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Référendum - Congo : "C'est une régression !"

  Politique, #

Au Congo, la messe est dite. La nouvelle Constitution est désormais sur orbite avec à son crédit les 92,2 % de "oui" recueillis lors du référendum contesté du 25 octobre dernier. Alors que l'opposition souhaite poursuivre le bras de fer engagé avec le pouvoir, la communauté internationale, de son côté, prend note avec une certaine réserve des résultats. Un tel contexte de tension mérite d'être analysé alors que le souvenir de la guerre civile terminée en 1997 est encore dans tous les esprits. C'est ce que se propose de faire Francis Kpatindé* dans l'entretien qu'il a accordé au Point Afrique.

Le Point Afrique : pourquoi une telle polémique autour du référendum au Congo ?

Francis Kpatindé : La voie choisie par le président Denis Sassou Nguesso est inédite, car, comme la Constitution lui interdit toute modification, il a décidé de changer de République. La Constitution actuelle, qui date de 2002, interdit aux personnes âgées de plus de 70 ans de briguer la présidence de la République. Cette Constitution interdit aussi de faire plus de deux mandats. Actuellement, le mandat est de sept ans et est renouvelable une fois. Dans la nouvelle Constitution qu'il a soumise à référendum, le mandat est de cinq ans, mais renouvelable deux fois. Donc, si tout va bien pour Denis Sassou Nguesso dans quinze ans, il devrait être encore à la tête du Congo après avoir déjà passé trente et un ans si on cumule tous ses mandats, issus du peuple ou pas, d'ailleurs. Il est arrivé au pouvoir en 1979, l'a quitté en 1992 après l'élection de Pascal Lissouba. Il est revenu les armes à la main après une guerre civile féroce en octobre 1997.

Pourquoi le chef de l'État congolais n'a-t-il pas choisi de modifier la Constitution par la voie de son Parlement, fortement acquis à sa cause ?

En fait, le mode référendaire séduit beaucoup : ça fait démocratique et montre qu'il ne consulte pas seulement la classe politique au Parlement. Il a voulu se tourner vers le peuple et changer de République. Ce n'est pas interdit de faire des révisions constitutionnelles, il n'est pas interdit de faire un référendum, c'est même conseillé, mais on fait une réforme constitutionnelle pour passer du moins au plus ou faire évoluer sa société, donner des droits aux minorités, aborder des questions de civilisations ; on ne fait pas un référendum pour régresser. Dans le cas du Congo, il s'agit d'une régression parce qu'il y une enveloppe qui fait penser qu'on va vers le progrès, mais dans la réalité, le seul souci du président Sassou, c'est de se maintenir au pouvoir l'année prochaine et de rempiler. C'est ça qui est gênant, on ne peut pas faire une révision dans le seul but de se maintenir au pouvoir.

Mais le président a pris un risque tout de même...

Il n'y a pas de risque en réalité... car les résultats provisoires qui vont être validés par les institutions constitutionnelles affichent un taux de 72 % de participation et le "oui" l'aurait emporté à près de 93 %. Ce n'est pas sérieux ! Tous les observateurs, même s'il n'y en avait pas beaucoup, ont attesté qu'il n'y avait pas foule dans les bureaux de vote.

Les Congolais ont-ils saisi tous les enjeux de cette révision constitutionnelle ?

À l'évidence, non. Mais pourquoi ? Parce qu'on ne leur a pas laissé le temps de se pénétrer de ce projet constitutionnel qui comprend 246 articles rédigés dans un document d'une vingtaine de pages. Il faut vraiment des mois pour comprendre et intégrer toutes les données. De fait, la classe politique n'a pas eu le temps de faire campagne pour le "oui" ou pour le "non". Il aurait fallu passer dans les villages, dans les hameaux, pour expliquer aux gens les articles, leur présenter les avantages et les inconvénients d'un changement de la Constitution. Cela n'a pas été le cas, car le temps a été très court entre la décision fin septembre et le référendum le 25 octobre. Pourquoi cette précipitation alors que l'élection est encore dans un an ? Il aurait été possible d'offrir plus de temps à la classe politique pour populariser et discuter de ce projet de loi, mais là, au contraire, il n'y a pas eu discussion. Les partisans du "oui" ne comprennent pas tous les tenants et les aboutissements de cette Constitution.

Que va t-il se passer maintenant dans le pays ?

Il y a des soirs de victoire qui sont en fait des soirs de défaite. Il faut gagner non pas sur le court terme, mais sur le long terme. Sassou Nguesso s'est donné les moyens d'avoir cette victoire-là. À mon avis, il hypothèque gravement l'avenir de son pays parce qu'aucun dérapage n'est à exclure. Ce n'est pas normal. Le Congo est un émirat pétrolier qui a besoin de stabilité pour se développer. On aurait attendu du président Sassou Nguesso qu'il cède la place à une nouvelle classe gouvernante, y compris à des gens de son propre parti. Il a choisi de rester. Or nul n'est indispensable.

Mais la modification de la Constitution est désormais actée...

Je ne crois pas que ce soit acté. Il y a encore des pressions de l'extérieur, notamment au niveau international. La France, après avoir hésité, fait des communiqués contradictoires et semble revenir à des sentiments plus réalistes. L'Élysée, après proclamation des résultats, a fait part de sa réserve ; les Américains sont extrêmement réservés sur ce référendum parce qu'il est illégal et anticonstitutionnel. On ne peut pas réviser comme cela une Constitution, on ne peut pas changer une République, surtout lorsque la réforme porte sur une question aussi importante que le nombre de mandats présidentiels et leur durée. Il aurait été plus conséquent que l'on restât dans le cadre de l'ancienne Constitution et que le président Sassou laissât à son successeur le soin d'organiser et d'expurger certains articles de la Constitution de 2002. Cela aurait attesté de sa bonne foi.

