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Mode & Beauté, # |
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Tout a commencé quand une amie noire s'est entendue dire "bourgeoise" parce que nous parlions des produits fait-maison que nous faisions pour nos cheveux afros. J'aurais très bien pu m'arrêter sur les raisons pour lesquelles ma pote et moi n'étions pas bourgeoises Ce spray à base d'eau et d'huile d'olives, ces recettes glissées entre femmes noires pour leurs cheveux afro, tout cela a ses facteurs. Ce n'est pas une question de tendance, telle qu'on en parlerait dans les magazines, ou du moins, ce qui est devenue une "tendance", c'est l'engouement d'une population de femmes noires qui se réunissent pour des évènements spécifiques à leur identité et leur physique, par exemple (je pense notamment à l'engouement pour la Natural Hair Academy de cette année qui, encore une fois, a été marquée par le nombre de visiteurs qu'elle a accueilli). Alors, comment achète-t-on en tant que femme"racisée"? Si la personne là-bas voit n'importe quoi à ce que mon amie et moi fassions nos produits nous-mêmes, c'est bien que nous n'achetons pas de la même façon, non ? Après une longue réflexion sur les tenants et aboutissants de cette question, j'ai interrogé des femmes racisées autour de moi, histoire de mettre de l'ordre dans tout ça ! I. Consommer : acte à portée de main ou acte restreint ?Les quelques exemples qui vont suivre sont issus de mon expérience et de celles femmes citées. Pour celleux qui savent déjà que le cheveu est politique et que la beauté noire est soumise aux diktats de la suprématie blanche actuelle, il n'est pas surprenant de voir les répercussions dans nos paniers. Les produits spécialisés sont souvent un fourre-tout de produits chimiques pour "traiter le cas "ethnique"" de nos cheveux afros*toussote*, souvent plus chers : la plupart de nos achats sont souvent le résultat d'une investigation faite auprès de nos mères, soeurs, cousines et amies, puisque même les professionnels de l'esthétique ou de la santé ne sont, souvent, pas formés aux spécificités des peaux/cheveux noires. En témoigne la pétition récente pour la formation des coiffeurs aux cheveux afros :
C'est également à cause de ce manque de formations que je me suis retrouvée pendant des années avec des crèmes contre l'acnée prescrites par ma dermato, qui m'asséchaient la peau au point de faire des plaques. Il m'a fallu autant d'années pour trouver simplement une crème hydratante. Idem avec les vendeuses Sephora qui, sous prétexte que je sois noire, traitent ma peau comme une "peau à problèmes"; une exclusion sur laquelle beaucoup de nouvelles marques s'empressent de surfer pour proposer leurs produits miracles à des prix exorbitants. Pas plus tard que ce week-end, j'ai eu droit à une vendeuse de cosmétique qui a usé du discours habituel : "vous avez une peau à problème, c'est vraiment pas joli, mais c'est normal chez les peaux black ça. Alors parce que je vous aime bien, je vais vous aider et vous proposer le "gel hyper super méga parfait" pour vous, et vous faire un prix
Il ne s'agit donc pas que de l'esthétique - où l'on essaie au passage de nous conformer aux modèles occidentaux et blancs en vigueur - mais bien d'un marché bien excluant car proclamé comme standard. Les femmes non-blanches que j'ai interrogé sont unanimes : leur consommation se distingue par le prix trop élevé, le manque de choix des produits et... du temps ! En effet, être exclue des cœurs de cible de la clientèle nécessite la mise en place de stratégies et de moyens alternatifs. A ce sujet, Fania souligne :
