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Il faut une vrai banque africaine pour sa diaspora en Europe !

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Vous êtes le Directeur régional de la BANK OF AFRICA (BOA) à Marseille. On vous entend souvent défendre, dans des rencontres et les médias, l'idée d'une banque d'investissement de la diaspora. Qu'est-ce qui motiverait ce projet ? 


Les prévisions de la Banque Mondiale en ce qui concerne les transferts de fonds des migrants vers l'Afrique subsaharienne devraient atteindre environ 67 milliards de dollars US en fin 2014. Ces sommes importantes représentent entre 10 et 24 % du PIB des pays concernés. Par contre, on constate qu'environ 85 % de ces sommes sont utilisées à des frais de consommation et ne permettent pas encore de financer les économies des pays récipiendaires ! D'où l'impérieuse nécessité de trouver des solutions optimales en vue de mobiliser ces fonds pour financer les économies des pays concernés. Une des solutions est naturellement la mise en place d'une véritable banque d'investissement de la diaspora pour canaliser ces flux importants en provenance de la diaspora africaine et qui garantissent la solvabilité souveraine des pays concernés en vertu de leur caractère contrat cyclique, car n'étant pas impactés par la crise financière. En plus, force est de constater que ces envois des migrants ont dépassé, sur les dernières années, l'aide publique au développement. Et cela appelle à une meilleure organisation des pays du Sud pour mieux profiter des retombées de ces fonds.

Quels seront les objectifs et caractéristiques de cette banque d'investissement ?

Les grands enjeux auxquels nous sommes confrontés sont de deux ordres. Le premier est de travailler à réduire les couts des transferts d'argent vers la zone Afrique (qui se situent entre 10 à 12 %) contrairement à la zone Asie (entre 6 à 8 %). La fluidification du marché des transferts de fonds a permis de stimuler la concurrence et cela a participé à baisser les couts de transferts et en diminuant, par ricochet, la part des transferts informels qui s'expliquaient en partie par la cherté des couts. La bi-bancarisation des migrants constitue aussi un levier important dans le cadre de la réduction des coûts de transfert, mais également dans le cadre de la promotion de l'inclusion financière, préalable pour augmenter les taux de bancarisation sur le continent.

Le second enjeu réside dans l'impérieuse nécessité de mieux mobiliser les fonds en provenance des migrants en vue de financer les économies des pays récipiendaires, c'est-à-dire comment faire pour que les banques africaines puissent utiliser cet argent pour pouvoir augmenter leurs ressources en vue d'augmenter les accès aux financements pour les PME en Afrique, si l'on sait que celles-ci représentent la quasi-totalité du tissu économique du continent. Ainsi, une banque d'investissement de la diaspora serait un outil optimal pour pouvoir accompagner ces flux et mettre en place des stratégies de développement et d'accompagnement de ces flux financiers important.

Cette banque pourrait reposer sur un fonctionnement autour de trois pôles principaux :
- Un pôle crédit avec la mise en place d'un fonds de garantie dont la mission principale serait de garantir aux migrants un accès satisfaisant aux crédits bancaires auprès des banques commerciales, sur la base d'études de faisabilité et de solvabilité en amont des projets à financer
- Un pôle Investissement dont la mission principale serait d'envisager une participation avec un capital-investissement dans des projets de développement portés par des migrants et créateurs d'emploi dans le pays. Ce fonds pourrait permettre l'achèvement de véritables projets d'investissement productif et stimuler par la même occasion aussi l'initiative privée des migrants. Des investissements stratégiques pourraient être faits dans des projets innovants avec une prise de participation de ce fonds d'investissement.
- Un Pôle Assurance avec la mise en place d'un fonds spécial pour gérer la question importante des rapatriements de corps en cas de décès. Les communautés africaines sont encore confrontées à cette question cruciale du rapatriement des corps et cela appelle à une meilleure organisation pour mieux faire face aux nombreuses difficultés jusqu'ici rencontrées.

Quand on sait que les États africains ont des priorités locales plus urgentes et plus réalistes, comment cette banque, dont les retombées en matière de développement restent aléatoires, sera-t-elle financée ?

Non ! Je ne pense pas que cela soit irréaliste ou infondé ! Les envois des migrants africains représentent entre 10 et 24 % du PIB des pays concernés et dépassent de loin l'aide publique au développement. Donc ces envois doivent être considérés comme une nouvelle source de financement pour nos pays du Sud, si l'on sait aussi que la dette s'essouffle depuis la crise financière de 2008. Nos pays du Sud sont tributaires de l'aide internationale et l'encours de cette dette tourne aujourd'hui aux alentours de mille milliards de dollars US. Nous savons également que le déficit du financement se situe entre 370 et 700 milliards de dollars US. Donc, l'Afrique doit repenser son financement autrement et c'est cela qui justifie l'impérieuse nécessité de faire appel aux financements des expatriés africains. Ceci doit faire partie des priorités puisqu'une meilleure mobilisation de ces fonds importants permettrait aussi à nos États de mieux faire face aux priorités locales. Repenser la diaspora et en faire un véritable partenaire au développement, voilà une priorité absolue à laquelle nos pays doivent s'atteler. Car, au-delà d'être une source de financement stable en terme de rentrée de devises dans les pays du Sud, les ressources de la diaspora doivent être conjuguées et prises en compte dans les processus de développement de nos pays du Sud. En gros, la diaspora reste un levier important de nouvelle source de financement pour permettre à nos états de mieux faire face aussi à la demande intérieure. Les retombées en termes de développement peuvent être décisives si nous arrivons à mobiliser de façon efficience ces fonds en vue de financer les économies de nos pays du Sud.

