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Série TV - Kenya : l'industrie locale bousculée par Netflix

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En janvier, Netflix partait à la conquête de l'Afrique. Très vite, les réalisateurs, les producteurs et acteurs locaux ont compris que la donne allait être bouleversée et pas en leur faveur. Alors que leurs moyens sont faibles par rapport à la machine de guerre des séries proposées par Netflix, ils ont vite compris, entre deux pannes de courant et autres aléas de production, que plus rien n'allait être comme avant. Illustration avec notre plongée dans une série kényane.

" O.K. les gars, depuis le début ! "

Peter n'a presque plus de voix. Boudiné dans son maillot de foot, la goutte au front, le réalisateur de la série Pendo, une des plus populaires au Kenya, commence à perdre patience. Profitant de la deuxième coupure d'électricité en trois heures, ses deux principales actrices se sont assoupies sur les canapés judicieusement disposés face au soleil, sur la terrasse du studio improvisé de cette comédie locale. Comme beaucoup de productions kényanes, Pendo bricole entre acteurs inexpérimentés, pannes de courant et matériel d'une autre génération, le tout dans une atmosphère de tournage amateur.


Pourtant, tous les mercredis, en prime time depuis deux ans sur NTV Kenya, la première chaîne du pays, ce sont plus d'un million de personnes qui se pressent devant leur poste de télévision ou leur ordinateur pour suivre les derniers rebondissements de la série. Le tournage de la sixième saison de la comédie s'achève cette semaine, mais le bilan des derniers mois est mitigé.

Les séries locales en première ligne

Depuis l'arrivée de Netflix sur le continent, l'industrie locale fait face à une concurrence d'une nouvelle envergure. L'annonce de l'arrivée du géant américain aurait pu passer inaperçu au Kenya si la principale plateforme de télévision à la demande du pays, DStv, qui diffuse les principales séries locales, avait les moyens de rivaliser. Qu'en est-il ? L'équation est simple pour les futurs clients. Netflix propose une formule de départ entre 7 et 12 dollars quand l'offre basique de DStv oscille entre 15 et 20 dollars. Une différence que Tim Jacobs, le PDG de Multichoice Africa, opérateur de DStv justifie ainsi : " Il y a deux abonnés au Kenya pour cent en Afrique du Sud. Les prix sont donc plus élevés pour compenser. " Une stratégie qui pourrait ne pas être sans conséquence. " Si DStv subit, comme prévu, une forte baisse de ses abonnés, ils seront obligés de réduire leur budget et leur catalogue. Croyez-moi, ce ne sont pas les films européens ou américains qui sauteront les premiers, mais bien le contenu produit localement ", observe Simiyu Barasa, réalisateur et écrivain kényan. " Aucune série TV n'est pour l'instant à même de rivaliser avec le catalogue Netflix et des séries comme House of Cards, tant en termes de matériel que de scénario. Les témoignages de bonne volonté du gouvernement ici ne suffisent pas, poursuit-il avant de conclure, nous allons sentir le poids d'une multinationale sur notre petit écosystème local. "

Acteurs par hasard

Depuis la maison abandonnée dans la banlieue résidentielle de Nairobi où le casting de Pendo tourne, six jours sur sept et en huis clos, ses épisodes, les productions esthétisées de Netflix paraissent en effet bien loin. L'intérieur de la propriété a des allures de grenier poussiéreux. Les chaises de jardin côtoient les canapés molletonnés, les rideaux sont tirés et le papier peint violet donne à la pièce une ambiance datée. L'odeur permanente de gaz ne semble alarmer personne. Sur un vieux sofa, au pied d'une fresque murale avec rivière, montagne et forêt, un paysage digne du Montana, deux acteurs répètent une scène dont ils tentent de déchiffrer les dialogues sur les écrans de leurs téléphones. Tout le casting semble être en constante improvisation. " Comment je suis devenue actrice ? C'est une bonne question... par coïncidence, j'ai une formation de puéricultrice ", confesse une des actrices. " Nous n'avons pas de conservatoire ici, ceux qui veulent suivre une vraie formation vont généralement en Angleterre ", explique Newton, un des acteurs de la série. Ancien serveur, étudiant en science ou chômeurs sans formation artistique particulière, la majorité du casting s'est retrouvée à l'écran " par hasard ".

Compétition internationale

L'idée d'un investissement de Netflix sur des contenus locaux circule depuis plusieurs mois. Certains producteurs assurent même avoir été sollicités par le géant américain. Mais le manque de moyens de l'industrie locale est tel que cette option n'est pour l'instant pas envisageable. " Pour que Netflix investisse dans les contenus kényans, il faudra que ceux-ci se mettent au niveau, tant en termes de moyens que de contenus. Il ne s'agira pas seulement d'acheter des caméras dernier cri et des studios flambant neuf. Ces contenus devront se faire une place au milieu des autres séries africaines. Personne ne s'intéressera à une petite comédie en swahili ", estime Neil Schnell, producteur canadien de la série kényane Rush. Pour sa collègue, Nyambura Waruingi, scénariste de Rush, Netflix doit être vu comme une opportunité pour l'industrie locale : " C'est l'occasion de se mettre au niveau, de monter en gamme et d'arrêter de faire un contenu qui n'est pas rentable pour des chaînes qui refusent d'investir dedans. Netflix peut-être le tremplin nécessaire puisque le gouvernement et le Kenya Film Board ne soutiennent pas les productions locales. "

Le rôle prépondérant du gouvernement

Si Netflix est un danger potentiel sur le long terme pour les productions locales, le principal obstacle au développement de l'industrie audiovisuelle kényane semble être le gouvernement lui-même. Selon le Kenya Film Classification Board (KFCB), organe du ministère de la Culture dont dépendent les programmes kényans, 60 % du contenu des chaînes publiques en prime time, de 19 h 30 à 21 heures, doit être " made in Kenya ". Sur cette tranche horaire aujourd'hui, on ne trouve pourtant que cinq séries locales. " Si un épisode kényan coûte 1 000 dollars, les programmateurs préfèrent investir sur du contenu mexicain ou du russe, moitié moins cher. Si Nollywood est aujourd'hui une industrie aussi puissante, c'est parce qu'il y a de la promotion, des festivals, etc. On ne peut pas se mettre au niveau de Netflix sans l'aide de notre propre gouvernement. On paye déjà assez des gens, qui au passage nous escroquent totalement, en échange de tranche horaire intéressante de diffusion, on n'a pas les moyens de faire mieux ", enrage Peter.

Joint par téléphone, le KFCB n'a pas souhaité commenter. Les règles de l'organe de censure kényan sont pourtant très strictes : aucun baiser, aucune scène d'amour ou séquence impliquant de l'alcool ne sont tolérés en prime. Une véritable police des mœurs qui a ses ambiguïtés. " Des Mexicains qui se font des bisous sur une obscure série mexicaine, là, ça passe par contre. Du coup, on s'occupe autrement. On fait des blagues sur le gouvernement. " Alors à défaut de pouvoir la montrer à l'écran, Peter savoure une bière bien méritée après douze heures en studio. Le lendemain sera le dernier jour de tournage avant quatre mois de trêve pour décider si la série connaîtra une septième saison.



Source : Le Point Afrique


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ali
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