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Quatre conditions pour que l'Afrique tire tous les bénéfices du numérique

  Société, #

Le 26 janvier était votée en France, en première lecture et à une très grande majorité, la loi " pour une République numérique ", alors qu'au même moment manifestaient dans la rue les taxis parisiens contre le développement des VTC, en particulier Uber, dont la croissance est rendue possible par la mobilité, la géolocalisation et l'essor d'entreprises " plateformes ". Ces deux faits résument le processus de pénétration du numérique dans nos vies : opportunités, changements de modèles, accompagnement indispensable des mutations. C'est un phénomène global qui touche tous les pays - riches, pauvres, émergents - et nous amène à nous interroger sur le lien entre le déploiement des technologies numériques et les processus de développement.

 

L' Afrique est au cœur de ces évolutions et les grands acteurs internationaux ne s'y sont pas trompés. Dans de nombreuses régions, le développement de la téléphonie mobile vient directement avec l'accès à l'énergie. Pour Orange, l'Afrique est un relais de croissance majeur. Google et Facebook y sont de plus en plus présents comme lorsque le premier décide de faire construire et de gérer plus de 800 km de fibre optique à Kampala, pour introduire le haut débit dans des quartiers populaires de la capitale ougandaise que les opérateurs historiques ne jugeaient pas assez rentables.

Un chemin étroit, entre risques et opportunités

Mais ce n'est pas seulement le terrain de jeux d'acteurs internationaux. Les Africains, comme partout, s'approprient les outils, et créent ce qui en fait la valeur : le contenu. Si Facebook est plus populaire que Google sur le continent, c'est bien parce que c'est un outil idéal de fabrication et de partage de textes, d'images, de sons, de vidéos, créés localement et qui font donc sens localement.

Le récent rapport sur le développement dans le monde de la Banque mondiale, auquel a contribué l'Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique)est consacré cette année aux " dividendes du numérique ". Il analyse le lien entre numérique et développement afin de déterminer dans quelles conditions le premier peut favoriser le second. Entre risques et opportunités, le chemin est parfois étroit. Notre responsabilité, en tant que promoteurs du développement, est de trouver et de mettre en œuvre les moyens de rendre ces dividendes concrets pour le plus grand nombre. Et nous incite à nous adapter et à évoluer pour exploiter au mieux le potentiel des technologies numériques.

 

D'abord un constat : dans les pays en développement, l'essor du numérique est fulgurant. Les propriétaires de téléphone portable (80 % de la population) sont désormais plus nombreux que ceux ayant accès à l'électricité ou à l'eau potable ; 950 millions d'Indiens possèdent une carte d'identité biométrique leur permettant de bénéficier de filets sociaux de base ; 5 millions de petites et moyennes entreprises chinoises peuvent exporter des biens partout dans le monde à travers la plateforme Ali Baba. Grâce au mobile banking, dont le concept a été " massifié " d'abord au Kenya, plus de 300 millions de personnes, majoritairement en Afrique, ont accès à des services bancaires sans compte en banque. Enfin, chaque jour, des travaux de recherche permettent de découvrir de quelle manière la " révolution des données " et le big data contribuent au développement, en identifiant les schémas de propagation d'une épidémie, en analysant les dé placements des populations, en décongestionnant le trafic d'une ville comme Abidjan, ou en identifiant au Sénégal les populations vulnérables dans les zones les plus expos ées aux conséquences des dérèglements climatiques.

Rentes, inégalité et contrôle

Ces chiffres et ces expériences ne doivent pas cacher une autre réalité, celle de l'enclavement digital. Si le téléphone portable est partout, 400 millions de personnes en 2016 n'ont pas accès au réseau et seulement 15 % de la population mondiale est connectée à l'Internet haut débit. Des inégalités dans l'accès persistent, au détriment des femmes, des personnes âgées et des populations rurales. Dans les pays où le taux de pénétration est plus important, un environnement réglementaire inadapté peut être source de rentes, d'inégalité, de contrôle.

 

Or la connectivité est devenue une nécessité autant qu'une aspiration, même dans les cas de dénuement les plus extrêmes. Le très beau film Timbuktu, d'Abderrahmane Sissako, qui décrit la terreur que font régner des extrémistes religieux aux confins du désert malien, montre aussi une autre réalité. Kidane, l'éleveur touareg, est parti à la recherche de son jeune berger et de sa vache préférée, surnommée " GPS ". Sa fille Toya grimpe au sommet d'une dune et, téléphone portable à bout de bras, cherche du réseau afin d'appeler son père.

Alors, quelles conditions doivent être réunies pour favoriser le développement, en particulier auprès des populations les plus fragiles ?

Gouvernance et régulation

Quatre ingrédients semblent nécessaires. En premier lieu, l'accès. Au-delà des ballons de Google et des satellites de Facebook, c'est bien d'accès à l'énergie, de câbles sous-marins, de backbones, de réseaux secondaires - en particulier sur les derniers kilomètres - dont il s'agit.

Ensuite, les compétences sont indispensables pour s'approprier ces technologies. Aujourd'hui, tant dans le secteur public que le secteur privé, elles font parfois défaut, ce qui empêche les administrations et les populations de tirer tous les bénéfices de ces outils, qui sont alors susceptibles de détruire des emplois plutôt que d'en créer, d'accroître les inégalités plutôt que de les résorber.

La question de la gouvernance et de la régulation est fondamentale pour éviter la concentration, favoriser l'innovation, tout en veillant à garantir un équitable accès à la ressource. En effet, l'accès " physique " n'est rien si les coûts sont exorbitants, non pas pour des raisons d'infrastructures, mais parce qu'une réglementation inadaptée offre une rente à un nombre limité d'opérateurs, malgré un service médiocre. Les quelques pays africains qui n'ont pas libéralisé leur marché télécom sont aussi ceux où le service laisse le plus à désirer.

 

Enfin, l'obligation des Etats de rendre des comptes est déterminante pour garantir la protection de la vie privée des citoyens, la neutralité du Net et son usage au service des populations. Pour en faire un outil de développement participatif et non de contrôle.

Beaucoup reste à construire dans les pays africains, qui ne doivent pas rater cette fenêtre d'opportunité. Le numérique est susceptible de décupler les résultats d'une bonne politique publique, autant qu'il peut amplifier les conséquences d'une mauvaise.

Des usages innovants pour le long terme

Le travail des bailleurs de fonds est d'accompagner les Etats, villes, entreprises, et associations pour créer ou renforcer ces quatre conditions nécessaires à un numérique au service du développement. Mais ils doivent également intégrer la réalité numérique et ses usages possibles dans leurs propres actions : en utilisant des données plus proches du terrain, nombreuses et rapidement accessibles dans l'identification, la structuration, l'évaluation et la mesure des impacts des projets ; en soutenant le développement d'usages innovants au service de l'éducation, de la santé, de la mobilité, et faciliter leur déploiement massif ; en permettant aux citoyens de contribuer à travers les plateformes de financement participatif ( crowdfunding) ; en travaillant avec les médias et acteurs numériques ( pure players) du développement, qu'ils soient publics, privés ou hybrides.

En gardant enfin à l'esprit que, au-delà de ce sentiment d'accélération, le développement s'inscrit dans le temps long. En effet, le numérique peut renforcer une illusion de contrôle du présent et de l'avenir et nous ramener à des logiques de court terme, alors que nous devons surtout apprendre à vivre dans la complexité et l'incertitude, nous projeter sur le long terme.

Cyrille Bellier est responsable de la division recherche et développement à l'Agence française de développement (AFD).



Source : Le Monde.fr


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