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Culture & Loisirs, # |
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"Les Africains ne connaissent pas les Antilles, ils ne savent même pas les situer sur une carte". C'est lors d'un séjour au Sénégal, à Saint-Louis, que cette réflexion me frappa. Je m'étais retrouvée, au fil du hasard, à boire les paroles d'écrivains sénégalais émérites qui faisaient part des liens, empreints d'un profond respect, qu'ils entretenaient avec des auteurs Haïtiens. Négritude, créolité... Quel plaisir d'entendre discuter de ces mouvements littéraires à des kilomètres des Caraïbes. L'idée me vint alors de sonder les liens entre Africains et Antillais. Car, pour tout dire, j'ai débarqué aux Antilles, et plus précisément en Guadeloupe, en 1994, à l'âge de six ans. Née à Quimper de parents Guinéens, je changeais de pays, je changeais de vie. Dans toutes les écoles, de la maternelle au lycée, les élèves portent un uniforme. Et pourtant, cela ne m'empêcha pas d'être stigmatisée au même titre que les Haïtiens ou les Dominicains. "Sale Africaine!", me lançaient mes camarades. "Il est où ton pays?", me demandaient les surveillantes. Je voulais bien leur répondre, à elles: " C'est la Guinée". Cette chère Guinée-Conakry, qu'à cette époque, je n'aurais même pas su situer sur une carte... Retour donc à Karukéra -nom originelle de la Guadeloupe- où j'ai rencontré des Africains et des Antillais avec qui j'ai discuté... de ce que c'est d'être Africain aux Antilles. La négresse de Guinée
Françoise rit encore quand elle repense à cette réprimande de sa mère tandis qu'elle courait pieds nus sur le béton chauffé à blanc par le soleil martiniquais, dans la petite commune du Lorrain. "Ne reste pas au soleil espèce de négresse de Guinée!". Une insulte pour le moins prémonitoire puisqu'aujourd'hui, cette Martiniquaise de 61 ans, infirmière à la retraite, vit en Guadeloupe, mariée depuis 1986 avec un natif de la Guinée-Conakry, patricien hospitalier en urologie.
Quand la mère de Françoise a su qu'elle sortait avec un Africain, elle s'est mise à pleurer. "Elle pensait que j'étais amoureuse d'un cannibale qui allait me faire cuire dans un chaudron puis danser autour". Françoise rit de plus belle. C'était au début des années 80, à l'époque où elle exerçait en France, à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Autant dire que l'imaginaire autour de l'homme africain ne devait rien à Aimé Césaire et autres chantres de la négritude ... Françoise est allée plusieurs fois en Guinée et aujourd'hui, elle se voit bien s'installer dans la région du Fouta-Djalon, là où il fait bon vivre. Avec Lamine, son époux, ils sont arrivés en Guadeloupe en mai 1993 suite à la mutation de celui-ci de la Pitié-Salepêtrière au Centre Hospitalier Universitaire de Pointe-à-Pitre.
Il estime, malgré tout, que vivre en Guadeloupe est extrêmement plaisant. "Il y a un racisme qui ne s'exprime pas: des regards quand je porte mes tenues africaines ou de petites réflexions qui ont l'air innocentes". L'Afrique à Pointe-à-PitreEn vous baladant dans les rues de Pointe-à-Pitre, la capitale économique de la Guadeloupe, soyez certains de tomber sur une ribambelle de personnages hauts en couleurs. Je m'arrête d'abord au Centre Culturel Rémy Nainsouta, sur le Boulevard Légitimus. Au premier étage, un artiste plasticien guadeloupéen expose ses œuvres. Il s'appelle Cedrick Bookart, a une trentaine d'années, et propose des sculptures et des compositions picturales en relief.
Je continue mes pérégrinations vers le Musée L'Herminier, à l'angle des rues Jean Jaurès et Sadi-Carnot. Un homme en boubou est assis sur le perron. Il griffonne puis regarde autour de lui. "Je m'appelle Ickanga", me dit-il dans un accent créole qui me fait sourire. "Ickanga? C'est vraiment votre nom?" L'homme s'énerve un brin. "Ecoute jeune fille, tu ne vas pas me sortir un discours de colonisée. Je viens d'Afrique moi!". Tout est dit. Il m'explique qu'il apprend les similitudes entre le créole et plusieurs dialectes africains. "C'est intéressant! Dans ma langue, 'Awa' veut dire 'd'accord' et en créole ça veut dire 'non'", lui dis-je. Il sourit puis le note sur un coin de sa feuille avant d'ajouter qu'il prépare un discours en créole pour une conférence sur l'Afrique qui a lieu le lendemain dans la Zone Industrielle de Jarry. Peu avant la fin de la journée, je recroise Ickanga dans Pointe-à-Pitre, avec son sac à dos en forme de kwi (la moitié d'une calebasse), parsemé de koris.
