![]() |
Politique, # |
||
Mardi 6 avril 1994, 21 heures, je viens de quitter mon bureau de l'hôtel de Montesquiou, rue Monsieur, et rejoins un ami journaliste pour aller dîner à Montparnasse. Mon téléphone cellulaire sonne. L'agent de permanence du Quai d'Orsay me demande. Il m'informe que l'avion du président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, qui rentrait d'un sommet régional à Dar ès Salam s'est écrasé à l'atterrissage à Kigali. Le président du Burundi, Cyprien Ntaryamira était également à . Il n'y aurait aucun survivant et il semblerait selon notre ambassadeur que l'appareil ait été abattu par un tir de missile. Je suis accablé par cette nouvelle et en informe aussitôt le ministre Michel Roussin. J'imagine immédiatement les conséquences d'une telle catastrophe. - Il va y avoir 100 000 morts m'exclamé-je. Quelques mois plus tôt, le 21 octobre 1993, c'est le président du Burundi nouvellement et démocratiquement élu, Melchior Ndadaye, hutu d'origine qui a été assassiné par des officiers tutsis, nostalgiques de l'ancien régime militaire. Six mois plus tard, on déplore déjà des dizaines de milliers de victimes. Ce terrible exemple donnait évidemment le ton de ce qui risquait d'advenir au Rwanda. Ceux qui avaient planifié l'assassinat du chef de l'Etat ne pouvaient pas l'ignorer. Afin de mieux comprendre le funeste scénario qui va se dérouler il faut rappeler ici quelques faits historiques. Le Rwanda et le Burundi, l'un et l'autre anciennes colonies allemandes devenues belges après la Première Guerre mondiale, ont en commun cette particularité d'être peuplées des deux mêmes ethnies, les Hutus et les Tutsis. Les premiers, les habitants originels appartiendraient à la grande famille Bantoue d'Afrique centrale, tandis que les seconds, plus clairs de peau seraient venus de la vallée du Nil. Les Tutsis ayant exercé le pouvoir pendant des siècles bien avant la période coloniale, à travers des royautés de type féodal des simplifications hâtives en ont fait une race de seigneurs aux origines mythiques. Il y a des idées fausses qui ont la vie dure. Au point que, lorsque le ministre de la Coopération est auditionné par la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale en 1995, son président, Valéry Giscard d'Estaing, se lance dans une leçon magistrale où il tente d'expliquer que "les Tutsis sont grands et distingués, alors les Hutus sont petits et trapus." Des propos qui se rapprochent de ceux que Jean Lacouture prête à François Mitterrand qui aurait vu dans les premiers des aristocrates et dans les seconds des sans-culottes. On imagine ainsi de quel côté le naturel faisait pencher respectivement l'un et l'autre ! La vérité est tout autre et il est en réalité bien difficile de distinguer un Hutu d'un Tutsi. Les uns et les autre sparlet la même langue, le kinyarwanda, de nombreux mariages mixtes se sont produits au fil des années, l'opposition des éleveurs et des agriculteurs n'a plus grand sens aujourd'hui. J'ai vu des prétendus spécialistes de l'Afrique, fort embarassés lorsque, après avoir tenté de deviner l'appartenance ethnique d'un interlocuteur rwandais, ils se faisaient sèchement contredire. L'oppositiondes deux communautés est avant tout d'essence politique. Ce sont essentiellement des considérations partisanes qui ont conduit, dès les débuts de la colonisation, à son exploitation raciale.
| |||
PARTAGEZ UN LIEN OU ECRIVEZ UN ARTICLE |
Pas d'article dans la liste.