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Marche en solidarité aux Dominicains d'ascendance haïtienne: où étaient les médias?

  Evènement

Bravant le froid et la neige, ils étaient nombreux, le 7 mars dernier, à marcher jusqu'au Consulat général de la République dominicaine à Montréal. L'objectif de la manifestation pacifique - annoncée comme étant la première d'une série de revendications au Québec - était de dénoncer l'arrêt TC/0168/13 adopté le 23 septembre 2013 par la Cour constitutionnelle dominicaine.

La décision TC/0168/13 statue sur le retrait de la nationalité dominicaine aux personnes nées sur le territoire entre 1929 et 2010 d'un parent étranger. Il est soutenu par la loi 169/14 votée par le Parlement en mai 2014 laquelle prévoit un vaste plan de régularisation pour les descendants d'immigrés dont la naissance n'a jamais été déclarée dans les registres d'état civil dominicains. Toutefois, les personnes qui y sont enregistrées peuvent, en dehors de toute procédure légale, être expulsées à tout moment. La mesure d'éviction hors du territoire concerne plusieurs mineurs nés en République dominicaine. Ces différences statutaires conduisent à ses situations humanitaires aberrantes notamment au sein de familles dont les membres sont susceptibles d'être séparés. L'apatridie et l'expulsion ont un impact sans précédent sur l'identité des individus qui se considèrent citoyens de ce seul pays.

Il est urgent d'agir pour que cessent ces conditions inhumaines. Les marcheurs de Montréal réclamaient le boycottage des produits importés de cette terre où l'étranger est mieux reçu lorsqu'il vient à des fins commerciales. La République dominicaine accueille à grand renfort de charters des touristes du monde entier tout en niant le droit du sol à ses propres ressortissants. Ses autorités justifient cette décision par 
l'argument selon lequel les personnes frappées par l'arrêt TC/0168/13 n'auraient jamais dû obtenir leur certificat de nationalité. La validité de cette assertion n'est pas démontrée. Elle récuse les recommandations de la Cour internationale de justice pour laquelle, la nationalité est un «lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d'existence, d'intérêts, de sentiments jointe à une réciprocité de droit et de devoirs.» (Cour internationale de Justice, 1955). Selon les mécanismes internationaux en vigueur, ces dominicains enfants d'immigrés ne peuvent en être privés arbitrairement et par voie de conséquences perdre l'ensemble des droits et libertés garantis par son octroi. L'avis énoncé, en octobre 2013 par la Cour interaméricaine des droits de l'homme (1) soutient que le retrait de leur nationalité en constitue une grave atteinte.

Rappelées à l'ordre par plusieurs instances de défense des droits de la personne (2), de nombreuses protestations sur leur sol et dans plusieurs autres pays, les autorités dominicaines continuent de bafouer cet avis. Depuis sa promulgation, la décision TC/0168/13 alimente, en particulier les courroux de sa voisine, Haïti concernée au premier chef par cet arrêt constitutionnel. Il faut dire que même si l'application du TC/0168/13 et de la loi 169/14 fait l'objet de vives critiques, le gouvernement dominicain n'en est pas à un coup d'essai. Ces deux mesures juridiques font suite à une série d'actes attentatoires aux droits à la nationalité comme celui qui opposa Juliana Dequis Pierre à la Cour constitutionnelle dominicaine en 2008 (3). Elles traduisent la volonté de concevoir un problème de société afin de justifier le bannissement des Haïtiens vivant dans le pays qu'ils soient migrants ou Dominicains par le droit du sol. Sans l'énoncer explicitement, la mesure a été prise pour réguler leur immigration.

Rappelons qu'il s'agit d'un faux problème que le gouvernement dominicain a créé de toutes pièces pour ses propres besoins économiques. En effet, à partir des années 1940, pour accroitre une main-d'œuvre bon marché destinée aux plantations de canne à sucre, ce même gouvernement a largement encouragé le regroupement familial.

