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Culture & Loisirs, # |
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Chouchou des médias, le carnaval de Notting Hill est aujourd'hui le plus grand festival de rue dans les îles britanniques, et probablement dans toute l'Europe. Il se déroule traditionnellement au cours du week-end précédant le dernier lundi d'août - sur deux jours, le dimanche et le lundi férié au Royaume-Uni - dans le quartier de Notting Hill à Londres. S'il a acquis ses lettres de noblesse, ses débuts qui remontent au mitan des années 1960 furent difficiles et démarrèrent dans un climat délétère. A l'époque, les différents groupes issus de la communauté afro-caribéenne avaient uni leurs forces pour contrer les assauts racistes et violents en célébrant, dans la bonne humeur et la convivialité, les vertus cardinales de leur patrimoine culturel. De bout en bout, l'histoire du carnaval de Notting Hill est liée à celle de l'immigration antillaise dans l'agglomération londonienne. Un peu à la manière du Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer) en France, les travailleurs antillais ont été recrutés, dès les années 1950, par la Couronne pour combler le manque de main-d'œuvre. En une petite décennie, ils sont plus de 125 000 à s'installer dans le bassin londonien : les Jamaïquains du côté de Clapham et de Brixton, les Trinidadiens à Notting Hill. Ces migrants occupent des emplois qui ne correspondent à leur niveau de qualification et subissent les brimades et les effets néfastes de la ségrégation. Les logements de couples mixtes sont, par exemple, la cible des bandes racistes. La première édition a lieu en 1966 et le carnaval a longtemps gardé son caractère exclusivement caribéen avant de trouver sa place dans le paysage britannique. Le calypso et le steel band (Trinidad) et le reggae (Jamaïque) se partageaient le gros des troupes. Les forces de l'ordre et les jeunes du quartier s'affrontaient régulièrement, juste après le passage des danseurs et de la foule en liesse. C'est pourquoi les autorités tentèrent d'abord de l'interdire, puis de le reléguer dans une lointaine banlieue. En vain. En 1975, le carnaval a doublé ses effectifs, attirant plus de 250 000 participants. Ce fut un tournant. Le seuil a été interprété comme " un problème " et " une menace " par les uns et " une contribution positive " par les autres. Le carnaval est devenu, à son corps défendant, l'un des principaux terrains d'affrontement idéologique entre racistes et antiracistes. Sur le plan musical, on a vu les grands groupes de reggae britannique tels que Aswad ou Steel Pulse pactiser avec les groupes punks comme les Clash et autres Slits. Multiculturalisme à la sauce anglaiseD'année en année, le carnaval de Notting Hill a changé de visage et surtout d'échelle. Dans les années 2000, on compte ses adeptes par millions avec ses bandes costumées, ses stands et ses camions par centaines. C'est l'apothéose. Le carnaval allie désormais l'allure du mastodonte et la puissance du mythe. Un mythe à multiples facettes célébrant les arts et la joie de vivre des Afro-Caribéens mais également la tolérance et l'excentricité des Britanniques sans oublier les charmes du multiculturalisme à la sauce anglaise. Ce mythe est enfin un excellent outil de communication pour les professionnels du tourisme et une affaire commerciale brassant des millions de livres. Je voudrais dédier cette chronique au grand maître-tambour sénégalais, Doudou Ndiaye Rose, décédé mercredi 19 aout à l'âge de 85 ans. A l'instar du carnaval de Notting Hill, le défunt avait le rang de trésor humain vivant de l'Unesco ! Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l'actuelle République de Djibouti, il vit entre Paris et les États-Unis où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd'hui professeur à George Washington University. Auteur entre autres de " Aux États-Unis d' Afrique " (JC Lattès, 2006), il vient de publier " La Divine Chanson " (Zulma, 2015).
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