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L'Afrique réveille le rap français

  Musique, #

En 1996, le Ministère AMER est au sommet de sa gloire, et les carrières solo de ses membres commencent à se dessiner. Après un album à succès Les Tentations, Passi songe à mettre en œuvre une idée qui le travaille depuis quelques années : marier rap français et musiques populaires africaines. En 1999, Bisso na Bisso débarque donc sur les ondes, avec l'effet d'un raz-de-marée. Dans un rap français encore très crispé et complexé, l'ouverture musicale dont font preuve les membres du groupe élargi dénote, et la France découvre, par l'intermédiaire de l'albumRacines, qu'il y a énormément de bonnes choses à prendre dans la musique africaine -au sens très large. Succès populaire dépassant les frontières communautaires, l'aventure de Passi et ses potes a abouti sur un Zénith parisien et surtout une tournée sur tout le continent africain.

Étrangement le phénomène Bisso na Bisso n'a pas véritablement engendré de suiveurs, en France. Quand le groupe revient pour un deuxième album, une décennie s'est écoulée, et hormis quelques tentatives de Kery James sur Si c'était à refaire, un vide sidéral s'étend sur la case de jonction entre rap français et sonorités africaines. Le seul artiste qui tente alors de sortir des sentiers trop balisés du game francisé est Mokobé. Après une décennie de succès avec le 113, il est le premier à avoir jugé bon de réorienter sa carrière vers ses racines africaines. Précurseur, il tient dès 2007 un discours qui pourrait être mot pour mot celui d'un MHD ou d'un Niska, une décennie plus tard : "Afrika Bambaataa, Grandmaster Flash, Run DMC, les pionniers du rap, étaient très attachés à l'Afrique. On a cette chance-là de pouvoir puiser dans la musique mandingue, des griots, qui sont celles de nos parents, de nos ancêtres, plutôt que la soul, le jazz américain. C'était aussi pour réconcilier l'Afrique et l'Occident avec la musique" (interview WeLoveMusic, 2007)

 

Hormis les tentatives très solitaires de Mokobé et du Bisso na Bisso, le rap français reste encore refermé sur lui-même. Le succès international de Magic System, qui collabore régulièrement avec des têtes d'affiches hexagonales, sauve les apparences, mais il ne s'agit encore que de collaborations ponctuelles qui restent intrinsèquement hétérogènes : de la même manière que le rap a tenté de se mélanger à l'électro (TTC), au rock (Casey) ou au jazz (Oxmo Puccino), il combine avec le zouglou ivoirien, sans jamais fusionner complètement, ni plonger entièrement dans ses racines.

La trap d'Atlanta comme liant entre rap français et musiques africaines

Bien sûr, à l'époque, quelques rappeurs continuent à revendiquer leur africanité -Alpha 5.20 ou Lalcko en premier lieu, ou la Mafia K1Fry d'une manière différente- mais la fusion entre musiques locales et rap occidental n'est que partielle : elle se concentre sur le discours, la revendication, mais ne marie que peu les genres musicaux. Il faut attendre l'arrivée d'une troisième variable d'ajustement pour que l'idylle entre les deux styles pas loin d'être opposés -l'un historiquement froid, l'autre plutôt chaleureux- se fasse définitive. À partir de 2012, la trap et la drill prennent d'assaut Chicago et Atlanta, deux pôles croissants de la scène américaine. Pour Binetou Sylla, DJ mais surtout directrice du label Syllart Records (label historique de musiques africaines),"la trap, ça vient d'Afrique, ce sont des attitudes purement africaines. La scène de Chicago a clairement été inspirée par les mentalités africaines en terme de musique, de gestes, de postures".La trap, beaucoup plus rythmique que le rap classique, ses attitudes hyper-décomplexées, et son amour des pas de danse improbables, joue le rôle de liant entre les ingrédients a priori non-miscibles.

Vingt ans après les germes déposées par Passi, l'Afrique est plus que jamais le moteur de la nouvelle scène rap français. Le succès incroyable du titre Sapés comme jamais -l'un des titres les plus joués en France en 2015, tous genres confondus- n'est que la partie émergée de l'iceberg. Maître Gims, faiseur de tubes par excellence, l'a bien compris : pour faire danser le peuple, rien de tel que la rumba congolaise -héritée de la rumba cubaine il y a un siècle. Fondue à des sonorités plus habituelles pour l'oreille française -peu encline à la nouveauté- la tendance congolaise est l'une des principales aspirations pour les têtes d'affiche du moment. Associé à Gims sur ce titre, Niska, lui aussi originaire du Congo, est très fortement influencé par les sonorités locales. Interviewé par Yard, il explique : "J'écoute beaucoup de musique africaine. J'aime bien les musiques nigériennes, congolaises, ivoiriennes ou maliennes. Je me retrouve dans le message [...] On m'assimile à la trap, mais il y a beaucoup d'Afrique dans ce que je fais. Dans mes chansons, tu ressens beaucoup l'Afrique, c'est quelque chose qui me tient à coeur. Les danses, le coupé-décalé ... j'ai entendu des critiques là-dessus, et je trouve dommage qu'à l'heure actuelle, quand on essaye de mettre des danses de chez nous en avant, on vienne en rire."

