Dans notre précédent épisode de " Sneakers et hip hop, histoire d'une alliance sacrée ", TRACE te racontait les débuts de la culture sneaker à travers la marque Nike. Le géant de L'Oregon cependant ne fut pas l'un des seuls artisans et précurseurs de la culture sneakers. Même si Nike reste la seule marque capable de générer des comportements excessifs de la part de ses consommateurs comme des émeutes, des bagarres, des agressions ou des meurtres, voir ci dessous:

La marque à la virgule possède néanmoins un concurrent historique de taille qui dans cette grande bataille du style a su lui aussi capitaliser sur l'avènement du rap et de la culture hip hop en tant que forme d'art viable et tirer son épingle du jeu sur le plan financier. TRACE va donc te faire voyager dans le temps et t'emmener dans les coulisses du mariage entre la culture hip hop et la marque aux trois bandes.

1- La Genèse.

Adidas est une marque de sportswear d'origine allemande créée par Adolf Dassler en 1949, mais c'est presque 20 ans plus tard de l'autre côté de l'Atlantique que va véritablement s'écrire la légende de la marque aux 3 bandes. Nous voilà vers la fin des années 70, dans les rue de Bed-Stuy Brooklyn. Une bande de jeune pose un bout de carton sur le sol, et se met à gesticuler enchanant tour à tour figures acrobatiques et mouvements robotique sur de la musique funky aux rythmes saccadés : le break dance est né. Avec l'éclosion de la danse, le style B-boy va devenir l'un des nombreux codes qui va irrémédiablement intensifier la relation entre la culture et le sportswear. En 1980, tous les B-boys n'ont d'yeux que pour un modèle qui répond au doux nom prémonitoire de Adidas Superstar (connu aussi sous l'appellation Shell Toe, à cause de sa semelle en forme de coquillage). Les danseurs la portaient avec d'imposants lacets et l'exhibaient fièrement dans les nouveaux shows télévisés de l'époque comme le légendaire " Soul Train " ou encore " Graffiti Rock ".

2- RUN DMC, précurseurs du mouvement.

Joseph " Rev Run " Simmons, Darryl " DMC " McDaniels, et Jason " Jam Master Jay " Mizell forment les Run DMC. Ils sont vêtus de survêtements Adidas au logo à fleur, une énorme chaîne en or autour du cou, d'une paire de Adidas Superstar sans lacets (pour rappeler les prisonniers) et d'un Fedora noir sur la tête pour couronner le tout. Cette silhouette va devenir la marque de fabrique du groupe et s'inscrire dans son identité visuelle au même titre que le logo RUN DMC blanc entre deux bandes rouges. Si aujourd'hui survêtements, casquettes et baskets, dans l'inconscient collectif appartiennent à la panoplie du parfait rappeur, il est important de noter qu'avant l'arrivée de RUN DMC le look hip hop était plus proche du glam rock à la Melle Mel ou de l'afro-centrisme à la Afrika Bambaataa. L'arrivée des 3 lascars au milieu des années 80 va donc opérer un changement radical, une révolution dans l'esthétique du hip hop.

Melle mel ci dessous:

Afrika Bambaataa ci dessous:

3-L'endorsement, naissance d'un modèle économique.

L'histoire de la naissance de l' " endorsement deal " dans le hip hop, se conjugue avec celle de la naissance d'un des premiers labels de hip hop indépendant : Def Jam Recordings. Créé par le producteur Rick Rubin dans sa chambre d'étudiant de l'université de New York. Initialement dans le but de sortir les disques de son groupe de Punk " Hose ", le susnommé va vite détourner son attention vers le hip hop beaucoup plus urbain et contemporain. Véritable témoin des évolutions sociétales de son environnement et de son époque, le genre fascine littéralement Rick. Il va ensuite engager Russell Simmons qui n'est autre que le frère de Rev Run, comme manager et exécutif du label. L'une des dates clés du groupe est la sortie en 1986 du titre " My adidas " (produit par Rick Rubin). Le morceau dont les paroles scandent " My adidas and me, close as can be / We make a mean team, my adidas and me " à l'origine n'avait pas pour but de faire la promotion de la marque. Il va pourtant devenir un vrai hymne au consumérisme décomplexé et créer un véritable phénomène autour du modèle de la marque allemande.

