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Kendrick Lamar, pour tout l'or de Compton

  Société, #

C'est l'histoire d'un petit gars noir bourré de talent. Il a vu le jour il y a 27 ans dans le ghetto de Compton aux abords de Los Angeles. Compton est connue pour la violence de ses gangs et pour la dextérité de ses artistes rappeurs qui ont su faire pousser sur ce terreau dangereux des œuvres vénéneuses, conçues dans l'urgence. C'est l'histoire de Kendrick Lamar, 64 kilos et trois albums, adoubé par tout le monde, et d'abord par ses grands frères à l'instar de Dr Dre, Snoop Dogg, Chuck D ou Pharrell Williams. Pas étonnant que les publicitaires se l'arrachent, que les adversaires le redoutent. Funambule, l'auteur de King Kunta danse sur le fil de son succès, entre fierté et humilité, incrédulité et candeur feinte.

C'est l'histoire enfin d'un nouvel opus propulsé au plus haut des sommets. Sur la plateforme Spotify, il a battu tous les records en quelques jours. De mémoire de critique, il y a bien longtemps qu'un album ait eu autant d'attention. Il faut peut-être remonter à Illmatic de Nas (1994) - et encore. Que contient-il ce disque qui a instantanément séduit le public et la presse, à l'intérieur comme à l'extérieur des Etats-Unis ?

Entre loyauté et trahison

Les 12 titres de son précédent album Good Kid, M.A.A.D City, sorti en 2012, étaient autant de plongées dans la vie à Compton, façon cinéma vérité. A suivre le jeune rimeur, on finit par comprendre que la précision des détails autobiographiques ne se donne pas pour la clef de son œuvre. Ce qui importe, à ses yeux, c'est la couleur, les nuances, la profondeur et l'harmonie de l'ensemble. Kendrick Lamar ne répugne pas à nous faire partager les tourments internes qui le taraudent, entre loyauté et trahison. Rester fidèle aux siens et on risque de tomber avec eux. Prendre la poudre d'escampette et c'est la culpabilité qui vous ronge pour le restant de vos jours. Personne ne sort grandi et surtout pas le rhapsode qui ne s'épargne guère.

Loin du rappeur bodybuildé, enfermé dans sa bulle et enivré par les effluves de son propre nombril, l'enfant de Compton (Straight Outta Compton, de NWA, reste dans tous les mémoires) est présent au monde. Mieux, il nous ouvre grandes les portes de sa conscience rapiécée comme un manteau d'Arlequin. Il nous entraîne avec assurance dans son théâtre intérieur où il joue tour à tour la proie et le prédateur, la victime et le bourreau, l'enfant et sa mère. Kendrick Lamar excelle dans l'autoportrait aux mille éclats, le kaléidoscope générationnel.

Le nouveau disque To Pimp A Butterfly (2015) défriche le même terrain, la plume en plus acérée, la voix plus assurée, la cadence plus funky. Ici, la polyphonie narrative atteint des limites, d'où la richesse et la longueur de cet opus qui compte pas moins de 16 morceaux.

Fils prodigue

Et voilà le fils prodigue au plus haut de sa forme. Sans effort apparent, les voix se mêlent, se marient et se confondent comme autant de personnages égarés dans les paysages cauchemardesques de l'Amérique noire de Barack Obama. Les textes de Kendrick Lamar sont denses comme des fragments de nouvelles. Les sentiments des personnages sont subtilement croqués, imbriqués et étalés. Ces textes sont autonomes, reliés entre eux par un fil rouge, une douleur commune. Ils ont pour règle de ne pas se donner à la première écoute. Ils vous résistent longtemps et il faut plusieurs d'écoutes pour en épuiser la force, en percer les secrets. Les poètes du ghetto ont droit à l'opacité.

Qu'il déborde de sève érotique (For Free ?), qu'il dénonce les vexations affligées aux plus noirs d'entre les Noirs (The Blacker The Berry), qu'il dialogue avec le fantôme de Tupac dans le dernier morceau (Mortal Man), Kendrick Lamar a toujours en bouche les mots qu'il faut, crachés au bon moment. Tout est à sa place. Le génie de Kendrick Lamar saute aux yeux dès le titre. A ce jour, nul n'avait eu le culot de mettre sur le trottoir les créatures les plus séraphiques après les anges : les papillons.

En bonus, la lutte de la chrysalide et du papillon. Une allégorie à méditer en écoutant encore et encore To Pimp A Butterfly.

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l'actuelle République de Djibouti, il vit entre Paris et les États-Unis où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd'hui professeur à George Washington University. Auteur entre autres de " Aux États-Unis d'Afrique " (JCLattès, 2006), il vient de publier " La Divine Chanson " (Zulma, 2015).

www.lemonde.fr


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roberto
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