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Révolutions africaines !

  Politique, #

Les Rendez-vous de l'histoire de Blois (17e édition) avaient pour objet en octobre 2014 Les rebelles. Africa4 s'est intéressé à une catégorie bien particulière de rebelles : les révolutionnaires. Non pas les grandes figures, mais les mouvements sociaux inspirées de l'esprit révolutionnaire de la décennie 1960. Depuis quelques années, cette histoire fait l'objet d'une nouvelle approche.

Questions à Françoise Blum, chercheur CNRS du Centre d'histoire sociale (CHS) de l'université Paris I Panthéon Sorbonne, qui vient de publier Révolutions africaines. Congo, Sénégal, Madagascar, années 1960-1970 (1).

Que sont les " Trois Glorieuses " de Brazzaville les 13, 14 et 15 août 1963 ?

Les " Trois Glorieuses " de Brazzaville, 13-14-15 aout 1963, sont les journées de révolution durant lesquelles l'alliance des syndicats et de la jeunesse brazzavilloise a fait chuter l'abbé Youlou, premier président élu de la république indépendante du Congo. " Trois Glorieuses " renvoie, plus qu'à la révolution française de 1830, aux " Trois glorieuses " d'août 1940 qui ont fait basculer l'Afrique équatoriale française (AEF) dans le camp de la France libre. L'Abbé Youlou avait décidé d'instaurer le parti unique, entérinant ainsi une situation de fait où son parti, l'UDDIA, dominait le champ politique, l'opposition n'étant plus que l'ombre d'elle-même. Mais les syndicats, inquiets de se trouver ainsi marginalisés, conclurent entre eux une d'ailleurs éphémère alliance. Ils appelèrent à la grève générale en vue d'obtenir des garanties. Bien au-delà de ce qu'ils avaient prévu, la grève se transforma en émeute, du fait de la convergence vers le centre administratif et politique de Brazzaville de manifestants venus des quartiers populaires. L'Abbé Youlou, lâché doublement par l'armée française et l'armée congolaise, et par de Gaulle lui-même, démissionna. Le pouvoir fut confié à un gouvernement provisoire. Mais ce n'était que le début d'une révolution qui, jusqu'en 1968 et le coup d'état du capitaine Marien N'Gouabi, vit la jeunesse congolaise fédérée dans la JMNR (Jeunesse de Mouvement national révolutionnaire) et regroupée en milices armées, instruites par les Cubains, tenter d'établir un régime fondé sur les principes du socialisme scientifique. Le Congo avait ainsi basculé dans le camp socialiste et offrit une base arrière à toutes les luttes du continent, de même qu'il noua des rapports étroits avec les " peuples frères ", URSS, Chine et Cuba en tête.

 

Mai-68 en France est célèbre ; mais on oublie qu'il a existé également un Mai-68 à Dakar. De quoi s'agit-il ?

Il y eut en effet à Dakar un " Mai 68 ". Léopold Sedar Senghor, alors Président de la république du Sénégal, accusa d'ailleurs les étudiants sénégalais de singer les étudiants français et de faire " même chose Toubabs ". Evidemment, la réalité est beaucoup plus complexe et, même si il y avait de multiples contacts d'un pays à l'autre, les étudiants sénégalais avaient leurs propres raisons d'agir. La révolte avait démarré, en mars 1968, pour des raisons corporatistes : une diminution des bourses accordées aux étudiants, diminution contre lesquelles s'était élevé le principal syndicat, non déclaré : l'Union Des Etudiants Sénégalais. Mais les négociations n'aboutirent pas, le gouvernement restant ferme. L'UDES appela alors à la grève, fin mai 68, rejointe bientôt en cela par l'Union des Etudiants de Dakar qui représentait les étrangers dans une université où cohabitaient 22 nationalités. La répression ne tarda pas. L'université fut cernée par les forces de police, les étudiants sénégalais internés dans un camp militaire et les autres étudiants africains expulsés vers leur pays d'origine. Cette répression, loin de profiter au pouvoir, décida l'Union Nationale des Travailleurs Sénégalais, la centrale majoritaire, à intervenir à son tour. La centrale, dont une frange voyait avec inquiétude l'intégration syndicale au parti " unifié ", appela à son tour à la grève générale. Le même scénario se répéta alors. Les syndicalistes, réunis à la Bourse du travail furent cernés et arrêtés par l'armée puis internés dans le camp de Dodji , équipé pour l'occasion par l'armée française. Le résultat en fut une émeute urbaine. Senghor alors, dont le pouvoir vacillait malgré le soutien de l'armée, négocia. Et en juin 1968 fut signé un accord tri-partite entre gouvernement, syndicats et patronat, accord qui rappelle étrangement le " constat de Grenelle ". La mesure majeure en était l'augmentation du SMIC. En septembre, une réforme de l'université fut mise sur les rails.

 

Pourquoi dit-on du " Mai malgache " (1972) qu'il est la seconde indépendance ?

Il y eut aussi un " Mai malgache " comme il y eut un " Mai français " ou un " Mai sénégalais ". Les deux derniers eurent lieu en mai 1968, le premier quatre ans plus tard, en Mai 1972. Comme le Mai français et le Mai sénégalais, la révolution de 1972 à Madagascar, qui culmine durant la journée du 13 mai qui voit la population affronter les FRS (Forces républicaines de sécurité), est le fruit de l'alliance des jeunes - étudiants, scolaires et ZOAM (Jeunes chômeurs de Tananarive) - d'une part, et de l'autre des parents, travailleurs et petit peuple. Cette révolution met au cœur de ses revendications la suppression des accords de coopération avec la France. Ces accords, généralement rédigés avant les indépendances mais signés après, constituaient en fait ce qui restait de la Communauté et établissaient des relations privilégiées entre l'ancienne métropole et ses anciennes colonies. Ce que dénoncent les jeunes malgaches c'est tout particulièrement les accords sur l'enseignement, qui leur semblent perpétuer un enseignement inadapté et, peut-être surtout, l'usage de la langue française comme langue de savoir et langue de pouvoir. Ils demandent la malgachisation de l'enseignement. Ils appellent de leur vœux une " deuxième indépendance ", une indépendance qui ne soit plus seulement nominale mais réelle, débarrassée des séquelles coloniales. Victoire incontestable, les accords de coopération seront effectivement révisés, en 1973, et l'enseignement malgachisé, ce qui n'alla d'ailleurs pas sans problème. Mais le rêve de démocratie populaire qui s'était fait jour durant la révolution se brisa, laissant Madagascar avec la nostalgie de ce qui n'advint pas alors.

 

Blum, Françoise, Révolutions africaines, Congo, Sénégal, Madagascar, années 1960-1970, Rennes, PUR, 2014 (18 E)



Source : libeafrica4.blogs.liberation.fr


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