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Afrique du Sud : le président Jacob Zuma démissionne avec " effet immédiat "

  Politique, #

Et tout s’écroula dans un ensemble parfait. Plus d’alliés, plus de prise sur l’appareil d’Etat : Jacob Zuma a assisté en direct à l’extinction de son pouvoir, mercredi 14 février. La veille, son parti, l’ANC (Congrès national africain), lui avait enjoint de démissionner de son poste. Curieusement, l’homme qui avait régné dix ans sur cette formation avait d’abord paru décontenancé. Puis, comprenant le caractère irréversible de la décision, le président de la République, selon une bonne source, était entré dans une « colère monstrueuse ».

Il lui fallait non seulement céder, mais le déclarer depuis la présidence dans la matinée, en jouant la comédie de la modestie et de la discipline. Résister ? Au même moment, une descente de police avait lieu à une soixantaine de kilomètres de là, à Johannesburg, visant la résidence et les bureaux des frères Gupta, hommes d’affaires d’origine indienne auxquels Jacob Zuma avait, des années durant, ouvert en grand les portes de l’Etat.

Sous sa protection, les Gupta avaient joui d’une splendide immunité, élaborant une « capture d’Etat » qui pourrait avoir coûté des milliards de rands (des centaines de millions d’euros) à l’Afrique du Sud. Depuis leur salon, les frères nommaient des ministres, organisaient des raids sur les entreprises publiques. Pas un juge n’aurait osé toucher à un de leurs cheveux. Et voilà qu’on lançait une opération policière chez eux. Très mauvais présage pour le futur du président.

Pendant quelques heures, Jacob Zuma se contente d’abord de voir rouge. Déjà, il fait annuler sa déclaration officielle. Puis, dans l’après-midi, il apparaît subitement à la télévision nationale, où il se livre à un simulacre d’entretien – on pouvait voir trembler les lèvres du journaliste qui tentait de poser quelques questions.

Un discours qui s’achève sur une menace

Il dévoile en réalité les grandes lignes d’un monologue intérieur inquiétant, affirme ne pas comprendre pourquoi il lui faudrait démissionner. Suggère aussi qu’on lui donne du temps, d’abord trois, puis six mois, pour présenter le nouveau chef de l’ANC, Cyril Ramaphosa, aux présidents d’Afrique et des BRICS, comme si son tombeur avait besoin qu’on lui tienne le bras à son premier bal. M. Zuma « cherchait à obtenir une formule de sortie, comme si rien ne s’était passé, pour pouvoir dans le futur faire la tournée des présidences et tenter de monnayer des services de luxe, en tant qu’ex-président. Il se voyait un peu en Tony Blair », dit avec étonnement une source bien informée.

Lire aussi :   Cyril Ramaphosa, un espoir pour l’économie sud-africaine

Puis le président en sursis conclut son discours par une menace, celle que son limogeage « mette beaucoup de gens en colère ». Comprendre : dans sa province du Kwazulu-Natal, où le chauvinisme zulu pourrait faire de sa chute un casus belli. A-t-il vraiment en tête de déclencher des troubles ? Le peut-il ? L’Afrique du Sud retient que son président encore en exercice vient de la menacer de violences en direct, à la télévision. Après une telle énormité, que peut espérer Jacob Zuma ?

Son sort est scellé depuis plusieurs jours déjà au sein de l’ANC, ce parti qui fonctionne comme une meute et dont il a été le mâle dominant pendant dix ans. La faction de son rival, Cyril Ramaphosa, a pris la présidence du parti en décembre 2017. Jacob Zuma espérait alors mener une guerre d’usure, étouffer peu à peu son rival. Ce dernier, depuis sa position de force à la tête de l’ANC, l’a battu à ce petit jeu. Le président a vu virer ses proches, ses fidèles, ses obligés, rejoignant comme un tas de limaille de fer le nouveau pôle magnétique du pouvoir, Cyril Ramaphosa.

La fin de l’immunité

Ce mercredi soir, il lui faut à présent revenir à la raison et se soumettre à la volonté des dirigeants du parti. Un peu avant 23 heures, il offre finalement cette démission exigée. Debout une dernière fois derrière le pupitre de la présidence, il rappelle qu’il a été « membre de l’ANC presque toute sa vie », surjoue le cadre obéissant, mais multiplie les clins d’œil insolents, mentionne que, selon lui, le pays « continue de bien des manières à être sous la coupe des privilégiés blancs ».

C’est une allusion directe à la narration qui consiste à faire de Cyril Ramaphosa un sous-marin du « monopole économique blanc ». Le démissionnaire réticent est en train de suggérer avec des mots choisis que les braises de l’apartheid brûlent de nouveau, et que l’incendiaire est M. Ramaphosa, le vendu.

