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Politique - Bénin : une histoire africaine

  Politique, #

Alors que s'ouvre ce vendredi officiellement pour quinze jours la campagne pour l'élection présidentielle du 6 mars, 33 candidats sont en lice pour la magistrature suprême. Contrairement aux précédents scrutins, les grands partis politiques béninois (PRD, PSD, RB, alliances UN, FCBE...) ne présentent pas de candidats issus de leur rang. Le jeu est donc plus que jamais ouvert. Seule certitude à ce jour, le président sortant Boni Yayi, au pouvoir depuis dix ans, ne se représentera pas. Mais quel Bénin laisse-t-il à son successeur ? Le politologue Mathias Hounkpé, administrateur du programme gouvernance politique à Osiwa*, fait le point sur les enjeux de cette élection.

Le Point Afrique : quel bilan dressez-vous des dix années de présidence Boni Yayi ?

Mathias Hounkpé : Je dirais un bilan mitigé avec des succès, des échecs et surtout beaucoup d'initiatives qui, pour diverses raisons, dans bien des cas laissent un goût d'inachevé. En matière de succès, l'on peut citer pêle-mêle l'adoption de la liste électorale permanente informatisée (Lepi, liste qui, jusqu'en 2007, était manuelle et ad hoc), l'adoption d'une commission électorale nationale autonome (Cena) restreinte et pérenne (elle était jusqu'en 2011 ad hoc et pléthorique), l'adoption enfin d'un code électoral, l'adoption de la loi portant lutte contre la corruption et l'installation de l'Autorité nationale de lutte contre la corruption (ANLC), la prise du décret d'application du statut de l'opposition, les infrastructures routières (en 10 ans, il en a fait pratiquement autant que pendant les 45 premières années d'indépendance du pays), d'autres infrastructures, etc. En matière d'échecs, l'on peut citer, entre autres, la lutte contre la corruption, les réformes institutionnelles pourtant nécessaires et annoncées (faute d'avoir pu réviser la Constitution), la question de l'énergie électrique malgré les sommes colossales englouties dans le secteur et plusieurs initiatives récentes. En ce qui concerne les chantiers inachevés, le président sortant sera probablement, depuis l'avènement du renouveau démocratique en 1990, celui qui en laissera beaucoup. Il en est ainsi des chantiers d'infrastructures sur toute l'étendue du territoire, des politiques publiques en matière de santé et d'éducation dont il est difficile de dire où nous en sommes.

Qu'attendent les Béninois de leur futur dirigeant ?

Les Béninois attendent du prochain président de la République qu'il initie des réformes de nature à rétablir la crédibilité des institutions de contre-pouvoir (la Cour constitutionnelle, la Haute Autorité de l'audiovisuel et de la communication) et qu'il reconnaisse l'importance des corps intermédiaires (qui servent de relais entre l'État et le peuple) - partis politiques, syndicats de travailleurs, société civile, de façon générale, médias (toutes ces forces ont été fortement ébranlées ces dix dernières années) - et crée les conditions favorables pour qu'ils contribuent mieux à la gouvernance du pays.

Les Béninois attendent également du prochain président de la République qu'il s'attaque à la corruption et à l'impunité qui gangrènent et compromettent tous les investissements du pays en matière de développement. Il devra poursuivre les efforts faits pendant les dix ans du président Yayi (adoption d'une loi contre la corruption et mise en place d'une Agence nationale de lutte contre la corruption-ANLC) à travers des réformes qui permettent aux institutions telles que la Haute Cour de justice (devant laquelle sont jugés les ministres et le chef de l'État) de jouer, enfin, leur rôle.

La corruption est au coeur de cette campagne électorale. Qu'est-ce qui caractérise les craintes et pourquoi ?

Deux raisons expliquent cette crainte dans le contexte du Bénin. La première vient de la victoire au premier tour (le fameux ko) du président sortant lors de la présidentielle de 2011. Pour l'opposition, cette victoire ko au premier tour n'a été possible que grâce à une fraude très organisée. Cette première raison est accentuée (en guise de 2e raison) par des propos ambigus que tiennent certains des animateurs des institutions impliquées dans la gestion des élections en 2011 et qui laissent croire que des choses peu orthodoxes ont vraiment pu se passer lors desdites élections. De façon plus générale, au Bénin et ailleurs en Afrique, quelques facteurs expliquent la crainte ou les cris à la fraude qui accompagnent la plupart des processus électoraux sur le continent. Le premier facteur vient du fait que les processus électoraux sont caractérisés par plusieurs types d'insuffisance. Insuffisance de ressources financières, incapacité des organes responsables de la gestion des élections, absence d'états civils pour une large proportion de citoyens (et donc difficulté de confection d'une liste électorale fiable), difficultés logistiques, abus des ressources publiques pendant la campagne, etc. sont quelques-unes des faiblesses auxquelles sont confrontées les élections en Afrique.

Donc une victoire dés le premier tour pose forcément question...

Tous ceux qui sont en mesure de tirer profit de ces faiblesses, particulièrement ceux au pouvoir mais parfois les acteurs de l'opposition aussi, le font pour manipuler le jeu électoral et accroître leur chance de victoire. De la même manière, ces difficultés, du reste compréhensibles, peuvent également servir de prétexte au perdant qui veut contester les résultats d'élections qu'il a peut-être effectivement perdues. Dans tous les cas, ça laisse un doute sur la qualité des élections et justifie toutes les craintes de la part des acteurs politiques (généralement ceux de l'opposition qui ont moins de moyens pour tirer profit des insuffisances du processus électoral) à l'approche des élections.

Comment comprendre l'ethnicisation de la vie politique béninoise ?