Cette victoire du "oui", c'est surtout la défaite de l'opposition, non ?

L'opposition a très peu de moyens. Et, dans cette opposition, il y a "à boire et à manger" : des intellectuels, les politiques en exil, le général Moukoko, ancien chef des armées congolaises qui est maintenant à Bangui en République centrafricaine. Il y a aussi sur le terrain d'anciens alliés du président qui ont quitté le gouvernement ou le parti, comme Parfait Kolélas qui est assiégé chez lui... Donc il y a quand même un émiettement des forces et il n'y a pas un leader à même d'incarner l'opposition à Sassou et à ce projet de Constitution. Il y a plusieurs leaders et peu d'organisation. Le reproche capital que je ferais à cette opposition, c'est de manifester de loin, à Paris par exemple, au lieu de s'organiser sur le terrain, un peu comme les Burkinabè l'ont fait, même si les conditions ne sont pas similaires.

Autour de quelles questions les modifications de Constitution tournent-elles en général ?

Ce qui intéresse nos chefs d'État, c'est le nombre de mandats. La limitation est venue au cours des années 1990, après les conférences nationales. On a limité leur nombre afin d'essayer de restreindre l'appétit de pouvoir de nos chefs d'État. Mais, quand ils veulent rester, ils font des révisions constitutionnelles, par le Parlement ou par référendum. Ce qui les intéresse, ce n'est pas de faire évoluer leur société, c'est de rester pour des questions d'égo.

Et la question de la stabilité ?

Ce n'est pas du tout une question de stabilité. Regardez : en Zambie, il y a eu des changements, au Botswana, il y a eu des alternances. Il n'y a pas dislocation de l'État dans ces pays, comme en Afrique du Sud, au Ghana, en Tanzanie, au Sénégal. Vous savez, Sassou Nguesso a connu tous les présidents sénégalais : Léopold Sédhar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et enfin Macky Sall. Ça devrait interpeller quand même. Ce n'est pas normal !

Il y a aussi l'argument de la poursuite des grands chantiers. Qu'en pensez-vous?

Les chantiers doivent être poursuivis par d'autres. Prenez la Côte d'Ivoire : certains chantiers du président Ouattara avaient été initiés sous Houphouët-Boigny.

Quels sont les dispositifs à mettre en place pour mettre fin aux modifications constitutionnelles en Afrique ?

En dehors de cette question de limitation du nombre de mandats, il y a d'autres paramètres qui devraient intervenir dans les années à venir. Dans l'ensemble des pays de l'Afrique de l'Ouest, le nombre de mandats est limité à deux. Seuls deux pays échappent à cette logique, c'est le Togo et la Gambie. En Afrique centrale, les chefs d'État font sept ans dans des mandats renouvelables à l'infini. Je pense que le second chantier qui s'annonce concerne le mode de scrutin. Dans la plupart des pays où le mandat est de sept ans et renouvelable à vie, le mode de scrutin est à un tour. Au contraire, dans les pays où le mandat est de cinq ans et est limité, les scrutins sont à deux tours. Ce que l'on remarque, c'est que les chefs d'État ne veulent pas prendre le risque de se retrouver face à une opposition unie dans un second tour, comme c'est le cas au Gabon, au Cameroun. On se focalise aujourd'hui sur le nombre de mandats, mais il va falloir très rapidement traiter du mode de scrutin avec une attention particulière au nombre de tours.

En quoi la révision constitutionnelle constitue-t-elle un danger pour le processus et la consolidation de la démocratie en Afrique ?

La révision constitutionnelle stricto sensu ne met pas en péril la démocratie. C'est la révision constitutionnelle pour permettre à un seul homme de se maintenir qui met en cause le processus démocratique. Il est même conseillé de modifier la Constitution. Une Constitution n'est pas gravée dans le marbre. Vous voyez, par exemple, il a fallu le 13e amendement de la Constitution américaine pour abolir l'esclavage. Si c'était figé dans le marbre, on n'aurait pas pu intervenir. Il faut modifier la Constitution pour évoluer, c'est impératif ! Autre exemple du chemin à parcourir : au Bénin, par exemple, c'est un scrutin à deux tours, mais la Constitution dit qu'il faut organiser le second tour de l'élection présidentielle deux semaines après le premier tour et non pas après la publication des résultats définitifs, ce qui fait que, depuis 1990 et l'élection de 1991, il n'y a jamais eu de second tour digne de ce nom. Il est souvent bâclé, car le pays ne sait pas donner les résultats en temps et en heure. Les candidats retenus n'ont pas le temps de battre campagne pour le second tour puisque les populations apprennent les résultats à seulement deux jours du vote pour le second tour. Conséquence : le Bénin devrait modifier cet élément de la Constitution qui crée la situation que je viens de décrire. Et ce serait une modification justifiée.


* Ancien journaliste, puis rédacteur en chef de Jeune Afrique, Francis Kpatindé est un expert du PNUD pour les questions électorales en Afrique. Il est également enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris, Sciences Po.



Source : afrique.lepoint.fr


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