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Rokhaya Diallo - "On projette l'image de l'esclave soumis sur les noirs de France"

  Société, #

A l'occasion de la journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage, dimanche 10 mai, nous avons rencontré Rokhaya Diallo, militante fondatrice de l'association " Les Indivisibles ", journaliste et écrivain. Engagée dans de nombreux combats pour l'égalité, elle rappelle que le passé colonial et esclavagiste de notre pays contribue au manque de visibilité actuel des personnes noires en France.

La reconnaissance de l'esclavage comme " crime contre l'humanité " en 2001 et la journée de commémoration instaurée le 10 mai, sont-elles des avancées satisfaisantes pour vous ?
Je me félicite que la France ait été le premier pays à reconnaître l'esclavage et les traites négrières comme un crime contre l'humanité sous l'impulsion de Mme Taubira et des collectifs qui avaient défilé en 1998. Cela place l'esclavage là où il est : un crime d'ampleur internationale auquel la France a pris une large part puisque les traites négrières y ont duré 400 ans et ont fait entre 60 et 70 millions de morts. Il ne faut pas oublier que pour un esclave arrivé vivant, il fallait compter six morts. Il s'agit donc de reconnaître le passé d'une grande partie de nos concitoyens d'Outre-Mer que l'on a tendance à oublier. Pour autant, je regrette que la loi ne prévoie pas de dispositions en cas de négationnisme de l'esclavage. Ce fut une opération d'ordre génocidaire. Que l'on puisse la remettre en cause sans être inquiété pose vraiment des questions.

Le passé esclavagiste de la France conditionne-t-il le regard de la société française actuelle sur les personnes noires ?
Dans l'Hexagone, une grande partie des personnes noires ne sont pas issues de l'esclavage, c'est mon cas par exemple. Cependant, il y a un problème dans la manière dont les esclaves sont représentés. On les montre généralement enchaînés et courbés, on fait peu de place aux résistances. Beaucoup d'esclaves se sont battus sur les bateaux négriers, certains se sont jetés par dessus bord car ils refusaient de finir soumis et déchus de leur humanité. Peut-être que l'on ne célèbre pas suffisamment cette résistance là... Alors oui, il y a peut-être un problème dans l'image de l'esclave perpétuellement soumis car c'est elle que l'on projette aujourd'hui sur l'ensemble des noirs.

Vous parlez d'un " racisme atmosphérique ". Comment se manifeste-t-il ?
En France, on a encore l'image d'un pays qui reste blanc où les citoyens non blancs sont quelques parts des accidents ou des présences marginales alors qu'ils sont de plus en plus nombreux. Au quotidien, les personnes noires, arabes ou asiatiques déplorent le fait qu'ils sont toujours questionnés sur une provenance, ils sont perçus comme des gens qui viendraient d'ailleurs et qui ne seraient pas possiblement français. Dans l'inconscient collectif français, les gens qui ne sont pas blancs viennent d'un autre pays. Les contrôles au facies sont également encore très nombreux. Actuellement, en France, quand on est perçu comme arabe on a 8 fois plus de risque d'être contrôlé et les personnes noires ont 6 fois plus de risques que les blancs. Face aux interventions policières les citoyens ne sont pas égaux. Il faut une implication gouvernementale pour régler ce problème.

Pourquoi en est-on encore là en France en 2015 ?

On a beaucoup de mal à formuler la présence de minorités ethno-raciales en France. Certains pays comme le Royaume-Unis ou les États-Unis n'ont aucune difficulté à considérer leurs minorités noires comme des citoyens à part entière. Nous, on vit dans une espèce de tabou, de mythologie républicaine selon laquelle il n'y aurait pas de couleur, l'universalisme républicain donnerait des citoyens français qui seraient au-delà de leur couleur de peau. Être aveugle aux couleurs de peaux, ça rend aveugles aux conséquences à savoir au racisme et aux discriminations. Je crois que l'assimilation est un mythe. On ne peut pas demander aux gens de se rendre invisibles sous prétexte d'assimilation. De plus en plus de noirs n'ont pas honte d'être qui ils sont : de porter leurs cheveux crépus, d'être noirs foncés, ni de porter des prénoms africains. L'autre problème c'est que les politiques anti-racistes sont totalement inexistantes. Le président a nommé un délégué interministériel chargé de la lutte contre le racisme, celui-ci n'a aucune expertise sur la question. C'est une personne diplômée de l'Ena qui s'est répandue dans les journaux dans des propos très problématiques. Donc, on considère que cette question-là ne nécessite pas d'expertise. La politique annoncée est également très superficielle : 50% du budget sera un budget de communication alors qu'on a besoin d'une implication sur le terrain !

