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Bisi Silva : " la Biennale de Bamako va montrer que la vie continue "

  Culture & Loisirs, #

Organisées du 31 octobre au 31 décembre par le ministère de la Culture du Mali et l'Institut français, les Rencontres de Bamako fêtent leur dixième anniversaire. Une cuvée hautement symbolique après l'annulation de l'édition 2013 dans la foulée de la guerre du Mali, déclenchée un an auparavant. Bien que l'insécurité sur place ait conduit plusieurs rédactions françaises à annuler leur voyage, Bisi Silva, directrice artistique de cette cuvée et d'origine nigériane, se dit sereine. Commissaire d'exposition indépendante, Bisi Silva a fondé et dirige le Centre for Contemporary Art, à Lagos, Nigeria, où elle réalise plusieurs expositions valorisant la scène artistique locale et internationale. Elle fut la co-commissaire d'exposition de la 2e Biennale d'art contemporain de Thessalonique, en 2009, et de la Biennale de Dakar en 2006.

La Nigériane Bisi Silva, 52 ans, est la curatrice des Rencontres de Bamako 2015. Crédits : JUDE ANOGWIH

Les Rencontres de Bamako vont se tenir dans un contexte d'extrême tension et de criminalité accrue au Mali. Dans quel état d'esprit êtes- vous ?

 

Voilà quelques semaines j'étais à Bamako et il y avait beaucoup de contrôles policiers, ce qui était rassurant. J'étais même surprise de voir autant d'Européens. Je sais que les gens prévoient de venir massivement pour assister aux Rencontres. Je suis très excitée.

Lire aussi : Biennale : l'insécurité à Bamako inquiète la presse française

La symbolique est forte après trois ans d'interruption.

Cette édition représente l'espoir. En 2014, quand je suis allée à Segu pour le Festival sur le Niger, j'ai senti le besoin de continuer. Jusqu'à quand doit-on attendre que la vie recommence ? Lorsque j'ai été à Bamako l'an dernier, j'ai senti de la tristesse dans l'air. La ville avait été abandonnée, on voyait que les services publics étaient à l'arrêt, que la société civile était déstabilisée. Les commerces étaient touchés, beaucoup de gens avaient tiré le rideau. Les artistes respiraient la tristesse car aucun projet ne venait nourrir leur quotidien. Le tourisme était une source de revenus important pour les Maliens.

" Au Mali on considère vraiment la culture comme un outil de développement "

Entre 2014 et aujourd'hui, la différence est nette. La ville a commencé à réémerger. La confiance est de retour. Le gouvernement veut régénérer la ville, même si la bataille qu'on mène est difficile. Lors du Festival sur le Niger, j'étais impressionnée de voir que toute la communauté diplomatique, le ministre de la culture, les maires de Segu et Tombouctou, tous se sentaient liés dans une lutte collective contre les éléments de déstabilisation. Cinq mille personnes étaient alors venues de Bamako et de différentes villes. J'étais fascinée par la résistance et la foi de ce peuple. Voilà le contexte dans lequel auront lieu les Rencontres de Bamako. La biennale va montrer que la vie continue, que les efforts pour développer la société se poursuivent. Au Mali on considère vraiment la culture comme un outil de développement.

Portait of a Decade : Zimbabwe 1999-2009: une vidéo de 12 minutes de Lucia Nhamo, qui fait partie des oeuvres présentées aux Rencontres de Bamako, du 31 octobre au 31 décembre 2015. Crédits : Lucia Nhamo

Lire aussi : Les Rencontres de Bamako veulent remonter le temps

 

Pourtant la culture n'est guère prise en considération dans la majorité des pays africains.

Oui, en général la culture est brandie juste pour la forme. Mais ici, c'est une réalité. C'est très visible, que ce soit dans le domaine du textile, de la musique, de la danse, de la littérature.

" Les photographes sont les griots d'aujourd'hui, qui racontent le présent, le passé et imaginent le futur ". Bisi Silva

Lorsque vous aviez été co-commissaire en 2009 de la Biennale de Thessalonique, en Grèce, vous aviez choisi pour titre " L'art au temps de l'incertitude ". Un parti pris qu'on lit en creux dans le thème des Rencontres, " Telling time "...

Je n'ai pas voulu faire ce type de connexion que je trouve peu approprié dans le contexte malien. J'ai beaucoup lu sur l'histoire de l'oralité au Mali, j'aime l'idée de raconter l' histoire d'un pays par le biais des griots. Les photographes sont les griots d'aujourd'hui, qui racontent le présent, le passé et imaginent le futur. Nous avons connu récemment une révolution au Burkina Faso, l'épidémie d'Ebola, le mouvement " Black lives matter " en Amérique... Laissons les artistes parler des choses par leur travail.