C'est alors qu'un éclair de génie émanant de Lyor Cohen lui aussi exécutif du label va modifier à jamais le rapport entre le hip hop et la mode. Cohen va avoir la brillante idée de convoquer les pontes de la marque dans son bureau afin qu'ils puissent écouter Run DMC rapper la chanson en live sous leurs yeux. La réunion ne prendra cependant pas la tournure espérée, les cadres de adidas se contentant uniquement d'offrir des vêtements gratuits au groupe de rap. Mais Cohen ne désespère pas et réitère son invitation cette fois-ci au Madison Square Garden dans le cadre de la tournée Raising Hell du groupe. Run, avant d'interpréter la fameuse chanson demande aux 40 000 fans présents dans la salle de brandir leurs adidas Superstars. La démonstration a eu cette fois-là, l'effet escompté. Angelo Anastasio alors cadre chez adidas assiste au concert et ce dernier reste complètement abasourdi à la vue des dizaines de milliers de adidas en l'air. Il saisit très vite l'ampleur du phénomène et en fait le rapport dès le lendemain à ses supérieurs. S'en suivra un contrat d'endorsement d'un montant d'un million de dollars (somme astronomique pour l'époque). En 1988, la marque a estimé les revenus générés par la collaboration avec le groupe à 100 millions de dollars.

3- L'héritage

Cette manoeuvre judicieuse, est donc à l'origine d'un véritable modèle économique et a fait entrer l'endorsement et le placement de produit dans l'écosystème de tous les artistes de l'industrie. Le contrat des RUN DMC a fait des émules et a ouvert la voie à des collaborations avec d'autres artistes hip hop. De Missy Elliott avec sa célèbre collection Respect M.E en 2004

à Pharrell Williams tout récemment pour sa collection de Stan Smith et Superstars dans de multiples coloris inédits

à Kanye West et ses nouvelles Yeezy boost 750

ou encore ses protégés Big Sean et Pusha T avec la sortie de son modèle EQT Running Guidance 93.

Big Sean adidas Pro " Detroit Player " par Big SeanPusha TPusha T EQT Running Guidance 93
Campagne " Song from the scratch " de adidas Originals avec Fetty Wap et Baauer

La liste d'illustres artistes ayant collaboré avec la marque ne comprend pas uniquement des têtes de gondole, en effet la marque a fait le choix désormais de faire de la recherche et du développement un peu à la manière des maisons de disque. Le but de cette démarche est d'anticiper les nouveaux phénomènes et n'hésite plus à travailler avec des artistes un peu plus confidentiels et issus de la culture underground tout en respectant leur éthique et leur imagerie.

La dernière campagne virale d'adidas Originals dédiée aux artistes urbains s'est offerte la participation de Baauer (Harlem Shake), Fetty Wap (Trap Queen), Tinashe (2on), Jeremih (Don't Tell Em), Joey Bada$$, Danny Brown, Araabmuzik, Dj Quik, Kurupt, Iamsu, Chance The Rapper, Tory Lanez et d'autres stars montantes telles que Kelela ou encore Tink (la protégée de Timbaland).

En conclusion, adidas continue d'être un acteur dynamique de la culture hip hop de part sa relation privilégiée avec celle-ci nouée dès le milieu des années 80 mais surtout de par ses différentes campagnes marketing et sa constante veille sur les évolutions et les tendances du secteur. En 2015, sa pertinence peut être liée à sa propension à mettre en exergue le contenu de l'artiste sans pour autant le parasiter du rayonnement de la marque. C'est une véritable relation équilibrée : la marque bénéficie du capital sympathie et de la crédibilité de l'artiste et l'artiste quant à lui, jouit de l'aura internationale et positive de la marque. L'approche d'adidas en ce sens, est sensiblement différente de celle de Nike. Nike ne travaille pas avec les artistes (sauf Kanye) et les laisse construire sa légende alors qu'adidas du fait de son background aura plus tendance à les solliciter.