Juste après l'indépendance du pays, les premiers leaders politiques de l'époque (les années 60) ont rapidement choisi de recourir à l'ethnie pour construire leurs bases électorales. En moins de cinq ans, l'électorat du pays était divisé en trois groupes : le Sud-Est (avec Apithy), le reste du Sud (avec Ahomadegbe) et le Nord (avec Maga). Cette division n'était pas complètement étanche. Au point où, à un moment, un conseil présidentiel a été créé comprenant les trois leaders qui devraient diriger pour six ans à raison de deux ans par leader (ça n'a pas fonctionné). La révolution, entre 1972 et 1989, a tenté de réduire le poids de l'ethnie en politique apparemment sans succès lorsqu'on regarde le résultat actuel. Cette ethnicisation de la politique repose en partie sur l'utilisation du pouvoir politique pour maintenir et renforcer la clientèle politique. D'où l'attention que les politiciens accordent à la gestion du pouvoir par les membres de leurs groupes.

Et aujourd'hui, quelle place ce débat occupe-t-il ?

Il faut reconnaître que, depuis 1960, le président a été du Nord pendant pratiquement au moins quarante-cinq ans (ce qui est facilement utilisé par les leaders du Sud pour créer le débat Nord-Sud). Mais c'est un faux problème parce que le pouvoir a quasiment toujours été gagné par un président du Nord en coalition avec des leaders du Sud (grosso modo, le Sud représente environ 70 % de l'électorat, contre 30 % pour le Nord)

C'est seulement le président Yayi (en partie du Nord) qui a pu gagner la présidence sans nécessité d'alliance avec des leaders du Sud : voilà en partie pourquoi ce débat est devenu plus intense sous son mandat. Il faut ajouter à cela que Yayi a été le président du pays qui a le plus menacé la cohésion nationale.

Y a-t-il une stratégie planifiée derrière les alliances de ces dernières semaines ?

Deux éléments expliquent largement les alliances entre les partis politiques observées ces dernières semaines : la peur de se retrouver dans l'opposition ou, si l'on préfère, le désir ardent d'être du côté du vainqueur à tout prix ; le positionnement par rapport au maintien ou non du système en place. Cela étant dit, je ne crois pas qu'il ait une stratégie planifiée de longue date qui pourrait expliquer les différents positionnements observés ces dernières semaines sur la scène politique nationale. Il y a à peine 10 mois, la plupart des acteurs (politiques ou non) qui soutiennent le Premier ministre aujourd'hui (y compris des personnes très proches de lui) préparaient des candidatures d'autres aspirants à la présidence de la République !

Quelle offre politique après le 6 mars 2016 ?

En réalité, l'échiquier politique béninois connaît une transformation (je dirais une dégénérescence) depuis environ une décennie et cela risque de continuer (ou même de s'accentuer) dans les prochains mois, surtout avec les effets de la présidentielle de 2016. En fait, il y a une vingtaine d'années, plusieurs partis politiques étaient capables seuls de faire élire des députés et même de pouvoir former des groupes parlementaires (il faut neuf députés pour former un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale du Bénin). À l'exception du PRD (le parti de l'actuel président de l'Assemblée nationale du Bénin), tous les autres ont progressivement disparu de la scène politique pour laisser la place à des coalitions éphémères qui vivent le temps d'un cycle électoral ou deux, tout au plus. Le choix du candidat à soutenir pour la présidentielle (dans la mesure où quasiment aucun des partis ou des coalitions de partis n'a pu présenter de candidat) n'arrange pas la situation des partis politiques. Quasiment tous se sont éclatés à la suite du choix par leurs organes dirigeants du candidat à soutenir pour la présidentielle de 2016.

Quid de l'avenir de la mouvance présidentielle ?

En ce qui concerne les FCBE, il ne serait pas surprenant que ce groupe politique ne demeure pas sous la même forme (même si la même dénomination était maintenue). Par exemple, des figures de proue de ce groupe créent déjà de nouveaux regroupements qui, probablement, formeront la nouvelle configuration des FCBE (ou de ce qui en restera) dans la phase postélectorale.

Le statut de l'opposition est-il en train de disparaître ?

La situation, de ce point de vue, a toujours été un peu paradoxale au Bénin. Alors qu'une loi portant statut de l'opposition a été adoptée en 2001 (et que le décret d'application a été pris par le président sortant) depuis une dizaine d'années, à peine deux ou trois partis politiques (sur les plus de deux cents que compte le pays) ont effectivement rempli les conditions légales pour être considérés légalement comme des partis politiques de l'opposition. Cependant, une multitude de partis politiques se revendiquent et se comportent comme des partis politiques de l'opposition. Mieux (ou pire), ils sont, par exemple, traités comme tels et sont pris en compte en tant que tels dans la détermination de la configuration politique de l'Assemblée nationale (en violation de la législation). Avec la peur de l'opposition qui caractérise en ce moment la quasi-totalité de la classe politique, je crains que le statu quo ne demeure de ce point de vue là. À moins que le prochain président, comme cela est unanimement souhaité, ne considère la question de la réforme du système partisan béninois comme un chantier prioritaire et urgent et n'initie des réformes nécessaires.

Le Bénin est-il encore un laboratoire de la démocratie en Afrique ?

Quoi qu'on dise, et en dépit des difficultés que traverse le Bénin du point de vue politique, le pays demeure dans le peloton de tête en matière de processus de démocratisation en Afrique. Il est vrai que, contrairement à la fin des années 80 et au début des années 90, le Bénin n'a pratiquement pas généré d'idées nouvelles et originales en matière de solutions aux défis que pose le processus de démocratisation en cours dans le pays.



Source : afrique.lepoint.fr


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