Devenez publicateur / Créez votre blog


 

Il faut se battre pour que la couleur de peau soit dramaturgiquement neutre

  Société, #

Il fait partie de cette génération de quadras ayant repris avec passion et enthousiasme la direction des théâtres de la décentralisation. Arnaud Meunier dirige depuis quatre ans l'école et la Comédie de Saint-Etienne, l'un des plus anciens centres dramatiques de l'Hexagone. Son projet y est nourri par une expérience d'une douzaine d'années en compagnie, où, de la Seine-Saint Denis aux Yvelines en passant par Amiens, il a toujours mené à côté de sa pratique artistique, des ateliers de transmission en direction des jeunes. Pour preuve, ce spectacle mis en scène en 2011 : 11 septembre 2001, de Michel Vinaver, monté avec quarante-cinq lycéens issus de Seine-Saint-Denis.

A l'automne dernier, il a lancé un nouveau projet pédagogique : des classes prépas intégrées qui devrait renforcer, de manière modeste mais certaine, la variété culturelle de notre paysage théâtral. Il partage avec nous sa réflexion sur le sujet.

La scène théâtrale française reflète-t-elle la diversité des origines ethniques et culturelles présentes dans notre société ?

A l'évidence, non. On voit bien que ce qui est naturel à Peter Brook (un Hamlet noir) ou à Declan Donnellan (Le Cid noir) ne l'est que très partiellement et très rarement pour les metteurs en scène français.

Doit-elle la refléter, cette diversité, et pourquoi ?

Oui, c'est urgent. Notre secteur de l'art et de la culture se revendique constamment de valeurs progressistes et pourtant, il peine à passer de la parole aux actes. Tout en s'en défendant, notre profession reproduit les inégalités, d'abord dans l'accès au métier de comédien, ce qui se retrouvera, ensuite, en toute logique, dans les distributions. Et même si ce n'est plus très à la mode de le dire, nous sommes tout bêtement face à un problème de classe sociale.

La question de couleur de peau est presque secondaire. Si vous êtes fils d'ambassadeur, votre couleur vous sera moins problématique et vous envisagerez plus facilement de pouvoir embrasser une carrière artistique. J'en suis convaincu : plus on vient d'un milieu aisé, plus la possibilité de « tenter sa chance » semble envisageable.

Le théâtre est-il plus conservateur en France que les autres arts ? Ou que dans d’autres pays européens ?

Il y a des conservatismes à l'œuvre au théâtre qui sont moins présents dans la danse par exemple, parce que le rapport à la langue et à l'écrit est central dans le métier de l'acteur. De manière générale, plus un art est fréquenté par la bourgeoisie, plus il est excluant pour les classes populaires… De ce point de vue, je ne sais pas s'il y a une exception française… Regardez le Philharmonique de Berlin, regardez quand la première femme a pu intégrer l'orchestre et vous comprendrez qu'ils n'en sont pas encore à imaginer un musicien noir !

N’y a-t-il pas un paradoxe aussi à ce que tant d’actions de sensibilisation au théâtre soient menées dans les quartiers, dans tout le réseau décentralisé du théâtre subventionné, et que l’on en voit si peu le résultat sur nos scènes ?

En fait, l'action des théâtres est essentiellement tournée vers la nécessité d'élargir les publics. De ce point de vue, ils font un travail considérable en direction des populations éloignées de l'art et de la culture. Mais pour que nous puissions passer de la sensibilisation à l'appropriation, il manque des dispositifs plus spécifiques, un étage supérieur à notre traditionnelle éducation artistique. Sinon, nous serons toujours soupçonnés de vouloir « éduquer les barbares » sur un vieux mode post-colonial à nouveau de retour…

Pour convaincre les parents (pauvres) que leur enfant a du talent, que ce serait formidable que celui-ci puisse approfondir sa pratique théâtrale au milieu d'autres pour qui cela est une chose aussi naturelle que la piscine, il faut inventer des lieux ad hoc. Car nos conservatoires régionaux restent, eux aussi, majoritairement fréquentés par des milieux aisés quand les familles populaires craignent que cela ne nuise à la réussite scolaire. C'est pour toutes ces raisons que nous avons créé une Classe préparatoire intégrée à l'Ecole supérieure d'art dramatique de la Comédie de Saint-Etienne.

Quels sont les moyens les plus efficaces de faire progresser la représentation des cultures minoritaires sur la scène ? Doit-on pratiquer une sorte de « discrimination positive » dans la programmation ? Sachant que les théâtres publics doivent prendre des risques tout en visant l’excellence…

Il y a deux choses essentielles à faire. Premièrement, il faut changer les mentalités et se battre tous ensemble (et cela concerne aussi les journalistes) pour que la couleur de peau ne fasse plus sens. Qu'elle soit dramaturgiquement neutre. En 2003, quand j'avais mis en scène Pylade de Pasolini avec Josée Schuller (d'origine antillaise), plusieurs journalistes m'avaient interrogé sur la raison d'une déesse Athéna noire… J'avais simplement répondu avoir choisi Josée Schuller et non pas une Athéna noire…

Deuxièmement, il faut agir très concrètement sur tous les niveaux d'inégalité. Cela commence donc dès les concours d'entrée dans les écoles supérieures d'art dramatique. Comment faire pour les préparer ? Où puis-je trouver des cours de théâtre gratuits ou très peu onéreux ? Comment baisser les coûts de ces concours (déplacements en train, scènes avec répliques d'un partenaire obligatoires) ? Une Association des Ecoles nationales supérieures d'art dramatique (ANESAD) vient de se créer et entend bien aplanir ces difficultés.

