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Lionel Zinsou : L'Afrique va vous surprendre

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Ancien professeur d'économie, ex-conseiller de Laurent Fabius alors Premier ministre, ancien banquier d'affaires, Lionel Zinsou reçoit dans ses bureaux du fonds d'investissement PAI, avec vue sur le jardin des Tuileries. Quand on lui parle du destin de l'Afrique, de sa croissance et des défis à surmonter, ce géant, né d'une mère française et d'un père béninois, est intarissable. La discussion durera le temps d'un après-midi pluvieux et ne s'interrompra que sous la menace d'un horaire d'avion en partance pour... l'Afrique.

Le Point : Vous avez été un des premiers en France à dire que l'Afrique allait décoller économiquement. On vous a longtemps qualifié d'afroptimiste...

Lionel Zinsou : J'étais un peu seul à avoir ce discours. Alors on m'a enfermé dans ce concept d'afroptimisme, à mon corps défendant. J'ai pourtant toujours eu un regard réaliste et objectif sur l'Afrique. J'ai toujours pris en compte à la fois les obstacles au développement économique, mais aussi les changements profonds qui transforment la vie des générations actuelles. Quand j'affirmais - dix ans en arrière - que l'Afrique allait décoller, cela paraissait paradoxal. Mes détracteurs considéraient que c'était de la provocation, voire de la niaiserie pure et simple. Ils me disaient : "La croissance africaine est extrêmement fragile et éphémère." Je répondais : "Mais elle est déjà vieille d'une décennie ! Combien d'années encore va-t-il falloir pour qu'on mesure qu'elle est durable ?" Ensuite, on me répliquait : "Mais ce n'est pas le continent africain qui croît, c'est le prix des matières premières qui s'envole..." Ce qui revient à dire : "Les Africains n'y sont pour rien !" Cela m'agaçait en tant qu'Africain, en tant que Français rationnel et en tant qu'économiste.

Mais l'Afrique a, malgré tout, largement bénéficié de la hausse du prix des métaux, du pétrole, des produits agricoles...

Mais ce n'est qu'une partie du phénomène. On était devant une croissance qui avait des raisons beaucoup plus durables que le prix des matières premières. Les raisons sont culturelles, politiques, démographiques. La croissance est liée à l'éducation et aux progrès des technologies. On observe d'ailleurs que les cours des matières premières ont régressé depuis trois ans et que cela n'a pas ralenti la croissance sur le continent africain... Si l'Afrique en était à ce point dépendante, quand les hydrocarbures baissent de 50 %, le PIB devrait diminuer très significativement. Et il va seulement s'infléchir. Il ne va pas s'effondrer. Donc, la dynamique actuelle est bien le fait du travail des Africains par dizaines et par centaines de millions.

Mais vous oubliez les pandémies, la misère, les guerres civiles et la corruption...

Attention ! Ce n'est pas parce que je soutiens qu'il y a une croissance durable que j'affirme qu'elle va résoudre par magie les problèmes du passé et ceux d'aujourd'hui. Du fait de la démographie, le nombre d'exclus continue à progresser : 400 millions d'Africains vivent sous le seuil de pauvreté, un chiffre supérieur à la population du continent dans les années 60 ! Les bidonvilles sont de plus en plus grands, ce qui est un terreau formidable pour le fanatisme religieux. Et cela, en dépit des 5 % de croissance... Mais cela ne doit pas empêcher de considérer les 700 millions d'Africains qui vivent au-dessus du seuil de pauvreté. Ils sont les enfants de la croissance et une partie d'entre eux forment une classe moyenne en ascension. Bien sûr, cette évolution positive peut aussi devenir un problème, car la surchauffe peut créer des élites trop riches et des inégalités très fortes. Dans certains quartiers, il y aura des favelas à côté de villas de luxe, comme en Amérique latine. Et c'est une poudrière sociale...

L'Europe a-t-elle désormais pleinement pris conscience du décollage africain ?