" Alors on danse ... "

Au delà de l'aspect purement musical, les influences africaines se retrouvent également très fortement dans la gestuelle des rappeurs français. Pour Binetou Sylla, "la danse est un vecteur important de cette africanisation du rap français, les Américains l'ont déjà compris et assimilé depuis belle lurette. Qu'on ne s'étonne pas si demain, des rappeurs français dits "thugs" se mettent à danser, car quand on parle de beats africains, on sous-entend toujours pas de danse". Niska est bien entendu l'exemple le plus parlant, illustrant à merveille ce carrefour d'influences, à mi-chemin entre la gestuelle atlantienne de Skippa da Flippa et le n'dombolo congolais. "Ce sont des influences très assumées, poursuit Binetou Sylla, c'est très générationnel. Cette nouvelle génération est très décomplexée, et n'a pas peur d'afficher plus radicalement ses racines."

L'ajout spontané d'expressions empruntées aux langues africaines -notamment dans les refrains- contribue à renforcer l'identité très africanisée de nos rappeurs. Symbole de l'importance des origines congolaises d'une autre grosse tête d'affiche de la nouvelle génération, Gradur : l'utilisation sur-abusive du mot Sheguey, et par ricochets, son acceptation dans le langage courant de la jeunesse. L'interprétation de Gradur -"débrouillard, quelqu'un qui se bat pour avancer dans la vie"- donne quelque lettre de noblesse à ce mot que d'aucuns considèreraient plutôt péjoratif, et désignant un galérien livré à lui-même et tourné vers la survie illicite -dealer, voleur des rues.

Le Congo n'est effectivement pas le seul pays africain à poser son empreinte sur la scène rap hexagonale. MHD est LE phénomène du moment, et son ascension pourrait l'emmener bien au delà des frontières franco-françaises. Fruit d'une union senegalo-guinéenne, sonAfrotrap fusionne des influences issues de scènes musicales africaines diverses et variées. Le résultat est complètement atypique, et prouve là aussi que l'arrivée de la trap a été l'élément déclencheur de toute la vague afro : "Je n'écris pas mes textes sur des instrus afro, j'ai l'habitude de les écrire sur des instrus trap classiques. Je les associe sur des instrus afro par la suite et c'est là que le mélange s'opère", explique-t-il à SURL Mag.

Si l'on rapproche généralement le son produit par MHD à l'afrobeat, un genre musical né au Nigéria dans les 70's, il serait très réducteur de l'y enfermer. L'afrotrap jouée par MHD est un sous-genre nouveau, qui se présente sous la forme d'un bouillon homogénéisé d'autres sous-genres extrêmement variés. L'intérêt d'une telle ouverture est sa propension évidente à dépasser toutes les frontières, humaines comme musicales. Non seulement MHD transcende les genres, attirant parmi son public des amateurs de musique qui ne sont ni fans de rap, ni de musiques africaines ; mais il a la capacité évidente d'exporter son succès à l'internationa l, sur le continent européen, évidemment africain, et, peut-être, américain.

Diaspora musicale

Il y a peut-être encore des sceptiques, qui considèrent que cette tendance africanisée du rap français n'a rien de concret, qu'il ne s'agit que de quelques cas isolés qui ne reflètent qu'un buzz éphémère. Allons donc droit à l'imparable : quel est le meilleur baromètre des tendances rap ? En cinq lettres une vingtaine de tatouages : BOOBA. Qu'on le considère comme un précurseur ou comme un suiveur, le résultat est le même : ce que Booba fait, le reste du rap français fait. Son plus gros succès en 2015 ? Validée, une reprise du titre Ignanafi Debena de Sidiki Diabaté, rappeur malien issu d'une très longue lignée de chanteurs -on parle de ... 71 (!) générations consécutives.

"Les rappeurs africains sont contents qu'on mette la lumière sur eux, considère Binetou Sylla. C'est l'occident qui vient les chercher, ils n'ont plus à avoir honte de leurs traditions, de leur style musical. Surtout, ils n'ont plus du tout besoin de s'occidentaliser : ce qu'on vient chercher, c'est leur authenticité". Résultat, non seulement les rappeurs français s'africanisent, mais en plus de ça, les rappeurs africains ont enfin la possibilité de conquérir des parts de marché en France. Le groupe Kiff no beat a ainsi fait une première percée depuis 2014, ouvrant la voix à d'autres. Venu du Gabon, le M.O.D Gang, pourrait être la prochaine sensation francophone. Dans un style plus smooth, autodéfini comme "groove afro", et plus proche du cloud rap que de la trap pure, ce nouveau mélange des genres -un de plus- a tout pour conquérir le Vieux Continent. "Le jour où l'Afrique s'éveillera" ... et si c'était déjà le cas ?

Crédits photo : Capture YouTube



Source : www.mouv.fr


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manu
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