Quelle a été votre méthodologie ?

La plateforme panafricaine fonctionne comme toujours par un appel à candidatures. Cette année, nous avons reçu près de 900 candidatures, le double des années précédentes. Cela prouve le désir et la confiance des photographes.

Un focus sur l'Algérie

Quelles sont les découvertes que promet cette plateforme ?

Ce qui m'excite, c'est la participation algérienne. La photographie est encore émergente en Algérie. On connaît bien sûr le travail de Zineb Sedira et de Kader Attia, mais beaucoup moins celui d'autres artistes. Il y aura par ailleurs un focus Algérie avec des projections d'images, dans le cadre d'un atelier animé par le photographe Bruno Boudjelal.

Les artistes africains ne se connaissent souvent pas les uns les autres. Comment l'expliquez-vous ?

Le problème tient à la mobilité. Le prix d'un billet de Lagos à Bamako est de 800 euros. Lorsque j'ai fait un projet au Mozambique, le billet d'avion le moins cher était de 700 dollars. Cela ne permet pas de bouger. Le développement des réseaux routiers est récent. On peut aller de Lagos à Bamako en voiture pour 60 euros. Mais ça prend un jour entier. L'autre raison de cette méconnaissance était liée au manque de connexion Internet. Là aussi, les choses ont changé. Les gens discutent désormais via les réseaux sociaux. Il existe enfin des bourses pour voyager. Il y a de moins en moins de raisons de s'ignorer.

Le nostalgique, une oeuvre du marocain Youssef Lahrichi, 2014 Crédits : Youssef Lahrichi

Vous avez prévu au sein des Rencontres une exposition de photos d'artistes professionnels et d'amateurs baptisée " 1384 days wide ", un chiffre qui correspond au nombre de jours entre le début de la crise malienne le 16 juin 2012, et le 30 octobre 2015, date du coup de d'envoi de la Biennale. L'idée est-elle de montrer la descente aux enfers et la résilience ?

 

La plateforme africaine ne montre que 39 artistes. Nous voulions élargir la conversation. La question n'est pas de parler de la guerre mais de la vie quotidienne. On peut aussi bien traiter de la mort d'un proche ou d'un étranger que de gens qui nagent dans une rivière, des gestes simples dont ne se saisissent pas les médias. Il y aura aussi bien des amateurs que des professionnels, des Africains que des gens d'ailleurs. Ce sera présenté chronologiquement comme une mosaïque d'images format carte postale. On veut montrer qu'au milieu des turbulences, le train-train continue.

Vous avez réduit le nombre de sites pour les expositions. La saveur de la manifestation change forcément car il n'est plus possible de circuler comme avant dans la ville...

Nous avons quatre lieux, deux de moins qu'en 2011. Mais on disposera d'autant d'espace car il y aura une structure temporaire dans le jardin du musée national. Bien sûr, on ne se promènera pas comme avant, mais ça fait partie de l'air du temps. On ne peut pas penser aux Rencontres telles qu'elles existaient il y a quelques années. La situation a changé. Il faut tenir compte ce qui est possible. On ne pourra pas se déployer dans toute la ville, mais en même temps on a lancé le projet Studio Mali. Nous allons nous plonger dans les archives d'une dizaine de studios pour en tirer des images qui seront imprimées et accrochées dans l'espace public. C'est très important de s'adresser au public local. Le programme avec les écoles s'est intensifié cette année. On va accueillir 100 écoles, 10 000 élèves. On veut que les familles se sentent partie prenante, que pendant trois mois il y ait un travail d'alphabétisation visuelle.

Le Temps Ebola (2014), une oeuvre de Bakary Emmanuel Daou qui sera présente aux 10e rencontres de Bamako, du 31 octobre au 31 décembre 2015. Crédits : Bakary Emmanuel Daou

Vous dites qu'on ne peut pas penser aux Rencontres telles qu'elles étaient dans le passé. Mais l'exposition anniversaire ne revêt-elle pas un parfum nostalgique ?

 

C'est important de montrer le chemin parcouru. Beaucoup de gens n'ont commencé à venir à Bamako qu'à partir de la troisième année. Je n'avais jamais vu le catalogue de la première édition. J'ai envie de savoir qui étaient les artistes alors exposés. Sans doute y a-t-il un peu de nostalgie, mais c'est aussi ce qui nous permet de relancer la biennale. On peut se souvenir, mais aussi repenser l'avenir des Rencontres.



Source : www.lemonde.fr


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