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Musique, # |
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Samedi 4 octobre, le Zénith de Paris est plein à craquer. 6 000 personnes ont répondu présent au rendez-vous annuel des musiques modernes antillaises : Le Grand Méchant Zouk. Pourtant, à part en ayant vu les affiches dans le métro, difficile d'avoir été mis au courant. L'événement n'a pas été relayé par les grands médias généralistes. Sur place, seul France 3 est présent.
Depuis environ dix ans, le zouk fait sa promo uniquement avec les médias dits " communautaires " : Tropiques FM, Latina, Espace FM... Mais aussi grâce à France Ô ou Trace TV. Des supports qui touchent les communautés antillaises et africaines avant tout. Et étonnamment, cela suffit pour remplir un Zénith et même être classé deuxième meilleure vente de billets de spectacle en France à deux jours de l'événement. Ou même le Stade de France, lors de la Nuit Créole en 2009. L'ambiance est dingue. Car le zouk est fédérateur, remplit des stades entiers à l'étranger et surtout, est une musique française. Mais ça, beaucoup de médias ont tendance à l'oublier.
Pas le temps de beaucoup lui parler, le chanteur Daly vient de faire son entrée sur scène, le public à les yeux rivés vers son show. Les cris se font d'ailleurs un peu plus féminins. Une partie de la culture française déconsidéréePour beaucoup de métropolitains, le zouk, c'est les cocotiers et les chemises à fleurs. On cite La Compagnie Créole et Francky Vincent comme artistes majeurs et on danse dessus en faisant la chenille. C'est à peine exagéré. Mais le zouk, ce n'est pas ça. C'est d'abord une musique très technique porteuse d'une identité forte, menée depuis plus de 30 ans par son inventeur, Jacob Desvarieux, leader du groupe Kassav'.
Pourtant, le Grand Méchant Zouk n'a rien d'un bal et les musiciens sur scène le font savoir. Une vision présente dans les grands médias, qui peut parfois donner lieu à ce genre d'interview complètement surréaliste, où pour une émission sur les Antilles, Thierry Ardisson invite Antoine et Carlos, au milieu desquels Jocelyne Béroard, chanteuse de Kassav', paraît bien mal à l'aise. Jacob Desvarieux raconte :
Bertrand Dicale complète :
Au début de la vidéo figure un extrait de cette fameuse interview. Quant à François Bensignor, journaliste et responsable du Centre d'Information des Musiques Traditionnelles et du Monde à l'IRMA, il n'y va pas par quatre chemins :
Au-delà de la modeBeaucoup seraient tentés d'expliquer cette disparition du zouk des écrans radars par la fin d'une mode. Mais le problème est plus complexe. Car parler de fin d'une mode quand le zouk continue de rassembler des dizaines de milliers de personnes partout dans le monde, même au Zénith de Paris avec une publicité à grande échelle inexistante, est un peu facile. Cette musique souffre aussi de l'uniformisation de ses artistes qui, selon Jacob Desvarieux, est en grande partie imputable aux majors :
Kassav' s'en sort, c'est peu dire. Recordman du nombre de soirs au Zénith de Paris (50 soirs, tous complets, dont dix d'affilée en 1989), ils sont aussi le groupe qui a rassemblé le plus de gens cumulés en live en Angola. Ils cartonnent encore aujourd'hui en Colombie, en Afrique, aux États-Unis, au Portugal... Les concert ont régulièrement lieu dans des stades.
Les jeunes artistes zouk, eux, tendent désormais à chanter du zouk love, plus proche du R&B, afin de s'exporter. Mais très rarement avec succès. " Jamais mieux servi que par soi-même "Face à cette absence des médias, le milieu du zouk parvient à entretenir la flamme. Karine Lagrenade connaît bien les circuits et les réseaux qui permettent de se passer de soutiens de taille :
Et puisque c'est la communauté qui est au centre de tout ça, le web est également un moyen presque indispensable pour rassembler. Les pages Facebook, les web radios où beaucoup de Djs d'origine antillaise officient... Les amateurs de zouk y sont très actifs. D'ailleurs, Assa, présente dans le public du Grand Méchant Zouk, a été mise au courant via le réseau social :
C'est l'heure de l'entrée sur scène de Jocelyne Béroard, et Assa, qui n'a pas 25 ans, connaît parfaitement la chanteuse et ce qu'elle représente. Les budgets des événements zouk n'étant pas colossaux, il faut viser juste. L'affichage dans le métro parisien ne se fait pas dans les stations du XVIème arrondissement, mais plutôt vers les lignes très fréquentées par la communauté. C'est là qu'une grande partie du budget communication passe. Pour Karine Lagrenade, cette stratégie est aussi amplifiée par certains médias :
Heureusement, le milieu du zouk a son réseau. Auprès de certains journalistes fidèles et attentifs, mais aussi du ministère de l'Outre-Mer, qui est même allé jusqu'à faire signer une convention à France Télévision en 2011 pour pousser certains médias à parler des cultures antillaises. Bien obligé d'en arriver là quand les refus de la part des médias sont légion. Karine Lagrenade ajoute :
A qui s'adressent les médias ?Si d'autres territoires français sont dotés d'une identité musicale forte menée par des artistes renommés, comme la Corse (I Muvrini...), La Bretagne (Alan Stivell...) ou La Réunion (Danyèl Waro...), leur rayonnement international n'égale pas celui du zouk. Ce dernier apparaît comme un révélateur d'une vision folklorique des cultures françaises qui ne viennent pas de métropole. Pour Bertrand Dicale, cette déconsidération du zouk a deux explications :
Exemple type de ce phénomène énoncé par François Pinard, producteur de Grand Méchant Zouk :
Une leçon de grooveLe zouk est aussi une musique bien plus complexe qu'on ne le croit. Si certains la jugent pauvre techniquement, il n'ont qu'à se rendre à un concert de Kassav' ou au Grand Méchant Zouk. Le niveau des musiciens est déconcertant. Bertrand Dicale explique :
Un peu comme on peut penser que jouer le reggae est aisé, alors qu'acquérir le son et le groove peut prendre des années. En tout cas, le zouk reste à ce jour le seul genre musical de masse entièrement inventé par des Français (considérant que la french touch est un dérivé français de la house music). Mais le zouk ne fait pas la fierté de la France pour autant.
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