Pour ce qui est du financement de cette banque d'investissement de la diaspora, plusieurs pistes peuvent être envisagées. Le prélèvement d'une taxe spécifique à imaginer par nos États permettrait de financer cette banque, tout comme l'émission d'obligations diaspora pour lever des fonds. Il s'y ajoute aussi la possibilité d'ouvrir le capital de cette banque aux banques commerciales qui pourraient y apporter un concours financier. Une participation au capital pourrait aussi être imaginée pour les migrants.

Quel rôle pourraient jouer les instituions financières internationales dans son avènement ?

Les institutions financières internationales peuvent et doivent jouer un rôle de facilitateur pour la mise en place de cette banque d'investissement de la diaspora. La Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, l'Agence Française de Développement et bien d'autres institutions ont fini de démontrer l'importance d'une meilleure mobilisation des fonds en provenance des migrants en vue de financer les économies des pays du Sud. À titre d'exemple, les prévisions de la Banque Mondiale estiment que l'Afrique pourrait lever 17 milliards de dollars US juste en titrisant les futurs flux de transfert d'argent vers le continent. L'idée d'émission de bons de la diaspora constitue aussi un levier important pour pouvoir lever des fonds au niveau de la diaspora dans le cadre d'emprunts obligataires qui peuvent participer à financer nos pays.

Peut-on imaginer, à terme, que cette banque d'investissement se substitue à ces institutions financières (Banque mondiale, FMI) en vue du développement du continent ?

Non, il ne s'agit point de se substituer à ces institutions financières internationales. Loin de là ! Il s'agit juste de repenser les fonds en provenance des expatriés africains, qui en plus de réduire considérablement la pauvreté sur le continent, peuvent aussi participer à financer les économies de nos pays du Sud, dans un environnement de crise internationale avec l'essoufflement de la dette.

Existe-t-il déjà des études de faisabilité pour évaluer les retombées d'une telle banque d'investissement ?

Beaucoup de rapports et d'études de faisabilité ont déjà été produits par la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement et bien d'autres institutions sur la nécessité d'une meilleure mobilisation des fonds en provenance de la diaspora. Maintenant, nous devons juste passer au temps de l'action et c'est à ce niveau-là qu'il faut agir.

Concrètement, pensez-vous que les émigrés soient demandeurs d'une telle initiative ? Et quels avantages l'émigré lambda tirerait-il d'ailleurs avec la mise en place éventuelle de cette institution financière ?

Bien évidemment que chaque émigré serait soulagé si les conditions financières seraient plus favorables dans le cadre de sa relation bancaire avec son pays d'origine. Un accès satisfaisant aux crédits locaux dans le pays d'origine serait non seulement bénéfique pour les émigrés, mais pourrait aussi booster la consommation et la croissance. Cette banque pourrait permettre un accès facile aux crédits immobiliers pour les émigrés et avec la mise en place d'un système de bonification des taux d'intérêt. On pourrait ainsi réduire de façon considérable le différentiel des taux d'intérêt entre le pays de résidence et le pays d'origine. Ce différentiel des taux d'intérêt constitue un frein notoire au concept de bi-bancarisation qui reste une option viable dans le cadre d'une meilleure mobilisation des ressources des migrants africains. Les avantages sont probants aussi bien pour les migrants que pour l'économie du pays d'origine.

En tant que banquier, pouvez-vous nous dire quels sont les produits financiers les plus prisés par les Africains de la diaspora ?

Aujourd'hui, environ 85 % des envois des Africains de la diaspora sont utilisés pour des dépenses de consommation (alimentaires, dépenses de santé, d'éducation, fêtes religieuses...). Les 15% restants constituent l'investissement immobilier et l'épargne personnelle. Maintenant, nous devons tout faire pour augmenter cette dernière partie, car cela permettra aux banques de mobiliser l'argent et de pouvoir disposer de ressources en vue de financer les économies. La mise en place d'une banque d'investissement, avec des outils de garantie et d'investissement, permettrait d'augmenter la part des investissements et stimulerait davantage la consommation locale et la croissance dans nos pays.

Cette banque est-elle vraiment nécessaire, quand on sait qu'il existe déjà plusieurs institutions financières qui opèrent dans ce créneau et qui profitent donc aux expatriés africains en leur proposant plusieurs services ?

