"Evidemment que ça va continuer. Les terroristes vont encore frapper, mais il est difficile de savoir où. A Abidjan... Au Sénégal... La zone de fragilité est descendue très au sud du Sahel, jusque sur les côtes." Pierre Conesa, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste des questions stratégiques internationales au Ministère français de la Défense, n'est pas surpris par l'attaque djihadiste de dimanche en Côte d'Ivoire. Dix-huit personnes ont été tuées à Grand-Bassam lors d'une action terroriste revendiquée par Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique).

Parmi les victimes, quatre Français. Et la cible? Grand-Bassam. A quelque 40?kilomètres de la capitale ivoirienne Abidjan, cette ancienne cité balnéaire était au XIXe siècle le premier centre administratif colonial français sous le nom de Fort-Nemours. Un lieu symboliquement important pour Antoine Glaser qui vient de publier "Arrogant comme un Français en Afrique" (Fayard). Pour cet africaniste, cité par l'AFP au diapason d'autres experts, "frapper la Côte d'Ivoire, c'est bien évidemment une façon de s'en prendre à l'allié historique de la France dans la région."

Une analyse que ne partage pas totalement Pierre Conesa. "Ce qui était visé, c'est la classe moyenne ivoirienne occidentalisée et les touristes occidentaux sur place. Qu'ils soient Français ou pas. Cet attentat renvoie davantage à celui de Sousse (Tunisie) qu'à ceux de Bamako (Mali) et de Ouagadougou (Burkina Faso)", analyse l'expert français.

En effet, l'attaque sur la plage à Sousse en juillet 2015 avait fait 39 morts dont 30 Britanniques et 3 Irlandais. L'attentat du Radisson Blu en novembre 2015 à Bamako a fait, lui, 30 morts dont 6 Maliens et 6 Russes. Et le précédent dernier attentat terroriste est celui de Ouagadougou qui a fait trente morts dont deux Suisses. Deux personnalités valaisannes - Jean-Noël Rey et Georgie Lamon - qui étaient en mission humanitaire.

Recrutement local

"La propagande salafiste trouve un écho particulier en Afrique où il est perçu comme un discours révolutionnaire pour des populations pauvres en colère contre les élites corrompues soutenues par l'Occident. A ce que j'en sais, les djihadistes de Grand Bassam étaient des Africains, c'est du recrutement local qui a tiré dans le tas", avance Pierre Conesa. Qui ne lie pas spécifiquement ces événements aux interventions militaires françaises en Afrique.

La présence française, bien qu'exposée et critique en certains points, fait partie de la donne depuis des décennies. "Au Moyen-Orient, la logique d'intervention est celle de faire la police de la planète. C'est elle qui choque et qui motive les candidats au djihad. Vous remarquerez qu'ils partent pour la Syrie et l'Irak, et non pour le Mali, le Niger ou le Tchad", analyse Pierre Conesa.

Assécher le tourisme

Même son de cloche de la part d'Alain Marsaud, ex-juge antiterroriste et député Les Républicains de la 10e circonscription des Français de l'étranger (Afrique et Moyen-Orient précisément). "Ils n'ont pas attaqué des militaires ni des cibles spécifiquement françaises. Ni blanches d'ailleurs. Dans la revendication, on ne parle pas de la France. Mais comme nous sommes très nombreux ( ndlr: environ 15?000 en Côte d'Ivoire), la probabilité a fait que des Français se trouvent parmi les victimes", glisse Alain Marsaud.

Et de poursuivre: "En revanche, nos interventions militaires en Afrique ont empêché la formation d'une poche consolidée de djihadisme au Sahel. Les groupes sont désormais dans une grande dispersion. Ils agissent en free lance en quelque sorte. J'en ai parlé il y a quelques mois avec Ali Bongo au Gabon qui craignait justement des actions de ce type jusque dans son pays."

De manière générale, ces attaques terroristes poursuivent le but de déstabiliser les pays africains en asséchant l'importante manne du tourisme, pense Alain Marsaud. Ce qui n'enlève rien à la menace et surtout ajoute à leur imprévisibilité. "La Tunisie et l'Egypte tirent déjà la langue. La carte touristique des Occidentaux se réduit de plus en plus", relève le député Les Républicains. (TDG)

(Créé: 14.03.2016, 18h10)