Or, une large partie de l’opinion publique est très réceptive à ces arguments. Inversement, une autre partie a fait de Jacob Zuma la quintessence du voleur, du vilain, et s’avère obnubilée par son départ du pouvoir, comme si cela allait régler tous les problèmes du pays. Chacun a sa formule magique dans un pays où les critères moraux sont hauts et certains standards d’analyse politique parfois déconcertants. Jacob Zuma, certes, mérite les déboires qui sont les siens et qui ne vont pas aller en s’allégeant. Il quitte le pouvoir « avec effet immédiat » et perd aussitôt son immunité de chef d’Etat.

Un parfum de scandale

Il a 75 ans, cinq épouses, au moins vingt enfants, un train de vie que nulle retraite dorée ne peut financer, et une somme d’ennuis judiciaires liée à des affaires de corruption avance vers lui aussi sûrement qu’une vague géante, aussi haute que le « zunami » promis lorsqu’il poussait à l’assaut du pouvoir.

C’était en 2007, avec Jacob Zuma en chef et l’appui de la gauche de l’ANC, de la Ligue de la jeunesse, de celle des femmes – tout un ensemble hétéroclite réuni par sa détestation du président Thabo Mbeki. M. Zuma était nimbé d’un parfum de scandale assez entêtant, faisait l’objet d’une procédure judiciaire pour sa participation supposée dans une affaire de vente d’armes à l’Afrique du Sud, dans les années 1990. Il était aussi impliqué dans une épouvantable affaire de viol.

Il était suspecté d’avoir touché des pots-de-vin de la société française Thomson-CSF, pour un montant représentant une fraction des 4,8 milliards de dollars de la série de contrats avec plusieurs vendeurs d’armes. Dans les procédures judiciaires liées à cette affaire tentaculaire, de nombreux noms ont été cités, par exemple ceux de Thabo Mbeki ou de Graça Machel, l’épouse de Nelson Mandela, tout comme l’ANC.

Le champion des anti-Mbeki

Il va de soi que personne dans le parti n’éprouve le besoin de rouvrir les dossiers. Jacob Zuma risque de se trouver bien seul dans le rôle de suspect, et peut-être dans le box des accusés. Les poursuites, annulées opportunément par un drôle de juge une semaine avant son élection en 2009, ont été réactivées.

En 2007, tout allait si bien : Jacob Zuma prenait le parti, devenant président de la République deux ans plus tard. Entre-temps, il a fait limoger son ami de trente ans, Thabo Mbeki. Les députés de l’ANC avaient applaudi à l’annonce de la destitution de ce dernier. Dans la vie politique sud-africaine, il est conseillé de frapper un homme à terre, surtout s’il s’agit d’un ami. Puis cet ami se relève et cherche à se venger, s’il le peut.

En 2007, les anti-Mbeki s’étaient trouvé un champion avec de fortes envies de vengeance en la personne de Jacob Zuma. Certes, sa conception de la légalité laissait à désirer. Mais il n’avait aucune des tares intellectuelles de l’ère Mbeki, à commencer par l’entêtement à nier l’existence du sida. Et il incarnait à sa façon un retour aux valeurs de la base. Il savait parler aux villageois, danserchanter, se les mettre dans la poche.

Lire aussi :   En Afrique du Sud, Jacob Zuma et la politique du pire

Jacob Zuma avait également ce petit problème avec l’argent. Toujours endetté. Des années de lutte et des années de prison à Robben Island – dont il ne parle jamais –, il est sorti sans un sou. Mais, chargé du tourisme dans le Kwazulu-Natal, il a fait des rencontres intéressantes avec des hommes d’affaires divers, les poches pleines d’argent facile. Mélange harmonieux avec quelques compagnons de l’ombre du temps de la lutte, quand ils œuvraient dans la clandestinité.

Tant de loyautés à acheter

Pour les remboursements, on verra plus tard, lorsque seront attribués les marchés publics, ces tenders qui sont comme une monnaie parallèle du monde politique sud-africain. A ce jeu, Jacob Zuma est devenu très fort. Un homme d’affaires proche du pouvoir témoigne de l’ambiance qui régnait à la présidence, ces dernières années : « Le Vieux [surnom de M. Zuma] est occupé du matin au soir à distribuer des tenders, il ne fait que ça. » Il y a tant de loyautés à acheter. L’ANC se dit « révolutionnaire » et fonctionne en secret comme un supermarché. Il n’est pas surprenant qu’aient surgi les frères Gupta dans ce contexte. Ils seront à l’origine d’une approche plus méthodique du pillage des ressources publiques.

Avec de l’ambition, on peut aller loin : se voir confier des fonctions régaliennes, monter un raid de pirates contre le Trésor public. Tout cela sous le regard effaré de l’Afrique du Sud. Car la presse, pendant cette période, expose inlassablement la saga. Des organismes de la société civile, malgré les pressions, exigent que des comptes soient rendus. Le pouvoir judiciaire s’est réveillé.

Le feuilleton de la « capture d’Etat » semble sans fin, mais il a fini par menacer les fondements du pays. Puis, un jour, il a fallu purger un peu la machine devenue folle. Alors Jacob Zuma a été prié, comme on adore dire à l’ANC, de « tomber sur son épée ». Et de protéger ainsi tous les autres.

 



Source : Le Monde.fr


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