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Le développement de l'Afrique ne peut pas être dissocié de celui du numérique

  Business, #

Ancien directeur marketing de la Banque internationale pour le commerce et l'industrie du Sénégal, Amadou Mathar Ba a cofondé Allafrica.com en 2000. Cette première plate-forme en ligne fournit notamment les agences Bloomberg, Dow Jones... Considéré en 2014 par le magazine Forbes comme l'une des dix personnalités les plus influentes d'Afrique, Amadou Mathar Ba a également créé l'initiative des médias d'Afrique (AMI) afin d'aider les médias du continent à se professionnaliser. Il dirige également le cabinet de conseil ABM partners.

Le Monde publie une enquête sur les " Quatorze start-up qui font bouger l'Afrique ". Où en est l'Afrique numérique aujourd'hui ?

Le développement du continent ne peut pas être dissocié de celui du numérique. Dans tous les pays du monde, l'accès au numérique favorise une croissance du PIB (Produit intérieur brut). Cette tendance est déjà observée en Afrique. Le marché potentiel est énorme et se confirme au fur et à mesure que les citoyens sortent de la pauvreté absolue grâce à cet outil, que ce soit au Kenya, en Afrique du Sud ou au Nigeria.

 

Un nombre inimaginable de " business " sont déjà apparus grâce au téléphone portable notamment. Une anecdote, par exemple : dans des villes comme Dakar ou Abidjan, des femmes vendeuses de beignets dans les rues vont envoyer un SMS en masse pour annoncer qu'entre 17 heures et 17 h 20, les clients pourront déguster des beignets chauds. Un tel marketing direct booste le chiffre d'affaires.

Dans certaines zones rurales particulièrement isolées, la production de fruits et légumes peut pourrir, car elle n'arrive pas à atteindre le marché et s'écouler. Grâce au téléphone mobile, certains producteurs avertissent directement des acheteurs en gros qui se trouvent en ville. Et nous ne sommes pas encore au moment où tout cela sera potentialisé par des services Internet. Les situations sont contrastées selon les pays, mais de plus en plus de citoyens sont convaincus du potentiel du numérique pour améliorer leurs vies.

Une vendeuse de pistaches, au Nigéria en 2014. Crédits : © Akintunde Akinleye / Reuters
Quelle est votre expérience sur la plate-forme d'information Allafrica ?

Quand nous l'avons créé en septembre 2000, 80 % des internautes qui l'utilisaient venaient d'Amérique du Nord. Cette proportion n'est plus que d'un tiers. C'est encore beaucoup, mais une autre tendance s'affirme : près de 40 % de notre audience d'environ 7 millions de personnes viennent des pays africains et dans huit cas sur dix, ces internautes accèdent au site par téléphone mobile ou tablette. Ces citoyens ne sont plus obligés de passer par des réseaux non africains pour avoir des informations sur leur continent, sur ce qu'il se passe actuellement au Mali par exemple.

 

Plus généralement, le degré d'information d'un citoyen ne se mesure plus uniquement à sa position géographique sur la planète. On peut être dans un village des plus reculés d'Afrique et être mieux informé qu'en plein centre de New York ou en banlieue parisienne, si dans ces deux derniers cas les personnes ne sont pas connectées.

Comment réagissent les Etats face à cette évolution sociétale ?

De nombreux gouvernements ont compris que le développement économique et humain de l'Afrique passe nécessairement par le numérique. Cependant, leurs positions sont ambivalentes. La liberté d'entreprendre mais aussi d'expression se développe. Les citoyens vivaient dans des sociétés mono-vocales, où la seule voix de l'Etat était autorisée. Cette période est révolue dans presque tous les pays du continent où les sociétés sont devenues multi-vocales. Avec le numérique, une certaine forme de gouvernance plus ouverte s'installe.

 

Cette évolution est inéluctable mais peut créer une gène au sommet de la pyramide sociétale. Ainsi, certains pouvoirs en place tentent de freiner ou contrôler les initiatives numériques des citoyens en stigmatisant certaines pratiques douteuses telle la prostitution facilitée par le téléphone portable. Mais le monde de la technologie n'est qu'un miroir de la réalité. Ce n'est pas le miroir qu'il faut changer, c'est la réalité qu'il révèle. Les technologies sont en train de bouleverser nos sociétés traditionnelles. Ces nouveaux enjeux de pouvoir chamboulent même la hiérarchie familiale. Les enfants, plus connectés que leurs parents, veulent avoir voix au chapitre.

Quels sont les pays numériquement les plus dynamiques ?

Sans hésitation et dans l'ordre, l'Afrique du Sud, le Kenya et le Nigeria, des pays d'expression anglaise, ce qui n'est pas un hasard. En Afrique francophone, l'île Maurice, le Sénégal et la Côte d'Ivoire. La langue de l'innovation en Afrique et partout ailleurs est l'anglais.

 

Cela démarre par la formation et l'accès aux cours en ligne, les mooc qui sont disponibles en grande majorité dans cette langue. Mais il y a plus. En 2011, j'ai organisé, avec l'AMI, le premier hackaton d'Afrique au Kenya avec l'African News Innovation Challenge. Il s'agissait d'utiliser les données de l'Etat pour créer des applications. A l'époque, la culture numérique kényane n'était pas aussi développée qu'aujourd'hui. Ce qui n'a pas empêché le gouvernement d'embrasser l'initiative très rapidement. C'est une question de culture. Nous avons organisé la même chose au Nigeria, en Tanzanie et en Afrique du Sud. Avec une même sensibilisation. En revanche, dans les pays francophones, c'est plus compliqué.