Elle s'est réveillée. Mais d'autres ont compris avant les Européens qu'il se passait quelque chose sur le continent africain. La Chine, mais aussi la Corée du Sud, la Turquie, le Brésil, qui n'ont pas manqué de prendre des parts de marché à la France, à l'Europe et même aux États-Unis. On pense instinctivement que la conjoncture africaine est forcément tirée par l'Europe, car c'est le premier client de l'Afrique, le premier fournisseur, le premier investisseur, le premier bailleur de fonds en aides publiques au développement, etc. Or l'Europe a connu plusieurs années de récession tandis que l'Afrique accélérait ! Il y a découplage, ce qui signifie que l'essentiel de la croissance en Afrique est endogène. C'est de la consommation, du logement, de l'investissement, du travail, de l'efficacité, de la productivité... Ce n'est pas juste du manioc, plus du cuivre, plus du diamant, plus du pétrole ! Les décideurs européens souffrent de la faiblesse de leur marché, ils sont à la recherche de débouchés ; or l'Afrique cherche des partenaires pour accompagner sa croissance. Cela peut être le début d'une relation plus équilibrée. C'est d'ailleurs pour faciliter ce partenariat que les chefs d'État africains et le président François Hollande ont approuvé la création d'une fondation d'entreprise, AfricaFrance, dont les activités ont été lancées en février.

Quels sont les secteurs d'activité les plus dynamiques en Afrique ?

Les services financiers, les biens de consommation et les matériaux de construction. Les télécoms sont très révélatrices de ce nouveau modèle économique. En Europe, ce secteur a des problèmes de stagnation de la demande et de baisse de prix. Ce sont les filiales africaines des opérateurs européens qui améliorent leurs comptes aujourd'hui... 600 millions d'Africains ont un téléphone mobile ! Et pour un quart, il s'agit de smartphones. Et puis, les Africains utilisent des applications très innovantes. Le Kenya est, par exemple, très en pointe sur le paiement sans contact par mobile. Les agriculteurs du Sahel reçoivent des informations météo sur leur téléphone, le boutiquier nigérian y suit sa facturation et archive ses données comptables dans le cloud... C'est ce que les historiens économistes appellent "l'avantage de l'arriération" : le fait d'avoir pris du retard permet de sauter certaines étapes et d'adopter immédiatement des technologies plus avancées, en dépassant ainsi les populations qui ont, elles, un héritage technique.

Quels sont les autres domaines qui vont être touchés par cet "avantage de l'arriération" ?

On fera de la robotique chirurgicale plus rapidement en Afrique qu'en Europe parce qu'on n'a pas de blocs opératoires. Idem pour la télémédecine, qui établit les diagnostics à distance, parce qu'il n'y a pas assez de médecins et que des régions sont trop enclavées. On utilisera des énergies renouvelables, avec des réseaux intelligents, plus rapidement dans les villages du Sahel que dans les campagnes européennes, parce que l'Afrique ne dispose pas de réseau électrique centralisé ni de système de transport d'énergie. 90 % des communautés rurales en Afrique n'ont pas l'électricité !

Les Africains vont donc finir par être en avance sur le reste du monde...

Oui, puisqu'ils ont besoin des dernières technologies. Dans le regard européen, il reste ce sentiment historique de supériorité qui pousse à proposer un produit de l'avant-dernière génération au consommateur africain. L'idée, c'est : on va leur donner la technologie d'avant-hier, ce qui sera toujours mieux que ce qu'ils ont, c'est-à-dire rien ! Mais l'Afrique n'est plus un musée de l'occasion... Évidemment, quand on se promène dans une rue africaine, on n'a pas l'impression que c'est un laboratoire de technologies de pointe. Certaines techniques ont l'air de ne pas avoir changé depuis le néolithique, mais tout le monde a son téléphone portable dans la poche. On n'a pas l'électricité, mais on recharge les portables avec un panneau solaire. Avec ma fondation au Bénin, nous avons ouvert des bibliothèques à Cotonou. Des amis me disent : on possède de vieux livres, on peut vous les donner pour Cotonou. Mais 124 000 enfants sont passés par les bibliothèques l'an dernier. On renouvelle les livres trois fois dans l'année ! Alors, les livres, on va les prendre très neufs et surtout pas d'occasion. [Sourires]

Les idées reçues sont encore très répandues...

Dans le registre pathétique et attendrissant, on trouve aussi la volonté des Occidentaux de donner des leçons aux Africains. Mais peuvent-ils le faire légitimement alors qu'ils n'ont jamais été confrontés aux mêmes défis que l'Afrique ? Le continent va devoir installer un milliard de nouveaux urbains en une génération. Ce que l'Afrique va faire, personne ne l'a jamais fait... Il faut tout inventer ! C'est d'ailleurs ce qui explique l'enthousiasme de la jeunesse africaine, celle qui a eu la chance d'accéder à la formation. Il y a ce sentiment, qu'on ne retrouve presque dans aucun autre continent, que tout est possible !

L'Afrique est-elle l'eldorado que l'on décrit ?

