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Culture & Loisirs, # |
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Mads Brügger n'est ni un vrai journaliste, ni un vrai cinéaste. Mais le danois de 38 ans, ancien téléaste sulfureux (équivalent nordique de Chris Morris), reconverti dans le cinéma en 2009, a bouleversé en deux films nos vieilles conceptions du documentaire, de l'investigation, de l' "enquête de terrain". Son créneau : le jeu de rôle et le fake (façon Borat, moins comique troupier), appliqué aux derniers territoires interdits du journalisme. Une méthode initiée dans sa série Danes For Bush en 2004, où il interprétait un néoconservateur zélé en guerre pour la réélection de son champion George W. Mais c'est avec The Red Chapel que Mads Brugger a signé son premier grand "coup" : un documentaire parano sur une petite troupe de théâtre invitée par la Corée du Nord pour un échange culturel. Le danois s'affichait en toute impunité aux côtés des caciques du régime, et ramenait -au péril de sa vie- des images inédites du pays de Kim Jong-il. Célébré à Sundance en 2010 (Prix du meilleur documentaire), le film reste toujours inédit en France, et le nom de Mads Brügger toujours inconnu. Mais la situation pourrait bien évoluer avec son dernier méfait : The Ambassador, un documentaire infiltré dans les eaux boueuses de la Françafrique. Un vrai faux ambassadeur Pour son nouveau rôle, Mads Brügger prévient d'emblée : "Je ne suis pas très bon diplomate, mais je suis bon en alcool". Après la Corée du Nord, c'est donc dans l'ancienne colonie française, la République centrafricaine, que le reporter ( ?) a décidé de mener sa nouvelle enquête. Dans la peau d'un ambassadeur bling bling (costume blanc, cigare et lunettes d'aviateur), il a traversé le pays, rencontré les dirigeants locaux, déclarant un peu partout qu'il souhaitait ouvrir une manufacture d'allumettes -qui emploierait exclusivement des autochtones. Une couverture acquise sans grande difficulté par le journaliste :
Pendant des semaines, le danois a mené son entreprise fake, filmé par une petite équipe ou en caméra cachée. Mais son véritable objectif était d'investir les réseaux clandestins de trafic de diamants -un commerce juteux dans l'ancienne colonie française, livrée depuis son indépendance (1960) aux coups d'état à répétition et aux luttes rebelles. Si The Ambassador est présenté comme une comédie ("pourquoi ne pas aller en Afrique, filmer des assassins en caméra cachée, juste pour le fun ?" s'interroge Mads Brügger), et joue à fond la carte du déguisement, le film n'en reste pas moins une enquête à charge dans un pays pourri par la corruption entretenue depuis Paris.
Un journalisme dévoyé ? Le réalisateur semble être allé très loin dans sa mission d'infiltration, frayant avec les politiciens ripoux et les trafiquants de diamants. Trop loin même selon le Danish Film Institute, qui pose la question des limites (déontologiques, morales) de ce journalisme next-gen -où le reporter et son avatar diplomate se confondent parfois. Au-delà de l'humour très grinçant du film (des scènes où Mads Brügger insiste un peu sur la satire du néo colon), c'est la position ambigüe du journaliste qui dérange. "Précisément parce que je suis dans la peau d'un diplomate je peux rencontrer des propriétaires sinistres de mines de diamants (...). Pour un journaliste, ce serait beaucoup plus problématique" se défend Mads Brügger, dont le film, produit par la société Zentropa (propriété d'un autre agitateur danois, Lars Von Trier), sortira en octobre prochain au Danemark. Pas sûr qu'il trouve un distributeur français. Romain Blondeau
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