En Afrique du sud, en décembre 2013. Crédits : © Siphiwe Sibeko / Reuters / REUTERS
Comment caractérisez-vous le terreau des entrepreneurs africains ?

Je suis convaincu que l'Asie et l'Afrique vont de très loin dominer la scène numérique des prochaines décennies au niveau de la créativité. Tout simplement car la nécessité reste la mère de l'invention. L'Afrique a faim d'innovation car c'est vital, nécessaire à sa survie. Alors que dans les pays du Nord, de nombreux services existant sont considérés comme des acquis, nos besoins en Afrique sont gigantesques.

 

Pourquoi la plate-forme kényane Ushahidi (créée en 2007) a-t-elle connu immédiatement un tel succès et s'est répandue partout dans le monde ? Tout simplement parce qu'elle répondait à un besoin réel : les gens voulaient s'exprimer et alerter sur des abus en cours suite au drame postélectoral. Pourquoi les transactions par téléphone mobile rencontrent un tel engouement ? Car la grande majorité des Africains n'ont pas encore une grande confiance dans les banques et que seuls 5 % à 10 % d'entre eux sont bancarisés. De belles idées émergent d'entrepreneurs dans de nombreux pays. Le grand défi reste l'accès au capital.

Comment se finance justement ce développement numérique ? Quels sont le rôle et l'attitude des investisseurs étrangers ?

De nombreuses fondations anglo-saxonnes sont parties prenantes de projets numériques. Certaines financent des " hackatons ", compétition d'innovations, pour stimuler la créativité et attribuer des prix ou du matériel à des entrepreneurs locaux. Parallèlement sont apparus, ces dernières années, une multitude d'investisseurs chinois, turcs et indiens. Ils sont déjà très présents dans le numérique africain. Ces financiers, présentés comme des " Venture " Capital Risker, ont parfois le surnom de " vautours " Capital Risker.

 

Je suis au courant de transactions étonnantes. Comme ce jeune Africain demandant 500 000 dollars à qui on ne donne que 30 000 dollars mais qui doit, en contrepartie, abandonner 90 % des parts de sa société à l'investisseur. Ce type de contrat n'est malheureusement pas une exception. C'est pour cela aussi que le recours au crowdfunding, sur des sites comme Kickstarter ou Indiegogo, augmente fortement partout sur le continent. Les entrepreneurs en appellent à la foule mondiale des internautes pour trouver des fonds.

Dans une société de Lagos, au Nigéria, en 2014. Crédits : © Akintunde Akinleye / Reuters / REUTERS
De nombreux groupes privés investissent pour permettre aux Africains d'avoir accès au réseau mondial. Parallèlement, les Etats-Unis viennent de prendre position pour garantir la " neutralité du Net ", afin qu'Internet soit un bien public. Comment analysez-vous la situation ?

Le numérique est au centre d'enjeux internationaux. Dans le cadre du passage au numérique, le gouvernement kényan, par exemple, a choisi de donner la licence des box pour la télévision à Star Times, un groupe chinois. Résultat, les autres médias locaux ont décidé de ne plus émettre et les Kényans viennent d'être privés pendant plus d'une semaine des chaînes commerciales locales. Tout cela est un peu chaotique.

 

Nous regardons avec beaucoup d'intérêt les débats sur la neutralité du Net. Il est bien évidemment nécessaire qu'Internet soit un bien public, accessible au même prix pour tous. C'est un droit fondamental. Les Etats africains doivent donc continuer à favoriser le développement des services et mettre en place des législations afin de permettre les investissements privés. Cependant, les gouvernements nationaux doivent également investir dans les infrastructures pour favoriser le développement du numérique.

Il est important que des débats soient organisés dans le cadre par exemple de l'UIT (Union internationale des télécommunications), instance démocratique dans laquelle toutes les nations représentées ont la même voix. La connexion de l'Afrique va de toutes les façons se faire à travers les appareils mobiles.

La bataille du e-commerce fait rage : développement éclair des sites du groupe AIH (Jumia, carmundo, Kaymu...), arrivée de C-discount. Mais qu'en est-il de la présence de produits locaux sur Internet ?

L'offre de produits africains doit être structurée pour pouvoir être vendue en ligne. Il s'agit de passer d'un artisanat familial à ce que j'appelle " l'artisanat industriel ". Avec la plate-forme Allafrica, nous tentons actuellement de rassembler différents producteurs dans des sortes de coopératives. Avec deux finalités : faire comprendre à ces petits producteurs, de sandales par exemple, qu'il y a un intérêt économique à être ensemble.

 

Le second défi est de fixer un standard de production qui soit suivi par tous afin que les consommateurs finaux ne soient pas déçus par des produits non conformes. Il faut opérer une mutation importante dans les esprits.

Si j'avais un conseil actuel à donner à des gouvernements africains, ce serait de développer l'esprit d'entrepreneuriat à tous les niveaux, des écoles primaires aux universités. Il s'agit de défier les mentalités afin qu'elles embrassent la dynamique de l'entrepreneuriat. Afin que ce soit les Africains qui offrent eux-mêmes des services pour améliorer le niveau et la qualité de vie des gens. C'est bien possible et cela a même commencé.

lemonde.fr


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eva
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