Bien sûr October Gallery, la plus ancienne (depuis 1979) des galeries londoniennes à accueillir et valoriser les artistes africains, n'a pas attendu la naissance, en 2013, de la foire 1:54, focalisée sur l'art contemporain africain, pour attirer les collectionneurs internationaux. Mais d'emblée, sa directrice, Elizabeth Lalouschek, a pris un stand sur ce nouvel espace de visibilité créé par Touria El Glaoui à la noble Somerset House. October est déjà une institution dans ce champ et représente l'un des artistes les plus cotés du marché : El Anatsui.
On ne peut qu'être happé par les sculptures d'une finesse prodigieuse (réinterprétation du Printemps de Boticelli) de Sokari Douglas Kamp au cœur de l'espace de la foire. D'Ablade Glover à Eddy Kamuanga llunga, (RDC), les talents confirmés ou naissants composent une palette de styles variés sur le stand de cette quatrième édition (6-9 octobre), dont, bien sûr, Romuald Hazoumé, qui, en marge de la foire, expose sa nouvelle installation à la galerie October même, au centre de Londres : « All in the same boat » ou « Tous dans le même bateau ».

October et Romuald Hazoumé
Un des mouvements particulièrement remarquables de l'arrivée de 1:54 dans le paysage est cette synergie, chaque année augmentée, autour de la création contemporaine africaine, entre la Somerset House et les galeries de Londres elles-mêmes, et vice-versa. Certaines en profitent pour placer le vernissage (ou faire un re-vernissage) d'une exposition spécialement calée à cette période d'un des artistes présents aussi, sur leur stand. Ainsi, de la Frieze voisine à 1:54, les visiteurs et acheteurs potentiels sont chouchoutés le temps de leur escale londonienne. Et October était d'ailleurs bondé le 6 octobre au soir, quand l'arè Hazoumé, venu du Bénin (l'arè est l'artiste itinérant dans l'histoire des cours royales de son pays natal), a été introduit par la directrice de la galerie dans un speech très « émouvant » sur le thème des migrants : « Tout ce drame arrive dans cette salle. » Il est au cœur du travail de l'artiste (à voir jusqu'au 26 novembre). De son univers ici tous supports (photos, sculptures, toiles), il reprend des figures familières mais toujours renouvelées : une pirogue comme celles où s'entassent les migrants, comme s'accolent bidons et ballots colorés, une femme poteau-mitan, rappelant Mami Watta, c'est « Mutti » (mère en allemand), un masque-bidon de la liberté, un tableau (datant de 1997) où il a accroché des tongs pour représenter les 27 ministres du gouvernement (béninois ou tant d'autres), avec une tong spécialement déchirée pour le ministre de la Culture, c'est tout dire. La tong « symbole de liberté », précise Hazoumé, qui recommande de regarder comment est chaussée la statue de la Liberté elle-même ! Le pivot de l'installation prend la forme d'un dé, comme un va-tout pour ce jeu auquel il ne faut pas toucher, trop dangereux, un dé au centre duquel les miroirs viennent nous dire que, oui, ce qui est en jeu aujourd'hui concerne bien chacun de nous.

Tyburn et Joel Andrianomearisoa

L'un des artistes le plus présent à 1:54 était cette année le Franco-Malgache Joel Andrianomearisoa, sur rien de moins que quatre stands (Magnin-A, Primo Marella Gallery, Sabiran Amrani), mais chaque galerie dévoilait un aspect différent d'un travail à la fois intimiste et du monde entier, d'une sensibilité que ses matières reflètent dans une myriade de nuances. Pureté des formes voisinant dans l'espace, noir et blanc essentiels, et chaudes couleurs conviées en guest stars. La galerie Tyburn, au même moment et selon le même principe, découvrait en parallèle à la foire, et dans son propre espace situé en ville et en sous-sol, « Last year in Antananarivo ». Le titre de l'exposition (jusqu'au 23 décembre) fait de l'année dernière une année charnière pour l'artiste remontant la généalogie des origines malgaches : elle marque le passage réussi à la sculpture, puissance, à même le sol blanc, des outils, objets, instruments bruts de sa culture fondamentale, simples et pleins comme elle, et les gestes associés d'un buste, tout un monde installé au bas de tapisseries évoquant les parures de la nature, tout un monde en contraste absolu avec celui du colon représenté dans le travail sur les photos d'archives de l'autre côté du mur.

Tiwani et Virginie Chihota
On pourrait citer bien davantage de galeries dans le paysage anglais, extrêmement dynamique, admirer, par exemple, la détermination au goût si sûr de la jeune galerie Jack Bell. Mais ce petit tour en forme d'invitation à parcourir Londres l'Africaine au-delà des dates d'une foire qui nous y a menés s'achève par l'une d'entre elles, dont l'Afrique fut le point de départ quand elle ouvrit en 2011 : Tiwani contemporary.
La galerie a investi cette année sur la foire et, comme ses collègues suscitées, proposait au même moment dans ses murs une exposition de Virginie Chihota(jusqu'au 29 octobre, « Come Forth as Gold ») .L'artiste d'origine zimbabwéenne, repérée par Tiwani au pavillon du Zimbabwe de Venise, et déjà exposée ici, n'abandonne pas la pérégrination d'un lieu à l'autre, mais interroge ici les métamorphoses de l'intérieur de l'être, au plus secret du corps féminin et de la maternité.