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Le génome d'un vieil Éthiopien chamboule l'histoire des migrations d'Homo sapiens

  Société

 

L'Afrique, berceau de l'homme moderne, est généralement considérée comme une terre d'émigration. C'est d'Afrique qu'Homo sapiens a commencé, il y a 125 000 à 60 000 ans, son irrésistible conquête du reste du monde. Avant lui, en étaient déjà sortis les ancêtres d'Homo erectus, et on soupçonne plusieurs épisodes migratoires hors d'Afrique plus ou moins réussis dans la préhistoire humaine. Mais on évoque bien plus rarement des mouvements de populations dans le sens inverse.

La description du génome complet d'un Éthiopien vieux de 4 500 ans suggère pourtant que les Africains vivant aujourd'hui tiennent une part importante de leur hérédité (jusqu'à 7 %) d'ancêtres ayant pratiqué l'agriculture au Moyen-Orient. Ces travaux, publiés dans Science vendredi 9 octobre, et dirigés par Andrea Manica (université de Cambridge) donnent accès pour la première fois au génome entier d'un Africain ancien. Un exploit, car le climat chaud et humide empêche généralement la préservation de l'ADN sur ce continent. Mais la grotte de Mota, dans l'ouest de l' Ethiopie, a fait exception.

C'est dans cette cachette utilisée par les habitants de la région lors de conflits armés qu'en 2012, les anthropologues John et Kathryn Arthur (université de Floride du Sud) ont découvert le fossile d'un homme adulte, enterré sous une pierre. L'analyse de l'os de son oreille interne a confirmé la présence d'ADN de bonne qualité, au point que l'ensemble de son génome a pu en être extrait.

Son analyse a d'abord montré que Mota, ainsi qu'il a été surnommé, avait été très proche des Aris, un groupe ethnique qui vit toujours aujourd'hui sur les hauts plateaux d'Ethiopie. Elle a révélé qu'il avait la peau sombre et les yeux marrons, qu'il était dépourvu d'une mutation qui permet la bonne digestion du lait chez l'adulte - ce qui était attendu pour un chasseur-cueilleur -, mais qu'il en possédait trois qui favorisent encore aujourd'hui l'adaptation à la vie en altitude chez les habitants de ces hauts plateaux éthiopiens.

Populations en provenance du Croissant fertile

La comparaison de ce génome avec ceux d'Africains actuels et de fossiles d' Europe s'est montrée aussi très éclairante sur l'histoire des migrations. On soupçonnait en effet que l'Afrique avait reçu il y a environ 3 000 ans un flux de populations en provenance du Croissant fertile, au Moyen-Orient. Comme attendu, Mota, plus ancien, ne portait aucune trace de cet apport génétique. Mais cela faisait de lui un point de référence unique pour déterminer ce qui, dans l'hérédité des populations africaines actuelles, pouvait provenir d'Eurasie.

Le résultat est impressionnant : il suggère que 4 % à 7 % de leur génome a une source eurasiatique, et pas seulement dans la Corne de l'Afrique. C'est aussi le cas pour les Yoruba (7 %) à l'ouest du fleuve Niger et pour les pygmées Mbuti (6 %), souvent considérés comme des populations africaines de référence, c'est-à-dire peu métissées. Cité par Science, le généticien des populations David Reich (Harvard) se dit frappé par l'ampleur de ces mélanges. " On soupçonne depuis longtemps une vaste migration depuis la Mésopotamie vers l'Afrique du Nord, dit-il. Mais une telle migration, visible dans chaque population qu'ils ont étudiée en Afrique - y compris les pygmées et les Khoisan [Afrique australe] ? C'est surprenant et nouveau. "

La part de Néandertal

Svante Pääbo (Institut d'anthropologie évolutive de Leipzig), pionnier des études de paléogénétique, y voit " un bon travail, qui montre vraiment qu'il y a eu un flux génétique vers l'Afrique ". Son équipe, qui fut la première à séquencer le génome de Néandertal, avait évalué à 3 % environ la part d'ADN provenant de ce cousin dans les populations non africaines - en considérant que les Africains actuels n'avaient pas hérité d'ADN eurasiatique. Mota va-t-il donc changer l'appréciation de la part de Néandertal qui subsiste dans les populations actuelles ? L'équipe d'Andrea Manica montre ainsi que le génome des Yorubas et des Mbutis comprend entre 0,2 % et 0,7 % de séquences néandertaliennes. " Cela signifie que la part de Néandertal chez les Européens est un peu plus haute qu'on ne le pensait ", traduit Svante Pääbo.

La réécriture par la génétique de l'histoire des migrations hors et vers l'Afrique n'en est qu'à ses débuts. " Il faudra des génomes africains plus anciens pour décrire des événements démographiques clés, survenus avant la naissance de Mota ", soulignent Andrea Manica et ses collègues.

 



Source : www.lemonde.fr


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