Dans l'Histoire, les ruées vers l'or ont quand même été assez décevantes. Il en reste beaucoup de villes fantômes ! Il ne faut pas s'enthousiasmer trop vite. Avoir une croissance forte, c'est parfois dangereux. Il peut y avoir de la surchauffe ou des phénomènes de bulle. Au Ghana, par exemple, les conséquences de la croissance très forte, à deux chiffres, se traduisent dans des déséquilibres : hyperinflation, déficit budgétaire, monnaie en baisse. Autre exemple : au Nigeria, le foncier à Lagos coûte dix fois le prix de celui de Cotonou ! Et il n'y a que 100 kilomètres entre les deux villes... Comme à Luanda, capitale de l'Angola, qui est devenue la ville la plus chère du monde. Le destin africain ne va pas être un long fleuve tranquille...

Mais les classes moyennes africaines sont en pleine croissance...

Oui, c'est bien la consommation qui tire l'économie en Afrique. Les fameuses classes moyennes éveillent le désir des entreprises du monde entier. Mais ces dernières devront les séduire pour les conquérir, et cela prendra du temps. Il faut respecter le client et savoir qu'il a maintenant le choix. C'est le cas par exemple dans le secteur aérien. Pour relier l'Afrique au reste du monde, il n'y avait qu'Air France, KLM, Lufthansa ou British Airways, et les prix pratiqués étaient élevés. Maintenant, il y a Emirates, Etihad, Qatar Airways, Turkish Airlines... Le client africain peut aussi choisir des compagnies aériennes africaines comme Royal Air Maroc, Ethiopian Airlines ou Kenya Airways. Il n'y a plus de marchés captifs en Afrique.

Certains groupes industriels font migrer leurs usines de Chine vers l'Afrique. Le continent va-t-il devenir le nouvel atelier du monde ?

Pour beaucoup d'observateurs, le grand problème de l'Afrique, c'est justement le déficit d'industrie. Ils disent : "L'Afrique n'est pas compétitive ni productive, les Africains ne sont pas qualifiés..." Mais la révolution qui est en cours est aussi industrielle. La Chine vieillit et l'Afrique croît démographiquement comme nulle part ailleurs... Dans vingt ans, l'Afrique comptera 25 % de la population active mondiale ! Et le rôle d'atelier du monde n'échappe pas à l'ensemble géographique qui a les actifs pour produire et consommer. Les rémunérations en Chine ont quintuplé en dix ans, avec un yuan qui s'est apprécié. Il existe un besoin de délocalisation des usines de chaussures ou de textile qui ont un contenu en main-d'oeuvre élevé. Mais, en Afrique, il y a aussi des ressources d'excellence, ingénieurs et scientifiques. Ça ressemble à de la science-fiction, mais c'est la réalité. La société de services informatiques Atos est en train de créer à Dakar un Bangalore africain ! Safran et Airbus produisent au Maghreb. Enfin, il y a l'éclosion d'une industrie de proximité pour satisfaire les besoins des consommateurs : matériaux de construction, agroalimentaire, pharmacie, etc.

Vous dites souvent : "Nous, les Africains." Vous vous sentez africain ? français ? un mélange ?

Ce n'est pas algébrique, c'est culturel et affectif. On peut être 100 % Africain et 100 % Français. Moi, je suis 100 % les deux. Je suis métis, mes filles sont quarteronnes, et pourtant elles sont plus africaines que moi ! Parce qu'être africain, c'est aussi vivre en Afrique. En partager les rythmes, les codes, les couleurs... Ce n'est pas une question de pigmentation ou de couleur. Au Bénin, on me considère comme blanc. Et puis six heures et vingt minutes plus tard - en sortant de l'avion à Roissy -, on me considère comme noir. C'est une expérience quotidienne des métis d'être étrangers partout et de ne ressembler ni à leur père ni à leur mère.

Avec votre fondation familiale, vous insistez sur l'art et l'éducation. C'est le grand défi africain ?

Souvent on dit que l'Afrique ne fait pas assez d'efforts pour l'éducation. Mais le Sénégal y consacre 40 % de son budget ! Quels sont les peuples qui ont augmenté leur population scolarisée d'un facteur 20 ? Il n'y a pas de précédent. Pour les enseignants comme pour les élèves, c'est très dur et précaire, mais maintenant on a la chance d'avoir les technologies à portée de main. L'e-learning, la formation de masse grâce au numérique, va permettre de maîtriser l'illettrisme. Et vous verrez que l'e-learning va toucher la vallée du Zambèze avant la Corrèze !

afrique.lepoint.fr


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