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Au Burkina, des séries télé pour rire de la politique

  Culture & Loisirs, #

 

Dans cette école de Ouagadougou, deux caméras rafistolées sont posées sur leur pied poussiéreux. L'équipe technique fait les derniers ajustements sous l'œil attentif de Missa Hébié, réalisateur burkinabé de la nouvelle série au titre évocateur, Stop corruption.

Après vingt-sept années de pouvoir de Blaise Compaoré, sa chute en 2014 et un coup d'Etat manqué en septembre 2015, les Burkinabés ont élu dès le premier tour Roch Marc Christian Kaboré à la présidentielle du 29 novembre. La campagne électorale a démontré un vif désir de changement dans ce pays où la corruption et le racket policier sont monnaie courante. Des aspirations qu'ont saisies Missa Hébié et son confrère Inoussa Kaboré, le réalisateur d'une autre série, La Famille démocratique. Tous deux construisent, sur le petit écran, une conscience politique.

Achat de votes... et de copies d'examen

Le tournage du premier épisode devait se terminer en octobre, " mais, avec le coup d'Etat, on a pris beaucoup de retard ", s'emporte Missa Hébié, qui n'en est pas à sa première crise. Heureusement, la vie démocratique a repris son cours et les élections générales se sont déroulées dans le calme. Dans la rue, des pancartes pour dissuader les électeurs de vendre leur vote et inciter les victimes de tentatives de corruption à dénoncer les auteurs grâce à un numéro vert du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC, ou Réseau). Prix d'une carte électorale : 25 000 francs CFA (40 euros), le loyer d'une case pour les foyers les plus modestes.

Le réalisateur burkinabé Missa Hébié sur le tournage de sa série "Stop corruption" dans une rue d'Ouagadougou. Crédits : Sophie Garcia/hanslucas.com

Ce jour-là, sur le plateau de tournage, une cinquantaine d'élèves et leur professeur se contorsionnent, genoux collés sous les pupitres. Ils reconstituent une salle de classe. Tous jouent leur propre rôle, mais chacun a sorti sa plus belle chemise ou son plus joli pagne. Les réflecteurs braqués sur les acteurs font grimper la température qui dépasse déjà 35 °C. La maquilleuse, Tantie Maquista comme la surnomment les plus jeunes, enjambe les câbles électriques pour éponger les visages en sueur.

 

 

" Silence ! ", ordonne le réalisateur. Chuchotements des apprentis acteurs. " J'ai dit silence ! Ça tourne... Action ! " Dans cette séquence, la professeur et ses élèves discutent de l'actualité. Ils parlent renouvellement de la classe politique, échangent au sujet d'un projet de loi portant sur la modification de " l'article 73 de la Constitution ". Allusion au projet du président Compaoré qui, en octobre 2014, avait tenté de changer la Constitution (l'article 37), pour se maintenir au pouvoir. L'initiative avait provoqué un soulèvement populaire et forcé le chef de l'Etat burkinabé à la fuite.

Tournage de la minisérie télévisée burkinabée "La Famille démocratique", réalisée par Inoussa Kaboré. Crédits : Sophie Garcia/hanslucas.com

La scène continue. Un élève bute sur le mot " re-de-va-bilité ". " Redevabilité ? Qu'est-ce que ça veut dire, Madame ? " " Quand tu gères un pouvoir, tu dois rendre des comptes au peuple. " Les réactions de certains camarades sont railleuses : " Madame est aigrie. Madame est jalouse... de ne pas avoir les moyens de s'offrir une jolie voiture. " Le surveillant frappe à la porte et coupe court au débat : la professeur est convoquée dans le bureau du proviseur.

 

Lire aussi : Sept questions sur les élections au Burkina

Dans les dialogues de la série, il est aussi question de petite corruption dans les administrations : le " pétrole ". " C'est l'achat des sujets d'examen. L'ancien directeur d'une chaîne de télévision, qui avait acheté des copies d'examen pour son neveu, a été poursuivi en justice ", rappelle le réalisateur, sans préciser de qui il s'agit. Le phénomène du " pétrole ", très répandu, reste tabou. Le prix d'une copie peut grimper jusqu'à 3 millions de francs CFA (4 500 euros).

Sur le tournage de la série burkinabée "Stop corruption", du réalisateur Missa Hebié. Crédits : Sophie Garcia/hanslucas.com

Pour le réalisateur de la série Stop corruption, déclinée en 26 épisodes de 26 minutes chacun, l'intention première est de sensibiliser les jeunes, " même si seulement dix personnes arrivent à changer de comportement ", relativise-t-il. " Tous ceux qui se sont embarqués dans cette histoire avec moi auront fait leur part, poursuit Missa Hebié. Si tout le monde se met à dénoncer les différents auteurs de la corruption et que des sanctions suivent, ça fera peut-être changer les comportements. Si les gens sentent qu'on les regarde et qu'on peut les dénoncer à tout moment, ils vont faire attention. Et dans cette série, on parle de dénonciation, on donne le numéro vert du REN-LAC. " Le ton est toujours teinté d'un humour à hauteur d'ados, la chute est moralisatrice et appelle à une mobilisation collective.

 

" Un monstre énorme sans visage "

Le REN-LAC est coproducteur de la série réalisée par Missa Hébié, adaptée de la bande dessinée adressée aux jeunes que le Réseau avait publié à 30 000 exemplaires.

