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Lionel Zinsou : "La France se trompe sur la vitesse du mouvement en Afrique"

  Business, #

A voix haute

Le président de la Fondation AfricaFrance, nouvellement nommé Premier ministre du Bénin, fait part ici de sa foi communicative dans le devenir de l'Afrique

 

Lionel Zinsou, Président de la Fondation AfricaFrance, nouvellement nommé Premier ministre du Bénin

 

Dans l'entretien qu'il a accordé au Nouvel Economiste, quelques semaines avant l'annonce officielle, le 18 juin, de sa nomination au poste de Premier ministre du Bénin, Lionel Zinsou, fait part de sa foi communicative dans le devenir de l'Afrique : "L'Afrique est bien partie ; elle a trente années de croissance devant elle". Un message qu'entend porter la fondation AfricaFrance qu'il préside et dont la vocation est de contribuer, par des partenariats, au développement des échanges entre la France et l'Afrique. "Le point clé c'est le partage des savoirs faire et donc la formation professionnelle . L 'Afrique a un besoin crucial de formations techniques, à l'échelon ouvrier et technicien supérieur pour assurer une production à plus haute valeur ajoutée" insiste le financier qui met au défi les entreprises françaises de se mettre rapidement dans la partie. Car , il en est persuadé, sur leur lancée actuelle, les Africains ne les attendront pas longtemps et feront, sinon sans elles... Un avertissement qui mérite d'être entendu.

Entretien mené par Philippe Plassart

"La fondation Africa France est issue d'un rapport, commandé par Pierre Moscovici, alors ministre de l'Economie , qui s'alarmait des pertes de marché hexagonales en Afrique et pas seulement en Afrique francophone.

 

De partout lui revenait le même regret exprimé par les dirigeants africains : on ne voit plus les Français lors des appels d'offres ou dans la conquête des parts de marché, une absence qui laisse le champ libre aux autres pays plus entreprenants, Chinois, Brésiliens, Coréens, Turcs, etc... Le diagnostic du groupe à qui il a été passé commande de réfléchir aux moyens de revitaliser les relations économiques entre la France et l'Afrique pour être plus nuancé n'en n'est pas moins inquiétant. La France n'a certes pas particulièrement à rougir de ses performances en Afrique, simplement, elle se trompe sur la vitesse du mouvement.

"La France n'a certes pas particulièrement à rougir de ses performances en Afrique, simplement, elle se trompe sur la vitesse du mouvement"

Les échanges africains progressent à un rythme annuel de 20 %, soit quatre fois plus vite que les échanges entre la France et l'Afrique. Si bien que même si les exportations tricolores progressent, la France perd régulièrement des parts de marché. Il fallait donc créer une institution qui porte ce message : l'Afrique va aussi vite que l'Asie, et c'est , pour la France, la solution de croissance la plus proche. Mais encore faut-il cesser de surestimer les risques en Afrique. Les réticences vis-à-vis de l'Afrique qui pénalisait l'Afrique hier en ralentissant son développement, pénalisent aujourd'hui ceux qui persistent dans cette erreur car ils laissent le champ libre à d'autres.

L'initiative de la société civile

Le groupe d'experts composé de personnalités d'horizon divers - Tidjane Thian , franco-ivoirien aujourd'hui patron du Crédit suisse, Hakim El Karoui, franco-tunisien consultant chez Roland Berger, moi-même franco-béninois, Jean-Michel Sévérino, spécialiste du capital investissement des PME en Afrique passé par la Banque Mondiale et l'Agence française de développement (AFD) et enfin Hubert Védrine - a formulé une quinzaine de propositions dont notamment la création d'une institution spécifique portant ce message. Celle-ci ne devait surtout pas être, dans notre esprit une administration de plus mais devait s'appuyer sur les initiatives de la société civile pour promouvoir les échanges avec l'Afrique en particulier dans le champ de la formation professionnelle. Notre idée ? Demander aux entreprises , aux collectivités territoriales , aux ONG de prendre une part active à ce développement et non pas s'en remettre aux seules aides publiques d'État à État. Et pour cela, créer un réseau social basé sur l'entraide et les liens entre partenaires, ce réseau fonctionnant avec des clubs sectoriels et des programmes spécifiques.

