Par Paul Verdeau

Il est midi et à l'ombre de la grande arche du Centquatre (19e arrondissement de Paris), les techniciens prennent leur pause. Tous sont intermittents du spectacle et travaillent tout au long de l'année dans les locaux du centre culturel. Sauf Ruben, qui est ici pour un stage dans le cadre de ses études. Pour lui, c'est un peu spécial : il n'est pas français, même si à 22 ans, il y a déjà passé la moitié de sa vie. Né au Gabon, Ruben est arrivé en France en 2003, pour y continuer sa scolarité. " Je suis venu retrouver ma mère, à part elle, je ne connaissais personne ", raconte-t-il. Grâce au regroupement familial, il a pu la rejoindre à Asnières-sur-Seine, en banlieue parisienne. " Mais ça ne s'est pas décidé comme ça, explique Ruben. Il a fallu deux ans pour que je puisse venir. "

De l'internat à la restauration

Grâce au mari de sa mère, qui enseigne dans le 19e arrondissement, Ruben passe sa jeunesse française de manière paisible, à Asnières puis Meudon (Hauts-de-Seine), où il étudie dans un internat. " Nous étions très bien lotis, à dix ou quinze par classe ", sourit le jeune homme. Au lycée en revanche, les choses se compliquent. Au lycée de La Salle, à Rueil Malmaison, Ruben se passionne de moins en moins pour les études. " J'ai découvert la vie, je me suis un peu éparpillé ", regrette-t-il. Il décroche, et finit par rater son bac en terminale ES. Son choix est vite fait : Ruben veut faire de la musique son métier. Depuis la fin du collège, il chante et joue de la guitare, et n'envisage pas d'autre voie. Mais pour pouvoir gagner sa vie, il doit trouver un job : ce sera serveur dans un restaurant à Saint-Lazare, où il obtient un CDI.

Une deuxième chance pour continuer à rêver

Après deux ans à faire le service, Ruben se rend compte que son travail ne correspond pas à ses attentes : il se met en tête de trouver un emploi proche du monde de la musique, malgré son absence de diplôme. Au centre d'animation de son quartier, il entend parler de l'École de la deuxième chance, une association qui a pour but la réinsertion professionnelle des jeunes de 18 à 25 ans qui ont quitté le système scolaire. " Il ne faut pas se le cacher, cela concerne surtout les classes défavorisées ", remarque Ruben. Mais le programme de l'école, qu'il intègre en 2014, est motivant : trois semaines de formation, pour trois semaines de stage technique. Ruben choisit de se présenter au Centquatre : " Je n'avais pas vraiment de formation, j'y suis allé au culot ", raconte-t-il. En ce début août, son stage vient de se terminer, et il est en passe de devenir intermittent du spectacle, une fois qu'il aura atteint son total de 507 heures. Une année chargée, mais qui devrait lui laisser le temps pour pouvoir continuer à exercer sa passion en parallèle : " J'ai fait douze concerts cette année, la plupart rémunérés ", se réjouit-il. Mais Ruben a-t-il réussi à s'en sortir malgré son décrochage ? " Ma mère est encore sceptique, avoue le jeune homme. Mais moi, je suis assez confiant. "

" Je suis un vagabond "

Et le Gabon alors ? Ruben y pense, même si " ça paraît loin ". Après onze ans de vie en France et un titre de séjour, le jeune homme a du mal à savoir ce qui le rattache encore au pays, sinon ses papiers d'identité. " Aujourd'hui, ce n'est qu'à travers les jurons de ma mère que je me rappelle le nzebi ! " s'exclame-t-il en riant. Sa vie, il l'a construite tant bien que mal loin du pays de ses parents, et s'il s'est promis qu'il y retournerait, il estime qu'il lui faut d'abord trouver une manière de se stabiliser. " Je me cherche un peu, avoue Ruben. Je suis un peu un vagabond. "