A Saint-Etienne, nous avons choisi d'opter pour un dispositif d'égalité des chances et non de « discrimination positive ». C'est-à-dire que nous aidons et préparons cinq jeunes issus de la diversité sociale (sélectionnés sur conditions de ressources) aux concours des écoles supérieures d'art dramatique. Pour que leurs chances de réussite professionnelle soient les mêmes que celles d'autres candidats. Cette « classe préparatoire intégrée » a été lancée dès septembre dernier, grâce à la persévérance de mon directeur des études, Fabien Spillmann, à la mobilisation de toute l'équipe de l'école, au volontarisme de la Région Rhône-Alpes et au soutien de la Fondation Culture & diversité.

Lorsque vous avez pris la direction de la Comédie de Saint-Etienne et de son école, quelle était le niveau de diversité de son recrutement ?

Historiquement, l'Ecole de la Comédie de Saint-Etienne a formé pas mal d'artistes comme Sami Bouajila, Nasser Djemaï, Samira Sédira, Abdelwaheb Sefsaf… Il est très intéressant de remarquer que cela a nettement moins été le cas, par exemple, à partir de la mise en place du Diplôme national supérieur professionnel de comédien (DNSPC). Car pour s'inscrire aux concours, le Bac est aujourd'hui requis, et si tel n'est pas le cas, il faut demander une dérogation (en général accordée), ce qui reste symboliquement humiliant !

Nombre de très grands comédiens avec qui je travaille (Serge Maggiani, Anne Alvaro, Catherine Hiegel…) ne l'ont pas. Il ne faut pas tuer la spécificité de nos métiers. Ils sont artisanaux et peuvent s'avérer une revanche pour beaucoup de jeunes gens en délicatesse avec notre système scolaire français… Je trouve aussi très excluant que la scène en alexandrins soit exigée à l'entrée du concours du CNSAD de Paris… Il me paraîtrait beaucoup plus juste que l'acquisition de cette technique soit réservée au programme des trois ans d'étude à venir.

Quel est le profil de ces jeunes ? Quels premiers enseignements en tirez-vous ?

Ce sont tous des jeunes mordus de théâtre et tous issus de milieux populaires. Nous les avons recrutés après un entretien de motivation. Ils ne l'ont pas été sur leur couleur de peau mais sur leurs conditions de ressources ! Depuis septembre, leur transformation en jeunes professionnels est spectaculaire. S'il fallait encore des arguments pour nous convaincre de l'importance des pratiques artistiques dans toutes les écoles, ils s'incarnent ici en ces jeunes bien vivants ! Il faut beaucoup de tutorat et de bienveillance pour renforcer leur confiance face à ces épreuves hyper sélectives. C'est pour cela que nous ne pouvons préparer que de petits effectifs.

Que travaillent-ils ?

En général, ces jeunes apprentis réclament à corps et à cris de pouvoir interpréter les grandes œuvres du répertoire. Ils ne veulent pas être cantonnés à Kateb Yacine s'ils sont d'origine algérienne ou à Koffi Kwahulé, s'ils viennent d'Afrique Noire. Se vivre et se proclamer comme comédien français, c'est, à n'en pas douter pour eux, pouvoir jouer Hugo, Molière et Racine comme « les autres ». Ils vivraient épouvantablement, comme une exclusion de plus, l'idée même que leurs pairs ou les metteurs en scène puissent penser ou dire : « ceci n'est pas pour vous ».

Quel est le rôle du spectacle vivant dans la construction d’un meilleur « vivre ensemble » ?

L'artiste ne peut pas tout. Il n'y a pas de remède miracle. Notre société devient de plus en plus inégalitaire. C'est un fait objectif. Et c'est contre cela que les pouvoirs publics ont une impérieuse obligation de lutter. Comme disait Fernand Léger : « L'art, c'est la revanche des sensibles sur les intelligents ». En apportant de la bienveillance, de la considération, de la confiance, nous contribuons à réparer les violences objectives faites aux plus faibles.

Quelle est la responsabilité d’un directeur de théâtre face à cette même question ?

En ayant la responsabilité d'une institution financée, en grande partie, par de l'argent public, j'ai des moyens et des équipes qui permettent d'agir de manière vitale pour nos démocraties. Sans renoncer à l'exigence artistique, les axes concrets d'action sont simples : privilégier les auteurs vivants notamment issus de la francophonie (où les femmes sont aussi mieux distribuées que dans les œuvres du répertoire), programmer des compagnies qui ont à cœur de porter ces problématiques au plateau, accompagner des artistes de toutes origines.

Pour ma part, je mettrai en scène Le retour au désert de Bernard-Marie Koltès. Il l'avait déjà pensé, à l'époque, comme un geste politique, en préconisant deux comédiens arabes et un noir. Les premières répliques de la pièce sont prononcées par Mathilde (interprétée par Catherine Hiegel). Elles sont en arabe…

 

telerama.fr


PARTAGEZ UN LIEN OU ECRIVEZ UN ARTICLE

Pas de commentaire

Pas de commentaire
 
ndaya
Partagé par : ndaya@France
VOIR SON BLOG 43 SUIVRE SES PUBLICATIONS LUI ECRIRE

SES STATS

43
Publications

1779
J'aime Facebook sur ses publications

77
Commentaires sur ses publications

Devenez publicateur

Dernières Actualités

Pas d'article dans la liste.