"Notre idée ? Demander aux entreprises, aux collectivités territoriales , aux ONG de prendre une part active à ce développement et non pas s'en remettre aux seules aides publiques d'État à État"

"
Les entreprises françaises saisiront-elles cette occasion pour se mettre dans le jeu ? C'est ce que nous allons voir maintenant... Les choses commencent à se mettre en place autour des échanges de formation professionnelle. Les secteurs qui bougent le plus vite sont la finance, les industries culturelles, les médias, le numérique mais petit à petit tous les secteurs seront couverts.

Un premier programme a été lancé avec le Congo ; d'autres vont suivre avec la Côte d'Ivoire, le Ghana, l'Angola, peut-être le Maroc. Nous fonctionnons à ce stade comme une start up dans laquelle il faut tout faire par soi-même pendant un certain temps. Mais très vite il va y avoir du répondant dans ces pays où se créeront des associations miroirs avec des correspondants répondant aux sollicitations.

Une première expérience dans la filière bois

Nous pouvons déjà faire état de nos premiers résultats. Six entreprises de la région Nantes, en association avec l'École Supérieure du Bois, ont, grâce à l'intermédiation de la fondation, jeté les bases d' un prochain cluster bois avec des industriels congolais avec en vue une première joint venture sur la valorisation du bois du Congo pour en faire un matériel de construction d'exportation à valeur ajoutée. Ce projet sous l'égide de l'association AfricaFrance Congo est exemplaire car il a mobilisé rapidement d'un côté des petites et moyennes entreprises françaises avec leur savoir-faire et de l'autre le gouvernement congolais qui a mis à disposition une place dans une zone industrielle, si bien que les premiers programmes de formation sont d'ores et déjà en place, preuve qu'il est désormais possible de concrétiser ce type d'initiatives plus facilement en Afrique.

"Dans la filière bois, les producteurs africains exportent trop souvent des grumes simples. Il faut monter en gamme pour exporter du travail incorporé"

Dans la filière bois, les producteurs africains exportent trop souvent des grumes simples. Il faut monter en gamme pour exporter du travail incorporé, du savoir-faire et pour cela les producteurs locaux ont tout intérêt à travailler avec leurs clients finaux étrangers, ces derniers qui ont eux-mêmes besoin de produits semi-finis trouvant leur intérêt à investir en amont. Et ce faisant c'est tout le capital de la forêt équatoriale qui, étant considéré avec un regard neuf, se trouve valorisé avec des créations d'emplois à la clé. Traditionnellement, les grumes une fois coupées sont amenées par flottaison à Pointe-Noire pour y être embarquées. Là, elles arrivent en zone franche pour être transformées en produits finis ou semi-finis. Cette coopération exemplaire entre partenaires peut servir d'exemple pour bien d'autres filières ( minerais, produits agricoles). Le point clé dans ce type de partenariat c'est le partage du savoir-faire et donc la formation. L'Afrique a un besoin crucial de formations techniques, à l'échelon ouvrier et technicien supérieur pour une production à plus haute valeur ajoutée.

Changer le regard sur les risques africains

Emmener des PME françaises sur ce type de projets suppose néanmoins de surmonter un certain de nombre de peurs Le regard sur l'Afrique doit changer. Les Européens ont une certaine appréhension pour aborder ce continent, mais les Chinois, les Coréens, les Turcs, les Brésiliens , les Nord-Américains et maintenant les Malaisiens, eux, n'ont pas peur

La stratégie chinoise

Résultat : ce sont les Chinois qui tiennent la place. La Chine représente aujourd'hui 15 % des importations africaines, la France, 5. Il y a 20 ans la France, c'était 15, et la Chine 1.

