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Africain(e) en... Égypte : la négritude, un problème ?

  Société, #

"L'Égypte est une destination mondialement connue par les touristes. Ces derniers rapportent au pays 7 milliards de dollars par an. Nous sommes en mars 2012. Je viens d'Israël, en passant par le Sinaï, et viens d'effectuer quatorze heures de bus pour regagner Le Caire. Inutile de vous décrire ma motivation pour parcourir la troisième puissance africaine après l'Afrique du Sud et le Nigeria. Les pyramides sont à couper le souffle, la place Tahrir est belle mais moins impressionnante. La foule, la forte circulation, la pollution, la solitude et l'aigreur de certains regards m'étouffent mais je mets le tout sur le compte de la fatigue. Puis je décide de me rendre à la cathédrale Sainte-Catherine et à Neiwaba."

C'est parti pour neuf heures de route. Dans le car d'une cinquantaine de places, une dizaine de places sont encore libres. Je suis au milieu, comme d'habitude près d'une fenêtre, de façon à pouvoir contempler le paysage ou somnoler la tête appuyée sur la vitre. Les paysages évoluent entre zones désertiques et riches en végétation. Je crois voir une carte postale animée... Malheureusement, ce rêve éveillé est interrompu par le conducteur, en colère contre les policiers qui ne cessent de nous arrêter sur le parcours. Mes notions d'arabe me permettent de déchiffrer l'échange houleux :

- Karloucha africana ! (La noire est africaine !)
- Lé, sarfatiya ! (Non, française !)

"Oui, oui, on peut être noir et français"

Il semble que les policiers croient que je suis une clandestine africaine en route pour Israël. Auquel cas, hors de question de passer sans payer. Si seulement, cela n'était arrivé qu'une fois... Parfois même les agents cognent avec leur matraque sur le bus pour qu'il s'arrête et une fois à bord se précipitent vers moi. Je ne dis pas un mot, mais leur tends mon passeport français. "Oui, oui, on peut être noir et français, ne soyez pas déçus", ai-je envie de leur dire. Mais je suis chez eux, mieux vaut me taire.

La cathédrale Sainte-Catherine est magnifique, je peux presque dire que ça valait le coup de faire autant de trajet. J'ai gravi pendant près de deux heures des marches à n'en plus finir, au point de ne plus sentir mes jambes. Il me fallait attendre le lever du soleil. J'oublie les morsures du froid nocturne au moment où le soleil fait son apparition. C'est l'une des plus belles choses qu'il m'a été donné de voir. J'en ai les larmes aux yeux. Une fois redescendue, je remercie un charmant chauffeur égyptien et francophone, Farid. Il m'a aidée à négocier pour que l'un de ses collègues m'emmène à l'hôtel que j'ai réservé. Avant de monter dans le minibus, nous avons un dernier échange, et le fou rire qui s'ensuit n'est pas du goût de mon chauffeur.

"Avant, c'étaient nos esclaves, maintenant, nos clients"

Je perçois de la colère entre les deux hommes et un énième dialogue au contenu désagréable. J'entends encore dans le flot de paroles "karloucha", ce terme péjoratif à mon égard. "Avant, c'étaient nos esclaves, et maintenant ce sont nos clients", dit-il d'un ton agacé. Je le suis encore plus que lui. Son collègue francophone me donne son numéro et me dit de l'appeler si quoi que ce soit arrive. Quel dommage qu'il n'aille pas dans la même direction que moi. Il était si agréable et apaisant. J'essaye de ne pas être trop offusquée et de discuter avec les passagers, essentiellement européens : une famille française composée d'un couple et de leurs enfants âgés de 16 et 20 ans, un couple gay espagnol, et une Autrichienne polyglotte qui parle arabe, français, allemand, espagnol et anglais.

Trop, c'est trop

Tout se passe pour le mieux jusqu'à ce que le chauffeur m'annonce qu'il ne me déposera pas à mon hôtel parce que ce n'est pas sur son chemin, alors que la famille française est logée à quelque 700 mètres de mon hôtel. Le ton monte. L'Autrichienne essaye de le raisonner mais il ne veut rien entendre. J'appelle Farid, mais il refuse de prendre le combiné. Verte de rage, je lui lance ma bouteille d'eau au visage. Il freine alors brusquement et me débarque comme un vulgaire déchet. J'ai à peine le temps de récupérer mon sac à dos. Il fait chaud, je n'ai plus d'eau, plus de batterie, j'ai mal aux jambes. Je marche un bon moment avant de trouver un véhicule qui accepte de me prendre. Pour évacuer mon stress avant de quitter le pays et de rejoindre la Jordanie, je décide de faire de la plongée. Finalement ce sera masque et tuba. En sortant de l'eau, un Égyptien m'effleure une première fois. Je ne dis rien. La deuxième fois sa main presse franchement mes fesses. C'en est trop. Je suis à court de répartie. Les mots ne suffisent plus. Je déverse sur lui toute ma colère et me mets à le charger comme si ma vie en dépendait. On vient nous séparer. Il s'excuse.

Je quitte le pays le lendemain. Je n'ai jamais remis les pieds en Égypte. Je ne souhaite pas rester sur une mauvaise impression mais je dois avouer que je n'ai jamais autant mal vécu d'être noire. Je n'y suis pour rien, je suis née ainsi et je refuse d'en être victime.


Source : afrique.lepoint.fr


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martino
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