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Afrique : Niagassola, là où vibre le cœur du peuple mandingue

  Culture & Loisirs, #

"Il a pris son arc, le grand chef meneur d'hommes ! Il a pris son arc, le grand chasseur qui passe les grands fleuves ! Il a pris son arc pour affronter la savane... " Autour de ce fait qui a traversé l'Histoire est bâtie toute la légende de Soundiata Keïta ((1190-1255), fondateur de l'empire du Mali au XIIIe siècle.

Dans Niagassola, petit village de la Haute-Guinée qu'une mauvaise piste relie au Mali voisin, vivent aujourd'hui de modestes paysans. Mais ils n'ont pas oublié Soundiata. Leurs ancêtres ne dominaient-ils pas les savanes du Sénégal, de la Gambie, de la Guinée et du Mali actuels ?

Les malheurs des temps n'ont pas atteint leur prestige, et si l'empire n'est plus, sa puissance et sa richesse sont encore dans toutes les mémoires*.

Malgré le temps, le prestige est toujours là, intact

"Je chante le nom des morts pour sécher les larmes des vivants", avait coutume de dire le griot malien Bazoumana Sissoko (vers 1890-1987).

C'est la fonction des griots, chanteurs et musiciens, de conserver fidèlement le souvenir du passé. À Niagassola, la dynastie des Kouyaté détient la tradition immémoriale de l'empire du Mali. Ils chantent les louanges des puissants et les exploits de leurs ancêtres.

Depuis des siècles, ils se transmettent de père en fils les récits merveilleux qui parlent d'animaux sauvages, de sorciers maléfiques, de femmes amoureuses et d'intrépides guerriers, ceux qui, sous la conduite de Soundiata Keita, ont vaincu le roi des Sosso Soumaoro Kanté.

Gardiens attitrés des traditions orales, ils n'en vivent pas moins dans le présent, réglant les conflits et conseillant la population, servant de messagers et d'intermédiaires dans tous les actes de la vie sociale. Qui dira l'importance des griots dans une société où l'écrit ne joue qu'un rôle limité ?

Comment oublier Balla Faséké Kouyaté, "l'oreille et la bouche" de Soundiata

Il existe, certes, bien d'autres centres où sont conservées les traditions historiques des Mandingues, et les griots Condé de Fadama, Diabaté de Kita et Kela, Kamissoko de Krina jouissent d'une solide réputation en Guinée et au Mali. Mais les Kouyaté en sont convaincus : "Aucun griot ne vaut un Kouyaté."

Leur ancêtre éponyme, en effet, Bala Fasséké Kouyaté, était l'oreille et la bouche de Soundiata Keita. N'est-ce pas lui qui conduisit un jour la sœur du héros, Nana Triban, chez le redoutable roi forgeron Soumaoro Kanté pour qu'il en fasse son épouse ? Là, Bala Fasséké découvrit le Sosso Bala, le balafon magique qu'un génie aurait donné à Soumaoro.

Personne n'avait le droit d'en jouer sous peine d'être immédiatement exécuté. Balla Fasséké le fit pourtant, un jour que le terrible roi était parti à la chasse. L'ayant entendu, le roi s'en revint aussitôt pour tuer l'impudent, mais celui-ci, improvisant un hymne à sa gloire, sut le convaincre qu'il était bien agréable d'avoir à son service quelqu'un qui chante ses louanges....

N'est-ce pas lui encore qui, ayant percé les secrets du roi forgeron, les transmit à Soundiata Keita qui put ainsi vaincre son ennemi ? Au lendemain de sa victoire finale à Krina en 1235, Soundiata lui confia la garde du balafon sacré et en fit le griot de l'empire, son ami et son confident.

Au coeur de la légende, le Sosso Balla, un instrument sacré

Huit siècles plus tard, l'instrument est toujours entre les mains de la famille Kouyaté. Le Sosso Bala, ou "balafon du Sosso", est en fait un xylophone long d'un mètre cinquante et haut d'une trentaine de centimètres constitué de vingt planchettes de bois de dimensions différentes sous lesquelles sont suspendues des calebasses percées qui en amplifient le son. Son entretien et son utilisation sont régis par des principes intangibles.