L'Afrique est sur une dynamique de croissance de ses échanges extérieurs de 15 à 20 % par an. Face à laquelle, la dynamique française de réponse à cette demande africaine ne progresse que de 5 % environ, là où la Chine fait du +30 à + 40 %. Derrière toute la machinerie industrielle utilisée en Afrique, il y a une marque chinoise ! Il y a un million et demi de Chinois installés en Afrique. Et s'il est vrai que les méthodes chinoises notamment dans la construction des infrastructures - ils viennent avec leur main d'œuvre et les biens intermédiaires - ou dans les commerces suscitent parfois un sentiment anti-chinois dans la population, les gouvernements africains se gardent, - le fait mérite d'être souligné - de leur faire tout reproche. Les sociétés chinoises arrivent avec des réponses rapides, bien financées et à des coûts bas.

"La Chine représente aujourd'hui 15 % des importations africaines, la France, 5. Il y a 20 ans la France, c'était 15, et la Chine 1"

Et surtout les Chinois pratiquent l'aide liée, c'est-à-dire que les aides sont accordées pourvu que ce sont les entreprises chinoises qui en profitent, ce que n'autorise pas les règles internes aux pays de l'OCDE. Avec ce résultat paradoxal que l'aide publique au développement européenne - la première par son montant - finance les grands contrats d'infrastructure réalisés par des firmes chinoises ou coréennes mais dont la réalisation dans des délais souvent très courts laissent parfois à... désirer en termes de qualité.

L'impératif d'un transfert de connaissances

Une bonne partie de la jeunesse africaine n'a pas de travail. Mais à la différence du passé, ces jeunes se regroupent facilement pour peser, on l'a vu en Tunisie, au Sénégal et au Burkina. Les frustrations de cette jeunesse peuvent avoir des retombées sociales, politiques, sécuritaires assez importantes. Mais indépendamment de ces aspects politiques, il y a d'abord le fait que l'économie a besoin de personnels qualifiés - ouvriers, ingénieurs, chercheurs - dans la phase de croissance actuelle. D'où l'impératif de faire un transfert massif de connaissances et de donner les moyens aux organismes de formations professionnelles, aux universités, de faire ce saut qualitatif et quantitatif.

"l'économie a besoin de personnels qualifiés - ouvriers, ingénieurs , chercheurs - dans la phase de croissance actuelle. D'où l'impératif de faire un transfert massif de connaissances"

Or, c'est ainsi, il n'y a pas assez d'argent public pour le faire. Il va donc falloir mobiliser des ressources du privé et et de l'aide au développement. Les besoins sont considérables. Au Bénin par exemple, il y a près de 4 millions de jeunes d'âge scolaire sur un total de 10 millions d'habitants. Bon nombre de ces enfants ne sont pas scolarisés parce que l'école n'est pas gratuite, bien que la constitution du pays garantisse le contraire. Il y a quelques années, le Président avait décrété que l'école serait gratuite en cours d'année. Et du jour au lendemain ce sont près de 400 000 enfants qui se sont présentés aux portes des établissements scolaires. Soit un besoin d'un seul coup de 10 000 instituteurs supplémentaires pour des classes de 40 élèves ! Des chiffres qui donnent toute la dimension du problème.

Les solutions digitales changent la donne

Heureusement les nouvelles technologies de l'éducation - e book, tablettes... - pourront, très vite le résoudre en partie pour former en premier lieu les instituteurs. Des technologies qui pourront servir aussi pour la formation professionnelle. Très vite, il va y avoir plus d'enfants, d'adolescents ou de jeunes professionnels utilisant les e-book en Afrique qu'en Europe. Le processus va être le même que celui qui touche les paiements par téléphonie mobile qui se développent dans des proportions plus grandes en Afrique qu'en Europe. Car en l'absence de réseau bancaire et de distributeurs de billets, comment faire pour payer ses transactions sinon d'en passer directement aux technologies qui permettent de s'affranchir de ces pénuries. Et ce principe se décline dans beaucoup de domaines. Il n'y a pas d'hôpital, eh bien faisons de la télémédecine ; il n'y a pas de banque, eh bien faisons , du paiement sans contact. Ces solutions changent complètement la donne