De ce fait, les femmes non-blanches ne sont pas considérées comme des clientes standards : elles devront toujours payer un supplément si elles souhaitent être considérées par le marché actuel, ou élaborer des stratégies sur-mesures. Mais si la consommation se pense parfois en termes de besoins et des denrées nécessaires, ce n'est pas seulement l'accès à certains produits qui est excluant, mais bien que les femmes non-blanches subissent de micro et macro-agressions, tant par le biais de la publicité, jusqu'aux lieux mêmes où elles consomment. II. Pâtisseries racistes à Grasse, salons de thé et bars ambiance "ère coloniale" : les micro-agressions de la consommation.J'ai eu une grande admiration pour une amie, femme noire qui, voyant qu'une vitrine exposait pour Pâques une autre sculpture raciste, s'était empressée de rentrer dans le magasin pour expliquer calmement à la caissière, une femme blanche, en quoi ce qui était exposé était raciste et inacceptable. Je crois même qu'elle avait fini par laisser quelques pages imprimées sur la condamnation de la marque Banania; sous les yeux horrifiés mais néanmoins orgueilleux des propriétaires. Elle avait quitté le magasin, sous les remarques racistes des vieilles femmes qui avaient assisté à la scène. Une des raisons pour laquelle je l'admirais était précisément parce qu'elle avait fait l'effort de répondre à cette micro-agression : comme tout le monde, elle était allée faire ses courses à la boulangerie, mais à l'inverse de tout le monde, elle avait eu droit à cette micro-agression. Ce n'est pas la première à qui cela arrive, mais rares sont celleux qui accepteront de perdre leur énergie pour dénoncer celles-ci. Tout simplement parce que cela épuise. Du fait de son histoire et de son système actuel, les lieux que nous fréquentons en France - et en Europe - sont ancrés dans cette mentalité raciste post-coloniale. Notre espace se voit parfois marqué de manière très douteuse et malsaine par une mise en avant décomplexée de thèmes xénophobes : de la pâtisserie négrière de Grasse jusqu'aux salons ambiance comptoir colonial. A ce propos, Aurore me confiait :
Qu'il s'agisse des pratiques du marché ou de l'environnement, les femmes non-blanches se retrouvent contraintes d'accepter ce climat, au détriment de leurs identités, car la norme prime. Mais parfois, certaines décident de recourir à leurs propres moyens, ou encore au boycott, construisant ainsi une résistance politique et économique. III. "Vous êtes ce que vous achetez" ? Consommer, un acte politique.Ca veut dire quoi consommer ? Penser ce que l'on consomme de manière politique, c'est une réflexion intéressante que j'ai découvert pour la première fois avec l'afrovéganisme comme j'en parlais dans cet article, et principalement sur la question de décoloniser notre consommation que Thomas Sankara posait :
Alors c'est vrai qu'entre une politique à l'échelle nationale et son panier de course individuel, ce n'est pas la même chose. Mais concrètement, ça se passe comment ? Pour Inès, c'est une grande organisation : " Mon principal obstacle sans conteste c'est l'origine des produits !!! " me dit-elle.
Quand je lui demande si la consommation est un acte politique pour elle :
Être racisée et européenne donc - ou du moins vivre en Europe en étant racisée, ça inscrit notre consommation dans un système complexe : on pourrait aisément relever les similitudes avec une consommation éco-responsable ou éthique, mais celles-ci relèvent souvent de choix et de convictions, et s'insèrent souvent dans des dynamiques problématiques (en témoigne Difficile donc de cerner tous les enjeux et des solutions, et pourtant, des initiatives comme La les récentes polémiques autour de certaines initiatives du commerce équitable). Ce ne sont donc pas des contraintes liées au fait de ne pas être considérée par un marché standard dominant et post-colonial (avec toutes les exploitations que cela implique, Marmite Décoloniale, une site de recettes décoloniales de Fania, permettent d'avoir un premier aperçu :
POUR ALLER PLUS LOIN :
Plusieurs thématiques dans cet article de MsDreydful sur l'antispécisme. Note : Parler des problématiques liées à la consommation des femmes"racisées", ce n'est pas conférer une exclusivité, mais bien une mise en avant des spécificités qu'elles rencontrent. Il y aurait plein de choses à dire autour, des liens avec d'autres sujets, etc. Donc : - A ceux qui viendront me dire "gnagnagna mais les hommes racisés aussi", cool pour toi, bro, si tu te reconnais dans les quelques exemples cités. Je t'invite même à faire ton article. - A celleux qui viendront me dire"gnagnagna mais les blanc.he.s aussi", je t'invite à lire l'ensemble du blog.
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