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Attention aux mirages de l'économie numérique en Afrique

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Dans son rapport annuel sur le développement portant sur " Les dividendes du numérique ", publié le 14 janvier, la Banque mondiale pointe les retards de certains pays pauvres en matière d'Internet, de téléphone mobile et des autres technologies de l'information.

Les pays africains sont en première ligne, puisqu'ils sont globalement les moins connectés à Internet et ceux dont les habitants possèdent le moins de smartphones. L' Afrique est par conséquent le continent qui bénéficie le moins des possibilités offertes par les nouvelles technologies.

Mes yeux d'Africain déplorent la nature des deux visions qui sous-tendent ce rapport : la première est une vision consumériste. Pour ses auteurs, les régions du monde sont d'abord des marchés, et leurs citoyens, avant tout des consommateurs. C'est la raison pour laquelle ils se préoccupent uniquement de quantités (et pas de qualité) : le nombre d'abonnés à Internet les intéresse davantage que l'usage qui en est fait.

Utile mais pas vital

A cette vision consumériste, nous opposons une vision civilisationniste : nous sommes en effet nombreux à voir l'Afrique d'abord comme une civilisation ; et nous nous voyons comme des hommes et des femmes qui travaillons à la faire revivre. Pour ce faire, notre vocation, sur le plan économique, est d'épargner d'abord, de produire ensuite, de consommer enfin.

Ce regard sur nous-mêmes change tout. Nous ne nous demandons pas pourquoi nous avons moins de téléphones portables que les Américains, mais si ces appareils sont utiles à tous. Nous ne demandons pas pourquoi nous sommes minoritaires parmi les 8,8 milliards de vidéos YouTube vues quotidiennement, les 186 millions de photos postées sur Instagram ou encore les 803 millions de tweets disséminés, mais si ces activités représentent le meilleur usage de notre temps compte tenu des défis que nous devons relever.

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La majorité d'entre nous est encore trop pauvre : beaucoup se déplacent à pied, ne mangent qu'une fois par jour, ne disposent pas de toilettes, vivent dans des logements indignes, etc. Pour cette population, avoir un téléphone portable est utile sans être vital, et avoir accès à internet est souvent un luxe.

La deuxième est une vision technologiste : les auteurs du rapport croient en l'omnipotence de la technologie. Cela les conduit à sous-estimer la complexité des problèmes que nous rencontrons sur le continent, et à proposer des solutions sophistiquées, mais dont l'efficacité est parfois discutable.

L'exemple de l'agriculture en est une bonne illustration. Pour ces analystes, l'un des problèmes fondamentaux des agriculteurs africains est l'absence d'informations : sur les prix de leurs produits sur les marchés, sur la météo, sur le coût des intrants, etc. Régler le problème de l'accès à l'information permettrait d'améliorer le sort des paysans, d'où la promotion de l'utilisation de vidéos, d'appels téléphoniques, de textos et d'Internet pour toucher directement le plus grand nombre.

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Ces approches sont assurément efficaces dans plusieurs régions du monde. En Afrique, cependant, l'information a souvent une valeur relative. Le paysan enclavé qui connaît le prix de son produit mais demeure incapable, faute d'infrastructures adéquates, de distribuer sa production, souvent périssable, sur les marchés, n'a aucun pouvoir de négociation. Il restera pauvre.

Par ailleurs, la faiblesse de la fourniture en électricité dans les zones rurales où il faut parfois vivres des semaines sans énergie, rend les téléphones souvent inutiles car inutilisables.

Problèmes structurels

Au-delà, mon expérience d'entrepreneur m'a ouvert les yeux sur de graves problèmes structurels qui sont ignorés. L'espérance de vie est faible dans les zones rurales, et la relève est de moins en moins assurée. De nombreux jeunes rejettent des conditions de travail moyenâgeuses et la certitude d'une vie misérable. Et grâce, précisément, à la technologie, ils sont informés des promesses de la ville. Beaucoup émigrent donc. Et ceux qui restent sont en position de départ. Ils préfèrent travailler comme moto-taxi en attendant leur tour : ça paie vite, mieux, et le sentiment de liberté procuré par la moto est enivrant.

Il est évident que la technologie peut permettre d'accélérer le développement. Mais, dans le cas de nombreux pays africains, elle aura une portée limitée face à des problèmes structurels tels que la santé, l'éducation, les infrastructures, les systèmes de gouvernement. Pour des défis de cette nature, l'action résolue de gouvernements responsables reste la meilleure technologie. Mais comment les faire émerger ?

Yann Gwet est entrepreneur et essayiste camerounais.

Source : Le Monde.fr


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