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" Taxi-Maboule ", un portrait historique des héros de la décolonisation en Afrique

  Politique, #

Expédition Taxi-Maboule est une fiction qui met en scène une odyssée historique de la décolonisation de l'Afrique française à l'été 1960, de la fédération du Mali aux rives du Congo. Les quatre antihéros de ce feuilleton radiophonique diffusé sur les ondes de France Culture croisent des personnages réels, historiques, souvent éloignés de l'historiographie officielle.

Essayons, en suivant les traces de Taxi-Maboule, de brosser le portrait de certains d'entre eux. À chaque étape, on s'enfonce un peu plus dans la brutalité de la décolonisation... si loin de la chanson Indépendance cha-cha fredonnée par l'équipage de Taxi Maboule à son arrivée sur le tarmac de Dakar.

Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal (1960-1980). Crédits : via Wikimedia Commons

La première étape se joue à Dakar. Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal, est aujourd'hui célèbre pour son statut d'intellectuel, ardent défenseur de la langue française, poète, chantre de la négritude : cette élite coloniale de l'université française incarne le mythe le plus consensuel du père de l'indépendance.

 

Partisan d'une grande fédération en Afrique de l'Ouest, il s'est opposé à la " balkanisation " de l'Afrique promue par Félix Houphouët-Boigny (qui deviendra le premier président de la Côte d'Ivoire) et Jacques Foccart entre 1958 et 1960. Cet épisode, baptisé la " querelle fédérale " a vu s'opposer le Rassemblement démocratique africain (RDA) d'Houphouët-Boigny et le Parti du Regroupement africain (PRA) de Senghor.

En 1958, la fédération du Mali a été imaginée dans ce contexte. Elle est devenue le point de fixation de la crise en Afrique de l'Ouest. Réunissant initialement le Sénégal, le Soudan (Mali), le Dahomey ( Bénin) et la Haute-Volta ( Burkina Faso), elle ne se compose plus que de l'alliance fragile entre le Sénégal et le Mali en juin 1960, date de la proclamation de son indépendance.

Cependant, Senghor, " ministre conseiller " du gouvernement français et président de l'Assemblée de la fédération, est loin d'être l'homme fort de la fédération du Mali. Son pouvoir est en réalité partagé entre le Sénégalais Mamadou Dia, président de la fédération, et le Soudanais Modibo Keïta, chef du gouvernement.

En septembre 1960, au lendemain de l'éclatement de la fédération, Léopold Sédar Senghor devient président du Sénégal. Dès 1962, il écarte du pouvoir Mamadou Dia... qui fait l'objet d'une amnésie officielle. Quant à Modibo Keïta, il devient l'homme fort du Mali.

Il a rallié le RDA dès sa création en 1946 ; il en est le chef au Soudan colonial. Mais ses conceptions panafricanistes et tiers-mondistes le séparent d'Houphouët-Boigny dans les années 1950. Il ne cache pas son penchant pour la cause du FLN en Algérie.

 

La France craint alors la fragilisation de ses positions au Sahara à la veille de l'indépendance. Président de l'Assemblée constituante de la fédération du Mali fin 1958, il en devient le chef du gouvernement en juillet 1960. En septembre 1960, il devient président de la République soudanaise qu'il rebaptise République du Mali, en souvenir du projet fédéral mort-né. Jusqu'en 1968, date du coup d'État qui le renverse, il dirige un régime socialiste autoritaire et tiers-mondiste. Il cherche à se détacher de l'influence française et à rapprocher le Mali de la Guinée de Sékou Touré et du Ghana de Nkrumah, principaux adversaires de la France en Afrique.

La Haute-Volta (Burkina Faso), étape clé de Taxi-Maboule, a été une pièce maîtresse de la décolonisation. En 1958-1959, elle est déchirée entre ses tentations de rallier la fédération du Mali et les ambitions géopolitiques d'Houphouët-Boigny. Ce dernier, par l'entremise du RDA, parvient à rallier la Haute-Volta à ses thèses. Car le RDA a une histoire spécifique dans ce territoire : son cofondateur est Ouezzin Coulibaly, le leader de la Haute-Volta. Sa mort en septembre 1958 laisse un vide politique. Au titre du RDA, Maurice Yaméogo lui succède avec la bénédiction d'Houphouët-Boigny. Mais Yaméogo doit encore s'imposer en peu de temps comme le père de l'indépendance. C'est-à-dire briser son opposition. Sa ligne politique sera de rallier Houphouët contre la fédération.

