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« J’ai grandi ici, raconte Dogkudome Tegzuylle I, 56 ans, en désignant d’un grand geste les huttes de terre au toit de chaume qui composent son village et les champs parfaitement entretenus qui l’entourent. Je connais la plupart des femmes et leurs problèmes. Je veux changer les choses. Je veux être une véritable dirigeante. » Cette sage-femme dotée d’une forte présence et d’un sourire chaleureux est la « reine mère » de Lyssah, un village de 1 200 habitants situé dans la vaste zone rurale traditionnelle du district de Lawra, au nord-ouest du Ghana.
Comme elle, les quelque 10 000 reines mères du Ghana reprennent leur pouvoir ancestral et font évoluer la condition sociale et économique des femmes et des enfants à travers le pays et sur l’ensemble du continent. « Partenaires des chefs »
ville et village du Ghana possède une « famille royale » descendant de la première famille installée sur place. Choisies au sein de ces familles, les reines mères, ou pognaa, sont les gardiennes des traditions culturelles, et leur rôle consiste principalement à veiller sur les femmes et les enfants de leur communauté. « On nous appelle reines mères car nous sommes partenaires des chefs et nous veillons sur tout le village », explique l’une d’elles. Dans le sud du Ghana, comme dans d’autres pays d’Afrique, cette tradition est séculaire, de même que la chefferie, organisation politique précoloniale. A l’origine, les reines mères étaient puissantes et respectées, mais les colonisateurs ont ignoré le rôle de ces femmes dirigeantes, en négociant uniquement avec les chefs, si bien que leur influence est allée diminuant. Après l’indépendance, en 1957, le nouveau gouvernement n’a pas intégré le statut des reines mères dans les institutions représentant les régions, et leur rôle s’est réduit à un titre essentiellement honorifique. Dans le même temps, les chefs ont conservé un immense poids économique, social et politique. Cependant, depuis qu’elles sont mieux instruites et, surtout, connectées, les reines mères ghanéennes commencent à reconquérir leur rôle traditionnel en le modernisant. Elles acquièrent de nouvelles compétences et collaborent avec leurs homologues d’autres pays africains. Ensemble, elles jouent un rôle de plus en plus important dans la lutte pour l’éducation des filles et contre les mutilations génitales féminines, le mariage précoce, la pauvreté et d’autres problèmes sociétaux. Reprendre confiance« Notre principal défi est la pauvreté, notamment chez les jeunes femmes », précise Dogkudome Tegzuylle I. Lawra, son district, fait partie d’une vaste région rurale et pauvre où les infrastructures sont rares. Les hommes possèdent les terres et prennent toutes les décisions : « Nos hommes sont difficiles. Ils ne subviennent pas aux besoins de leurs femmes. » La situation est similaire dans d’autres villages. « Regardez autour de vous, les femmes sont largement majoritaires dans nos villages, fait observer Maabuora Sanduo I, la pognaa de Nanyaare, un village voisin. Beaucoup de nos hommes meurent jeunes parce qu’ils boivent et ne prennent pas soin d’eux, si bien que les veuves sont nombreuses. D’autres laissent les femmes et les enfants se débrouiller seuls. » Pour aider les femmes à subvenir à leurs besoins, les reines mères ont créé des projets générant de petits revenus en se servant des ressources naturelles locales, telles que le beurre de karité. Elles ont mis en place des groupes de fabrication de savon, d’apiculture et de coiffure, ainsi que des clubs d’épargne et de crédit informels appelés susu. « Les pognaa ont créé les susu, car nous ne pouvons pas attendre l’aide des donneurs ou du gouvernement. Je suis allée au Canada pour apprendre la direction d’entreprise, la communication et l’évaluation de la situation sanitaire. A mon tour, je forme d’autres femmes », raconte Anita Sutha, enseignante de collège. « Avant, les femmes dépendaient de leur mari pour tout. A présent, elles peuvent gagner leur vie et un peu d’argent pour leurs enfants, souligne Dogkudome Tegzuylle I. Elles prennent confiance en elles et gagnent le respect de leur mari. Auparavant, elles ne participaient à aucune décision. Désormais, on les écoute. » Réseau panafricain et influenceDans certains villages, les hommes ont imité les femmes et créé leurs propres clubs susu. Dogkudome Tegzuylle I est bien décidée à les impliquer davantage dans la vie du village :« Je dis que tout le monde doit venir aux réunions, participer, et ils commencent à venir. Petit à petit, nous assistons à un changement : les gens comprennent que les hommes et les femmes peuvent dialoguer et échanger des idées. Les choses s’améliorent peu à peu. » Chaque reine mère a sa vision et ses priorités pour son village. De hameau en village, les programmes sont consacrés à des thèmes très différents : changement climatique, éducation des filles, grossesse chez les adolescentes, assainissement, VIH, création de revenus… Bien souvent, les pognaa s’arrangent pour qu’une ONG vienne sur place et fasse un exposé, ou envoient des villageois se former à Accra ou à l’étranger pour qu’ils puissent à leur tour former les autres habitants. « Notre pognaa fait tellement de choses, apprécie Agnès Tangkuu, tisserande et enseignante bénévole dans une école maternelle. Elle est notre mère, notre sœur, notre chef et notre grand-mère. » Au niveau régional et national, les reines mères imaginent des stratégies et des campagnes. En 2014, elles ont établi des contacts avec d’autres pays d’Afrique et formé un réseau panafricain de dirigeantes traditionnelles afin de s’exprimer d’une seule voix sur des questions qui concernent tout le continent et avoir une véritable influence. Leur tout premier objectif est l’éradication des mutilations génitales féminines.
sources : www.lemonde.fr/afrique/article/2016/02/18/au-ghana-les-reines-meres-reprennent-le-pouvoir-et-font-bouger-la-societe_4867732_3212.html | |||
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