Une séquence de trente ans de croissance

L'Afrique est au début de ses trente glorieuses. Et la croissance démographique est devenue un atout au lieu d'être une difficulté. Hier on voyait l'explosion démographique comme un fléau qui rendait impossible l'élévation du niveau de vie par tête , aujourd'hui on parle de dividende démographique. Le vocabulaire a complètement changé en 20 ans. Contraintes et obstacles d'hier deviennent des occasions de développement. Un renversement d'optique très positif. Pour autant, la croissance ne résout pas tout. 40 % de la population demeure sous le seuil de pauvreté, soit 400 millions d'individus. Numériquement, il y a plus de pauvres aujourd'hui en Afrique qu'au moment de l'indépendance. Mais il y a en même temps désormais 250 millions d'africains qui vivent avec un pouvoir d'achat comparable à celui des Européens mesuré en PPA (parités de pouvoir d'achat).

"L'Afrique est au début de ses trente glorieuses. Et la croissance démographique est devenue un atout au lieu d'être une difficulté"

Soit une classe moyenne qui consomme et qui se soigne représentant l'équivalent d'une demi-Europe. Et dans 20 ans, ce sera une Europe entière, dans 30 ans, une Europe et demie, la seule partie qui s'est développée et enrichie et développée. L'Afrique va beaucoup, beaucoup mieux qu'avant. L'espérance de vie progresse, les rations nutritionnelles progressent, l'équipement progresse, l'épargne progresse, le niveau d'alphabétisation progresse : le mouvement est lancé. Mais tout cela coexiste aussi avec 400 millions d'exclus. L'urbanisation n'est pas partout maîtrise . Dakar, jusqu'à un certain point, est maîtrisé mais d'autres villes échappent à tout contrôle. La croissance ne résout pas tous les problèmes par elle-même. Et de nouveaux déséquilibres se forment en termes territoriaux. Mais tout cela n'efface pas l'idée que l' Afrique est bien partie et qu' elle a trente ans de croissance devant elle

La question de la corruption

A mon avis, les dirigeants africains qu'on taxe d'être corrompus, hommes d'affaires ou dirigeants politiques, sont des petits enfants à côté de la corruption chinoise, indienne, russe, ou latino-américaine, ou des pays du Golfe. La corruption est un invariant dans les pays qui ont peu de tradition démocratique. Et où les corps intermédiaires exerçant un controle - syndicats, presse - sont faibles. A niveau de corruption égale, certains pays font 7 à 10 % de croissance tandis que d'autres font zéro de croissance. Il n'y a pas de rapport direct entre corruption et croissance, même si je ne nie pas le détournement de l'intérêt général. Les problèmes de gouvernance existent , mais dans ce domaine aussi la situation s'améliore à l'instar des autres paramètres.

"La corruption est un invariant dans les pays qui ont peu de tradition démocratique"

Il y a des pays qui sont beaucoup plus intègres que d'autres, notamment les pays qui ont la chance, comme le mien ( NDLR : le Bénin), de ne pas avoir des ressources qui font la convoitise mondiale, et qui pour cette raison sont démocratiques.

Ils n'ont pas de diamant, de cuivre, de fer, de pétrole et c'est une immense chance. Ils doivent miser sur leurs travailleurs qualifiés. Ce qui pose la question du développement de formations d'excellences à grande vitesse et à très grande ampleur du développement de l'entrepreneuriat

Bio Express
Lionel Zinsou était président du fonds d 'investissement PAI Partners jusqu'à être nommé le 18 juin premier ministre du Bénin. Né d'un père originaire du Bénin, médecin de Leopol Sédar Senghor et d'une mère française, Lionel Zinsou est normalien et agrégé de sciences économiques, diplômé de Sciences-Po et de la London School of Economics. Il a été la plume à Matignon de Laurent Fabius. Après avoir travaillé chez BSN, Lionel Zinsou a été associé gérant de Rothschild Cie. Il préside la fondation AfricaFrance chargé de relancer les relations économiques entre la France et l'Afrique.



Source : www.lenouveleconomiste.fr


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