Parmi les grandes figures de l'opposition voltaïque, Taxi-Maboule croise Nazi Boni, Joseph Ouédraogo, Joseph Conombo ou encore Gérard Kango Ouédraogo. Retenons les deux premiers, à défaut de pouvoir présenter tout le monde, car ils représentent l'union des tendances contre Yaméogo.

Nazi Boni, né en 1912 en Haute-Volta, est le principal adversaire du RDA, de Ouezzin Coulibaly puis de Yaméogo. Après avoir créé plusieurs partis d'opposition qui ont tous été successivement dissous entre 1957 et 1960, il quitte clandestinement son pays pour le Mali en août 1960, au moment de l'indépendance. Il vit en exil, entre Bamako, Paris et Dakar jusqu'à la chute de Yaméogo en 1966. Il meurt dans un accident d'avion en 1969, à l'heure où on pouvait attendre qu'il joue un rôle politique important.

Joseph Ouédraogo est, à l'intérieur du RDA voltaïque, la principale voix qui s'oppose à Yaméogo. Il lui reproche une politique trop inféodée à Houphouët-Boigny. En 1960, il se rapproche de l'opposition au régime RDA. L'antagonisme entre Ouédraogo et Yaméogo est telle que le président voltaïque fait arrêter Ouédraogo en août 1960. Il sera une nouvelle fois incarcéré en 1963. Député et syndicaliste chrétien, Ouédraogo est un des leaders du mouvement qui entraîne la chute de Yaméogo en 1966.

Au Cameroun, fin de parcours du Taxi Maboule, le masque colonial tombe définitivement. De 1955 à 1962, la France y a mené une véritable guerre coloniale, comparable à l'Algérie et grandement oubliée des mémoires officielles. En 1948, l'Union des populations du Cameroun (UPC) est créée avec un programme aussi simple qu'inacceptable pour les puissances coloniales française et anglaise qui se sont partagé cette ancienne colonie allemande en 1922 : l'indépendance du Cameroun réunifié.

Ruben Um Nyobè prend la tête de l'UPC. À la suite des émeutes de 1955, l'UPC est interdit. Le mouvement entre dans la clandestinité et Ruben Um Nyobè prend le maquis d'où il crée la branche armée de l'UPC, le Comité national d'organisation (CNO). Après les élections et l'impossible conciliation de 1956, la rupture est consommée entre l'UPC et les forces gouvernementales camerounaises sous l'œil du haut-commissaire colonial Pierre Messmer. La guerre est complète et la traque contre Ruben Um Nyobè et ses partisans est lancée. En septembre 1958, repéré, il est abattu par l' armée française en brousse.

 

Félix Moumié Crédits : DR

Félix Moumié reprend alors la direction du mouvement. En 1955, Moumié (qui fait figure d'intellectuel de l'UPC) a pris le chemin de l'exil, au Cameroun britannique puis auprès de régimes anticolonialistes (Égypte de Nasser, Ghana de Nkrumah, Guinée de Sékou Touré), principaux contempteurs de la guerre d'Algérie.

 

Avec ses prises de position à l'ONU et ses voyages internationaux, Moumié devient le commis voyageur de la révolution anticoloniale au Cameroun. Il est suivi par les services secrets français qui ont décidé son exécution. Repéré en Suisse, il est approché et exécuté par William B., agent des services secrets, qui lui administre une dose de thallium.

Avec sa mort, survenue l'année de l'indépendance, l'UPC perd sa tête et se voit politiquement condamnée : le gouvernement camerounais indépendant poursuit la lutte contre l'UPC qui se termine en 1972. Une chappe de plomb recouvre alors la mémoire de cette guerre coloniale... En 1960, il n'y a eu que des indépendances octroyées selon la formule officielle.

Dans les plis de ce théâtre historique se profilent les ombres de deux personnalités coloniales françaises. Le père de Julien M., ancien haut-commissaire qui mène la lutte contre l'UPC au Cameroun puis qui dirige l'Afrique occidentale française (AOF), emprunte ses traits à Pierre Messmer. Quant au colonel Maurice R., chef des services secrets à Dakar, pèse sur ses épaules le fantôme du colonel Maurice Robert, chef Afrique des services secrets.

Le feuilleton Expédition Taxi-Maboule est diffusé tous les soirs à 20h30 sur France Culture depuis le 2 février jusqu'au 13 février 2015.


lemonde.fr


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