Seul son gardien, le Bala-Tigui, l'aîné de la famille Kouyaté, est autorisé à en jouer dans des circonstances bien précises. On ne joue du Sosso Bala que les nuits du lundi et du vendredi, lors des grandes fêtes ou pour le décès d'un notable. À la mort du Bala-Tigui, le balafon passera à son frère cadet, puis au cadet de celui-ci, jusqu'à ce que l'ensemble de la fratrie ait disparu et que l'instrument soit alors remis à l'aîné des hommes de la génération suivante. Il en est ainsi depuis des siècles.

Le Bala-Tigui, certes, n'a pas toujours résidé à Niagassola. Il arrivait par moment que l'aîné des Kouyaté réside dans un village voisin, aujourd'hui situé de l'autre côté de la frontière, au Mali. Mais dans les années soixante-dix, le président de la Guinée Sékou Touré (1922-1984) estimant que le balafon faisait partie du patrimoine national, imposa qu'il ne quitte plus jamais la Guinée.

Et le 18 mai 2001, en effet, l'Unesco proclamait l'espace culturel du Sosso-Bala à Niagassola chef-d'œuvre du patrimoine oral et immatériel de l'humanité : l'instrument qui symbolise la liberté et la cohésion de la communauté mandingue depuis le XIIIe siècle est désormais définitivement fixé à Niagassola, où il est conservé dans une case de terre sous la protection de la puissante confrérie des chasseurs.

Ce n'est plus le balafon qui suivra le Bala-Tigui, mais le Bala-Tigui qui devra nécessairement résider à Niagassola.

Le temps passe mais Niagassola reste au centre de l'univers mandingue

Les temps sont loin, aujourd'hui, où les griots Kouyaté ne cultivaient pas la terre et ne s'abaissaient à aucune tâche manuelle. Certains sont partis, suivant de nouveaux patrons capables de pourvoir grassement à leur subsistance. D'autres sont cultivateurs, fonctionnaires ou tentent leur chance à la ville.

D'autres encore sont musiciens professionnels et attirent les foules à Conakry ou à Bamako et brillent sur les plateaux de la télévision guinéenne. Mais tous reviennent régulièrement au village.

Là, les jeunes Kouyaté se préparent à succéder à leurs pères. Dès la plus petite enfance, leur mémoire est entraînée, et ils apprennent la puissance redoutable des mots. Car toute parole n'est pas bonne à dire.

"La parole mange l'homme", dit-on ici, comme pour mettre en garde devant le pouvoir sacré, sinon dangereux du verbe. "Que ce qui doit être tu soit tu, que ce qui doit être dit soit dit", répètent inlassablement les griots avant de prendre la parole en public. Plus tard, ils recevront un balafon et apprendront à jouer de l'instrument emblématique du village.

Pour assurer la survie des traditions et de la société qui les porte, ils devront reproduire inlassablement les mêmes gammes et les mêmes récits. Le Djandjon, dédié à Fakoli Kourouma, que l'on ne chante que pour les braves.

Le Tiramaghan fasa, qui dit la vaillance de la famille Traoré. Le Kouyaté fasa, par lequel les griots Kouyaté se célèbrent eux-mêmes. Un jour, ils accompagneront le Bala-Tigui lors des grandes cérémonies où sept balafons jouent de concert. Leurs mères et leurs sœurs feront alors résonner des clochettes et des castagnettes métalliques. Un jour, qui sait, ils seront à leur tour Bala-Tigui...

Oui, la tradition perdurera quoi qu'il en soit

Car la tradition ne s'interrompra pas ! Jamais, malgré les vicissitudes de l'Histoire et la disparition progressive de l'empire du Mali à partir du XVIe siècle, les griots Kouyaté n'ont cessé de chanter la gloire de leurs ancêtres. Pas même à l'époque coloniale, raconte Namankoumba Kouyaté, qui fut à l'origine du classement de l'ère culturelle au patrimoine de l'humanité de l'Unesco, quand il fallait cacher l'antique instrument au passage de l'administrateur de crainte qu'il ne soit confisqué pour être mis dans un musée.

"Il a pris son arc, le grand chef meneur d'hommes ! Il a pris son arc... " Demain, comme hier, les Keita de Niagassola dresseront le poing vers le ciel quand retentira l'hymne à la gloire de Soundiata, au son magique du Sosso Bala.

* Francis Simonis est maître de conférences à l'université Aix-Marseille, auteur entre autres, de L'Afrique soudanaise au Moyen Âge, SCEREN, 2010.

** Cet article est à lire en entier dans "Rites et fêtes du Christianisme", Le Point Références, janvier-février 2015.


afrique.lepoint.fr


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