 qu'il conteste.

Mabunda ne se lasse pas des armes. " C'est ma marque de fabrique ! ", sourit-il. Avec le temps, ses sculptures deviennent plus sophistiquées, plus abouties que ses premières œuvres. Un matériau qui reste d'actualité dans un pays où la kalachnikov, qui orne le drapeau national, est l'arme que les policiers trimballent dans la rue lors de leurs contrôles de routine.



Source : www.lemonde.fr


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castagnette
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