Nous sommes tous frèresEn onze ans, de nombreuses boutiques "africaines" ont fleuri à Pointe-à-Pitre. Une culture qui plaît surtout aux femmes, si l'on en croit les vendeuses: robes en wax, bijoux, encens, statuettes, sacs,... Je m'adresse à l'une des clientes d'une boutique tenue par une Congolaise et un Français blanc.
Ce n'est pas Fatou qui dira le contraire. Cette Guinéenne d'une quarantaine d'années, installée en Guadeloupe depuis dix ans, tient un stand de produits africains non loin du marché aux épices, sur la rue piétonne.
A côté de d'elle, une Sénégalaise tient également un stand de bijoux. Fatou me prévient. "Elle est trop mauvaise, il ne faut pas lui parler". Je me rends compte alors, que d'un pays à l'autre, les Africains de la diaspora ne sont pas plus unis... Pour ne pas la froisser, je continue mon chemin. 80% des Guadeloupéens ne connaissent pas l'AfricainLa nuit tombe rapidement sur Pointe-à-Pitre. Je me retrouve en face de la Tour Faidherbe. Au quinzième étage de cet immeuble désuet, on trouve les locaux de "Radyo Tanbou", une radio locale indépendantiste. Après avoir grimpé les quinze étages de l'immeuble sans ascenseur, je me retrouve en grande conversation avec Alphonse Rancel et Roger Mancliêre, animateurs de la radio qui n'émet qu'en créole. En marge du sujet à l'origine de notre entrevue, on évoque la Guinée de Sékou Touré, les Duvalier (père et fils) en Haïti, le discours de François Hollande aux élus d'Outre-mer mi-novembre, ou encore une bonne partie des maux, qui selon eux, gangrènent leur île. Roger se considère comme Africain et souhaite y aller pour retrouver ses ancêtres et, surtout, pour "se retrouver". Selon lui, une partie des Guadeloupéens sont perdus et n'ont pas de repères.
Alphonse met en avant un problème d'éducation.
On est originaire de l'endroit où l'on a ses repèresPour John, un avocat béninois de 57 ans exerçant en Guadeloupe depuis plus de trente ans, "il n'y a pas vraiment de malaise entre les Africains et les Guadeloupéens". Son intégration dans l'île, il la décrit comme normale et naturelle.
John a fait ses études en métropole et a travaillé pendant dix ans à Paris.
A son arrivée, il a choisi de se fondre dans la masse.
Vive le "multi-racinement"!Pour ma part, de la Guadeloupe à la Martinique -ces deux îles, anciennes colonies françaises aujourd'hui dénommées départements et régions d'Outre-Mer- je me suis parfois heurtée à un racisme sans vergogne. A commencer par ma couleur de peau: j'étais noire " comme du charbon ". Et puis le nom "Touré ", ça ne trompait personne. De là, découlait donc mon "africanité": d'un nom et d'une peau bien noire. De retour en France, en 2003, à l'âge de 15 ans, les Antillais, je les ai oubliés. Ceux de métropole, ils n'étaient pas comme ceux de là-bas (j'ai d'ailleurs appris plus tard qu'on les appelle, en Guadeloupe, les "négropolitains"). J'ai oublié le créole au profit de ma langue maternelle, le diakhanké, j'ai oublié cette culture dans laquelle j'avais baigné pour mieux me lier d'amitié avec des Guinéens et des Africains, comme moi -malgré mon accent "gwada" et mon peu de connaissances sur les valeurs africaines. Dur labeur que de se "communautariser" quand on est, de fait, "multi-racinée". Au fil des années, j'ai appris à être fière de mon "multi-racinement", à le considérer comme une richesse. Je raconte, à qui veut bien l'entendre, que je suis "Guinéenne-Diakhanké-Française-Quimperoise-Guadeloupéenne". Un sacré pot-pourri dont, je le répète, je ne suis pas peu fière. Après près de dix années de lutte avec ma propre identité, je dois dire que, désormais, je m'évertue à considérer la société comme une masse indivisible -malgré les affres de la réalité- et que, bien plus que ma couleur de peau, mon vécu à travers les frontières est le socle sur lequel repose ma personnalité.
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