 

"Dans 95% des cas, je suis la seule noire sur les plateaux"

Un jour, vous avez " réalisé " que vous étiez noire. Qu'a changé pour vous cette " prise de conscience douloureuse " ?
J'ai grandi dans le 19eme arrondissement de Paris puis j'ai vécu à la Courneuve adolescente donc dans des environnements très mixtes et cosmopolites. Quand j'ai poursuivi mes études, je suis devenue la seule noire de mon environnement scolaire puis professionnel. Et là, on m'a parlé comme si je débarquais d'un pays étranger. Je me souviens par exemple de soirées où l'on se tournait vers moi quand la musique était africaine ou antillaise. Des petites choses marrantes sur le coup mais qui, cumulées, interrogent. C'est pourquoi vers 23 ans, j'ai dû me positionner en affirmant que j'étais Française alors que je n'aurais pas dû avoir besoin de le faire. Il fallait le formuler, l'expliquer pour faire ma place. Je me suis rendue compte que toutes ces questions qu'on me posait étaient liées au fait qu'il y avait peu de gens comme moi dans les médias.

Est-ce que ça a été justement difficile pour vous de faire votre place dans les médias ?
Non, j'ai eu un parcours exceptionnellement facile. Je suis devenue journaliste en passant par le militantisme et je suis apparue à un moment où il y avait sans doute un besoin par rapport à la parole que je portais. Mais j'ai pris conscience des difficultés qu'expérimentaient d'autres personnes. Mon parcours n'est pas représentatif des jeunes journalistes qui ne sont pas blancs. Dans mon milieu professionnel, il y a une absence totale d'une grande partie de la population : les femmes, les gens issus de quartiers populaires, les gens qui ne sont pas blancs. Les cercles élitistes résistent beaucoup plus à la diversité que les milieux plus populaires.

Les médias et la classe politique sont-ils entièrement responsables du manque de visibilité des personnes noires ?
Je ne suis pas capable de dire pourquoi on ne voit pas davantage de personnes noires. Il y a des écrivains, des intellectuels noirs, je pense à Fatou Diome qui a fait sensation sur le plateau de " Ce soir (ou jamais !) " fin avril. On pourrait la voir davantage sur les plateaux de télévision, tout comme Eleonora Miano qui a gagné le prix Femina. Les gens ne manquent pas ! Je crois vraiment que les journalistes ont tendance à solliciter toujours les mêmes personnes, les bons clients. Dans 95% des cas, je suis la seule noire sur les plateaux or je ne pense pas être la seule noire qui ait des choses à dire.
Je crains d'ailleurs que le fait que je sois l'une des seules sollicitées à cette récurrence ne confère à ma parole un rôle de responsabilité que je ne souhaite pas porter. Je n'ai absolument aucune revendication de représentation, je parle pour mon compte.

On entend d'ailleurs plus de femmes noires s'exprimer que d'hommes, pourquoi ?
C'est vrai. On est dans une logique de pragmatisme qui fait que généralement on a des enjeux de parité. On essaie de faire en sorte que les gouvernements et les plateaux de télévision soient paritaires et cela favorise les femmes issues des minorités. C'est déplorable car les hommes arabes ou noirs sont très peu représentés en politique.

Vous êtes une femme, noire, de culture musulmane. Vous êtes féministe, vous luttez contre le racisme et l'islamophobie. Parmi tous vos combats, y en a-t-il un prioritaire pour vous ?
Ces causes là sont en effet plus visibles car elles sont liées à ma personne mais je me bats sur d'autres terrains. Je travaille avec " La voix des Rroms ", je me suis beaucoup impliquée contre la pénalisation des clients de prostituées ou pour le mariage pour tous. Ce sont des questions sur lesquelles je ne suis pas personnellement concernée. Je crois que ce qui lie toutes ces causes, c'est simplement que je me bats pour l'égalité et pour que les gens puissent faire des choix qui ne sont pas les miens.

Que répondez-vous à la journaliste essayiste Caroline Fourest et aux éditorialistes qui vous reprochent de ne pas avoir des positions très claires ?
J'ai usé de ma liberté d'expression à plusieurs reprises pour signer des textes, organiser les Y'a Bon Awards (ndlr : Prix décerné à une personnalité publique pour une déclaration raciste. Caroline Fourest l'avait reçu en 2012) qui sont portés par un jury de personnalités. Maintenant, on ne peut pas me reprocher d'utiliser ma liberté d'expression. Si ça dérange certaines personnes, je les invite à faire en sorte qu'on réduise la liberté d'expression ou à porter plainte. Caroline Fourest a été quand même condamnée pour diffamation suite à une chronique mensongère. Ca parle tout seul. Par ailleurs, je trouve qu'il y a une parfaite cohérence dans mes engagements : je me bats pour que les femmes puissent disposer de leur corps c'est-à-dire se voiler ou se prostituer. Je me bats pour que des femmes puissent faire des choix qui ne sont pas les miens. Alors évidemment, ça m'est reproché car ce n'est pas la position la plus commune mais je crois que c'est une position conforme à la France de 2015. J'ai envie d'avancer dans mes combats, j'ai beaucoup de travail. J'ai produit des ouvrages, des documentaires récemment. Je trouve dommage qu'on s'acharne sur des personnes comme moi qui se battent pour l'égalité au lieu de se battre contre les gens qui la remettre en cause.

Rokhaya Diallo a récemment publié la bande-dessinée " Pari(s) d'amies ", Rokhaya Diallo et Kim Consigny (éd.Delcourt) et " Moi, raciste ? Jamais ! Scènes de racisme ordinaire " (éd. Flammarion).



Source : www.parismatch.com


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