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L'Afrique peut-elle désormais vraiment juger elle-même ses dictateurs ? ...

  Politique, #

Le président soudanais Omar Al-Bachir, de retour à Karthoum, le 15 juin 2015. Crédits : AFP 

C'est depuis Nairobi que Ben Kioko suit avec une émotion teintée de fierté le procès d'Hissène Habré qui s'est ouvert le 20 juillet à Dakar. Pour la première fois dans son histoire, l'Afrique juge un de ses anciens présidents : le dictateur tchadien renversé en 1990, après huit ans de règne brutal, et accusé de " crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes de torture ". Discret et réservé, Ben Kioko se contente de saluer ce qu'il qualifie de " plus grande réussite collective africaine pour combattre l'impunité ".

Cet ancien conseiller juridique de l'Union africaine (UA) a orchestré durant six années ce processus judiciaire unique. Ben Kioko ne s'étend pas sur les obstacles politiques qu'il a eus à contourner, à commencer par la réticence de l'ancien président sénégalais, Abdoulaye Wade dont des proches ont profité des largesses de l'ex-dictateur.

" Le Comité d'éminents juristes africains a contribué à sauver l'affaire Habré en apportant des réponses juridiques et non politiques ", relève l'avocat américain Reed Brody.

" J'avais proposé la mise en place d'un comité d'éminents juristes africains nommé par le président de l'UA pour mener à bien ce long déroulement judiciaire ", souligne de sa voix calme cet homme simple au visage poupin. " Ce comité a contribué à sauver l'affaire Habré en apportant des réponses juridiques et non politiques ", relève l'avocat américain Reed Brody, conseiller juridique de Human Rights Watch.

Ce qui n'est pas sans gêner Ben Kioko, l'artisan modeste. Lui préfère se souvenir des nuits passées à disséquer les rouages des Chambres extraordinaires cambodgiennes qui ont jugé certains caciques khmers rouges. Il s'en est inspiré pour penser la structure de ce tribunal ad hoc au sein des juridictions sénégalaises : les Chambres extraordinaires africaines.

La justice face aux puissants

Tout le monde en Afrique ne se réjouit pas de ce procès historique et finalement expérimental qui se déroule à Dakar, en vertu de la compétence universelle. Mais tout le monde l'observe, tant il peut marquer un tournant en matière de justice internationale sur le continent africain, et éventuellement faire jurisprudence. Une manière de démontrer, voire de donner une leçon au monde, que l'Afrique peut juger elle-même ses anciens présidents accusés de crimes contre l'humanité.

Sur ce continent, laboratoire de la justice criminelle internationale, certains dirigeants usent et abusent de leur puissance politique pour contrer, saboter ou aménager des institutions judiciaires sur-mesure. Cornaqués par le nonagénaire Robert Mugabe, au pouvoir au Zimbabwe depuis trente-cinq ans et actuel président en exercice de l'Union africaine (UA), quelques présidents agitent la menace d'un retrait de la Cour pénale internationale (CPI). D'aucuns se trouvent dans le viseur de la procureure Fatou Bensouda : le Soudanais Omar Al-Bachir, le Kenyan Uhuru Kenyatta ou encore le Rwandais Paul Kagamé. Eux fustigent une justice " sélective ", " impérialiste " ou " néocoloniale ", c'est selon.

Cette croisade contre la CPI, certains l'ont déjà éprouvé au niveau régional. A l'instar de Robert Mugabe, qui avait démantelé le tribunal de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) à la suite d'un verdict rendu en 2007 en faveur d'un fermier blanc qui accusait l'Etat du Zimbabwe d'expropriation foncière. Une illustration de la vitalité d'une justice régionale indépendante et de la force politique parfois employée pour l'anéantir.

L'Union Africaine, entre quête de justice et pressions politiques

" Le procès d'Hissène Habré pourrait bien rester un cas isolé, une anomalie concédée par l'UA, car l'influence de l'ancien dictateur est aujourd'hui limitée, et les crimes jugés remontent aux années 1990 et sont documentés, constate Gerhard Anders, spécialiste de la justice internationale à l'université d'Edimbourg. L'UA ne semble pas vraiment engagée contre l'impunité des chefs d'Etat africains, comme le démontre le bras de fer avec la CPI ".