Depuis la loi anti-corruption adoptée quelques mois après la chute de Blaise Compaoré, une pile de dossiers attend d'être examinée par la justice. Dans les locaux du Réseau, une affiche montre un magistrat tentant de rattraper un homme les bras chargés de billets filant avec une valise débordant d'argent. Le détournement des biens mal acquis, c'est l'autre gros dossier auquel le REN-LAC veut s'attaquer. La série s'en est emparée. Pour son secrétaireClaude Wetta, " c'est un monstre énorme sans visage parce que c'est difficile de l'appréhender ".

Sur le tournage de la minisérie du réalisateur burkinabé Inoussa Kaboré, "La Famille démocratique". Crédits : Sophie Garcia/hanslucas.com

La fin de l'ère Compaoré nourrit l'espoir d'une plus grande transparence de la gestion des biens publics. " Mais les règles de sortie de pouvoir, comme la déclaration des biens des anciens membres du régime, n'ont pas été respectées ",déploreClaude Wetta. Une étude comparative entre les biens que les tenants de l'ancien régime possédaient à leur arrivée au pouvoir et ceux à leur sortie permet de se faire une idée sur d'éventuels détournements et de l'enrichissement illicite. " Mais cela ne relève que du soupçon et l'on ne peut pas baser notre travail sur des soupçons, explique le secrétaire du REN-LAC. Il faudrait un travail minutieux de spécialistes pour identifier précisément les abus et saisir la justice. Mais personne n'est encore prêt à le faire. " Au pays des hommes intègres, la justice ne poursuit que les " petits " malfaiteurs.

 

Le livret de famille, c'est la Constitution

A Koudougou, à une centaine de kilomètres de la capitale, des Burkinabés vont découvrir une minisérie d'une autre génération, au registre moins paternaliste, La Famille démocratique. Koudougou est troisième ville du Burkina Faso, " Benghazi " comme la surnomme le jeune réalisateur Inoussa Kaboré : " C'est une poche de résistance. A chaque fois qu'il y a eu une crise, c'est d'ici que les cris sont partis. C'est ici qu'est né le garde du corps le plus proche de Thomas Sankara et c'est aussi la ville de Norbert Zongo, un journaliste assassiné sous Blaise Compaoré. "

 

Dans La Famille démocratique, qui compte 10 épisodes de 7 minutes chacun, la vie de famille est calquée sur le modèle de gestion des affaires politiques, le foyer symbolise l'Etat de droit et le livret de famille, la Constitution.Un procédé narratif qui permet de traiter de la vie démocratique avec humour.

Dans le bus troisième classe qui conduit le réalisateur à la projection en plein air à Koudougou, une odeur de maïs grillé chatouille les narines, à moins que ce soit la poussière des sièges. Le car s'arrête à un poste de contrôle. Un passager a oublié ses papiers d'identité. Le gendarme lui demande avec insistance de descendre du véhicule. Depuis le coup d'Etat de septembre, les contrôles d'identité se sont multipliés sur les routes, de jour comme de nuit. Le passager et le gendarme échangent des mots sans se comprendre tout à fait mais des rires fusent.

Les deux hommes appartiennent à des ethnies " adverses ", décode Inoussa : " Dans notre société, en pareille situation, la taquinerie est autorisée, c'est ce qu'on appelle " la parenté à la plaisanterie". Elle permet d'apaiser les tensions. " Le passager remonte dans le car. " Des traditions comme celle-ci doivent perdurer, poursuit Inoussa, parce qu'elles contribuent à entretenir une cohésion sociale et à éviter des conflits fratricides. D'autres doivent changer. " C'est l'un des défis que s'est lancé le réalisateur : " On veut sensibiliser les populations, qu'elles sachent qu'un candidat à une élection ne se choisit pas parce qu'il est du même village que soi, de la même ethnie ou de la même religion. On veut faire comprendre qu'on vote pour quelqu'un en fonction de son programme, et pas pour qu'il assiste aux baptêmes de ses enfants. "

Le bus arrive enfin. La projection de la minisérie a déjà débuté sur un terrain vague. Dans la pénombre, le grand écran éclaire des centaines de visages. " Article 1 : Papa a toujours raison. Article 2. Si papa n'a pas raison, se référer à l'article 1. " Des rires éclatent, entre les applaudissements. Soulagement du réalisateur : " Ça, c'est l'épisode sur le président. "

 

" Le coup d'Etat le plus bête du monde "

Ce soir-là, un autre film est projeté. Une révolution africaine, les dix jours de la chute de Blaise Compaoré, qui traite de l'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, est un documentaire produit par l'association Semfilms, une " bande de copains " du mouvement Le Balai Citoyen. Semfilms, qui a aussi produit La Famille démocratique, organise des projections suivies de débats. Des gendarmes, postés là pour assurer le bon déroulement de la soirée, regardent le film en scrutant le public. Rien à signaler.

 

Un spectateur, la gorge nouée, revient sur les derniers événements : " Pourquoi le gouvernement de transition n'a-t-il pas anticipé le putsch ? " Si des questions restent encore en suspens sur " le coup d'Etat le plus bête du monde ", comme on dit ici, la crise politique a permis de délier les langues et de " déplacer le débat dans l'espace public ", explique le réalisateur Inoussa Kaboré. Et de participer ainsi à la construction d'une conscience politique.

Nabila El Hadad, Contributrice Le Monde Afrique, Ouagadougou



Source : www.lemonde.fr


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Sandy
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