Il existe des banques commerciales avec des offres dédiées aux Africains de la diaspora, mais cela ne résout toujours pas les principaux problèmes. Il est vrai que la fluidification du marché avec l'arrivée de plusieurs acteurs bancaires et de sociétés de transfert d'argent a permis de réduire considérablement les coûts de transfert, mais hélas la question capitale d'un meilleur impact de ces fonds sur le développement des pays du Sud reste toujours d'actualité. Donc il nous faut nécessairement utiliser d'autres leviers pour se financer autrement. Une des pistes fondamentales de se financer autrement en Afrique réside en partie dans l'option d'une meilleure mobilisation des ressources en provenance de la diaspora.

Une banque d'investissement de la diaspora ne va-t-elle pas sonner le glas pour les agences d'envoi d'argent et autres circuits informels qui inondent déjà le marché?

Non cette banque n'aura pas vocation à se substituer aux banques commerciales ou aux sociétés de transfert d'argent. La vocation de cette banque sera d'accompagner la dynamique des transferts de fonds et l'organisation de ces flux en vue de leur meilleure utilisation pour mieux impacter nos économies. Les fonds de garantie et d'investissement auront pour vocation d'accompagner les migrants dans leurs relations bancaires et d'investissement dans le pays d'origine. Les transferts informels, pour leur part, continueront de diminuer progressivement avec la stimulation de la concurrence qui participe à la baisse des couts de transfert formel. Les migrants sont plus sécurisés par ces transferts formels et la réduction de cette part d'informel reste aussi un défi majeur que nous devons relever. Cette banque d'investissement de la diaspora serait aussi un outil formidable pour lancer des obligations diaspora en vue de lever des fonds, aussi bien dans les pays du Nord mais également dans le marché régional en Afrique.

Vous effectuez régulièrement des tournées en Afrique dans le cadre de votre travail. Est-ce que vous en profitez pour vendre cette idée aux autorités politiques et économiques des différents pays que vous visitez ?

Nous sensibilisons les autorités africaines, à chaque fois que l'opportunité se présente, sur cette impérieuse nécessité de repenser la diaspora et d'en faire un véritable " partenaire au développement ". La diaspora ne doit pas et ne doit plus juste être considérée comme une source de revenus pour les pays du Sud ou parfois comme un territoire électoral. Une utilisation optimale des ressources de la diaspora, aussi bien financières et aussi en termes de ressources humaines, reste une option fondamentale dans le développement de nos pays du Sud.

Étant donné que toutes les diasporas ont les mêmes besoins, l'idéal serait-il donc de promouvoir une banque d'investissement régionale ou sous-régionale ? Serait-il d'ailleurs possible ?

Si l'on s'inscrit dans la même logique des zones d'intégration économique régionale (UEMOA, CEMAC...), rien n'empêche d'imaginer un caractère sous régional pour cette banque. Les pays du Sud peuvent se donner ensemble les moyens de la mise en place de cette banque d'investissement de la diaspora. Maintenant, il faudra juste de la volonté politique pour franchir le cap et se donner les moyens de réussir à relever ce défi majeur, car les études ont fini de démontrer la crédibilité et l'efficience de la mobilisation optimale des fonds des migrants pour financer les économies des pays récipiendaires.

En tant que panafricain convaincu, cette perspective de banque continentale ou régionale serait-il un pas important vers les Etats-Unis d'Afrique dont vous rêvez ?

Naturellement ! Ma conviction demeure que l'intégration africaine ne pourra être parachevée sans une parfaite intégration économique de tout le continent. C'est le commerce qui façonne le monde et c'est aussi à travers l'économie que l'on comprend le monde d'aujourd'hui. Si nous voulons parfaire l'intégration africaine, nous devons travailler à imbriquer nos économies en vue d'atteindre des points de convergence et un niveau de développement uniforme. Ceci est une base de départ pour imaginer la création d'une future monnaie, instrument de souveraineté, d'un futur marché commun. Ce sont des leviers importants pour un développement intrinsèque de notre continent. Repenser l'Afrique de demain appelle aussi à l'émergence d'une " nouvelle diaspora africaine " qui doit participer, de façon active, aux processus de développement, de par sa contribution à la réduction de la pauvreté et ses apports de valeur ajoutée et de qualifications professionnelles acquises dans les pays du Nord. Mais aussi cela passera aussi par une mobilisation optimale de leurs ressources financières en vue de mieux participer au financement des économies locales. Si nous réussissons à relever ces nombreux défis, nous pourrons aisément imaginer de parfaire bientôt les Etats-Unis d'Afrique, car ma conviction demeure que cela reste une option fondamentale pour relever les nombreux défis qui se posent à notre continent, dans un monde de plus en plus globalisé ; où il n'y a pas de place pour les petits et que seule l'union peut permettre de faire face aux grandes puissances. C'est tout le sens de ce rêve des Etats-Unis d'Afrique que je partage avec des millions d'Africains qui veulent projeter durablement l'Afrique vers des lendemains meilleurs. Si nous réussissons ce pari, l'Afrique sera un véritable acteur des relations internationales au lieu d'en être, comme c'est le cas aujourd'hui, un sujet des relations internationales. Je pense que la responsabilité de chaque Africain est engagée pour relever ces nombreux défis.


Afriqueconnection.com




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