Un scepticisme que veut nuancer Ben Kioko. " Je pense que ce serait une erreur que d'observer les avancées africaines en matière de justice criminelle internationale uniquement à travers le prisme de la CPI ", commente celui qui devenu en 2012 l'un des onze juges de la Cour Africaine basée à Arusha, en Tanzanie.

Lors du sommet de l'UA qui s'est tenu à Malabo en juillet 2014, les dirigeants africains avaient débattu du protocole d'élargissement des compétences de cette future Cour pénale internationale africaine. Elle se veut complémentaire de la CPI et des autres instances judiciaires régionales. Une avancée notable qu'il reste à concrétiser.

" Un simple soldat américain est plus protégé qu'un chef d'Etat africain ", s'indigne un responsable de l'Union africaine

Avec toutefois un bémol : l'introduction d'un article qui garantit l'immunité personnelle pour les chefs d'Etat et les fonctionnaires de haut-rang. Un pas en arrière dans la lutte contre l'impunité, dénoncé avec verve par des organisations de la société civile. Mais ce protocole très controversé n'a pas encore été ratifié.

" Quelle organisation ne protège pas ses chefs d'Etat en exercice ?, feint d'interroger un responsable de l'UA. La réalité est la suivante : un simple soldat américain est plus protégé qu'un chef d'Etat africain. Or, nous démontrons notre volonté de juger nos anciens chefs d'Etat accusés de crimes contre l'humanité, et ce serait bien que des puissances occidentales fassent de même ".

Justice africaine en mouvement

Sur le plan judiciaire, l'UA peine à s'affirmer et reste à la merci de ceux qui la dirigent, la financent, l'utilisent et parfois l'instrumentalisent. L'organisation panafricaine se révèle aussi utile pour conférer une dimension continentale à des affaires bilatérales. Comme l'a récemment démontré le Conseil paix et sécurité de l'UA en convoquant une réunion extraordinaire au lendemain de l'interpellation, le 20 juin à Londres, du chef des services de renseignements, Emmanuel Karenzi Karake.

Sur le plan judiciaire, l'UA peine à s'affirmer et reste à la merci de ceux qui la dirigent, la financent, l'utilisent et parfois l'instrumentalisent.

Le maître espion de Kigali a été arrêté par les autorités britanniques, en vertu d'un mandat d'arrêt parmi les 40 délivrés par un juge espagnol en 2008. Une démarche qualifiée à l'époque de " coup d'Etat judiciaire néocolonial " par l'administration Kagamé. Cette fois, le Rwanda et l'UA ont parlé à l'unisson pour dénoncer cette " attaque contre toute l'Afrique ". Et de renouveler leurs doutes sur le principe de compétence universelle, perçu comme un instrument d'ingérence occidentale.

Pour parvenir à l'organisation du procès d'Hissène Habré, il aura fallu le déclic venu des autorités judiciaires belges qui ont délivré un mandat d'arrêt international en 2005, à la suite d'une plainte déposée par des victimes tchadiennes cinq ans plus tôt. Mais aussi l'acharnement de HRW, le courage des victimes du dictateur, ainsi que la détermination de l'UA et du Sénégal présidé par Macky Sall. A quand une procédure 100 % africaine ?

Le procès d'Hissène Habré est une première qui laisse néanmoins entrevoir de l'espoir. D'ailleurs, ces Chambres extraordinaires africaines servent de modèle d'inspiration en Centrafrique où les autorités de transition s'apprêtent à créer une Cour pénale spéciale chargée de juger les crimes graves commis depuis 2003. Et un peu partout en Afrique, des juridictions nationale ou régionale tentent de s'affirmer face aux politiques. C'est ainsi que la cour de justice d'Afrique de l'est instruit actuellement une plainte déposée par des organisations de la société civile et des avocats burundais contre le président Pierre Nkurunziza qui brigue un troisième mandat.



Source : www.lemonde.fr


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