C'est en accord avec son homologue haïtien qu'il a pu mettre en œuvre son plan migratoire et le promouvoir durant des décennies. En ne respectant pas le droit à une nationalité, en refusant d'adopter des mesures permettant de prévenir, de reconnaître et lutter contre les cas d'apatridie, la République dominicaine est coupable d'un délit international de justice qui, de plus, engendre une urgence humanitaire. Amnesty International ne cesse de reporter les nombreuses expulsions qui ont eu lieu depuis la promulgation de l'arrêt TC/0168/13 et de la loi 169/14 et dont les conséquences sont particulièrement dramatiques pour des individus à l'identité dominicaine qui ne parlent ni le français ni le créole. Les expulsions créent des situations aberrantes pour les réfugiés haïtiens qui, pour des raisons de sécurité ne peuvent se permettre de revenir chez eux.

La campagne de haine contre ces «citoyens de nulle part (4)» se traduit par des gestes à caractères racistes et xénophobes réalisés par des citoyens qui, du fait de ces lois iniques, se sentent légitimés d'agir. Les actes posés sont parfois d'une extrême violence comme en témoigne le cadavre d'un cireur de chaussures d'une vingtaine d'années retrouvé, le 11 février dernier, pendu à un arbre à Santiago, la deuxième ville du pays (5).

Devant le Consulat général de République dominicaine à Montréal, une foule d'environ 200 personnes, Québécoises de toutes origines et majoritairement Haïtienne scandait le boycottage des voyages touristiques vers ce pays. Nous étions nombreux à réclamer l'égalité pour les citoyens dont la vie et la tranquillité sont remises en cause par l'arrêt TC/0168/13. Il ne manquait que les médias québécois.

Pourquoi étaient-ils aux abonnés absents? Que signifie leur silence? Serait-ce un signe de mépris pour cette cause humaine? Contrairement à ses homologues internationaux qui ne cessent de relayer les évènements, la presse québécoise - à l'exception de 200 mots consacrés, le lendemain, à la marche du 7 mars dans le Journal de Montréal - est reste totalement sourde aux mesures discriminatoires et aux crimes actuellement commis envers les Haïtiens vivant en République dominicaine et les Dominicains d'ascendance haïtienne. Le silence des médias n'a que trop duré. Il doit être fermement dénoncé. D'abord, parce que c'est au Québec que de nombreux Haïtiens ont choisi de s'installer. Comme en témoigne le Mois de l'histoire des Noirs, plusieurs d'entre eux, ces cinquante dernières années ont contribué au développement de la belle Province. Ils ne sont pas des citoyens de seconde zone. Les médias québécois doivent être sensibles à cette situation qui touche leur frère et sœur de République dominicaine. Ensuite, les médias du Québec doivent accomplir leur devoir d'information auprès de leur population. La République dominicaine reste une destination très prisée pour le tourisme. Les Québécois sont droit de savoir ce qui se passe non loin des plages et des complexes touristiques où ils aiment séjourner.

       

    1. République dominicaine. Plus d'espoir pour les dizaines de milliers d'apatrides risquant d'être expulsés
    2. Centre d'actualités de l'ONU, « Le Haut Commissariat des Nations Unies condamne la décision des autorités dominicaines » 
    3. Juliana Deguis Pierre receives Dominican national ID after long battle to regain citizenship (dernière consultation le 12 mars 2015)
    4. En référence au documentaire, Citizens of Nowhere (2014) réalisé par Nicolas-Alexandre Tremblay et Régis Coussot qui aborde la situation des Haïtiens frappés par l'arrêt TC/0168/13.
    5. Jean-Michel Caroit, En République dominicaine, une campagne de haine contre les Haïtiens, Le Monde, 13 février 2015.
    6.  

Source : http://quebec.huffingtonpost.ca/agnas-berthelot-raffard/marche-en-solidarite-aux-dominicains-dascendance-haitienne-ou-etaient-les-medias_b_6888700.html


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