Un garçon drague une fille. Ils ont la vingtaine. Il lui demande si elle est plutôt "Tupac ou Biggie ?" Réponse (apparemment bonne aux yeux du jeune homme) : "Biggie." Puis c'est : "Tu connais le Wu-Tang ? Wu-Tang ou Eminem ? Plutôt Jay-Z ou Nas ?" Dans ce couple frémissant, le bon goût s'exprime, pour qui n'aurait reconnu aucun de ces noms propres, dans le registre du rap américain. Brooklyn, premier long métrage du Français Pascal Tessaud, se déroule à Saint-Denis, mais chaque élément de la vie quotidienne de ses héros banlieusards est innervé d'une fascination, d'un désir pour l'Amérique. Brooklyn est le nom de scène d'une jeune femme qui débarque de Suisse, atterrit dans la région parisienne, loge chez une vieille dame qui lui fait un rabais sur le loyer en échange de quelques tâches ménagères. Elle rêve de faire du rap, a connu quelques échecs et tomates pourries, mais se retrouve à côtoyer une association qui aide les jeunes à faire de la musique - avec à la clé l'enregistrement d'une compile.

Financé via une campagne de crowdfunding et filmé avec un appareil photo numérique, Brooklyn est un film évidemment aimable, sympathique tant il va à rebours des clichés nauséabonds qui affleurent un peu partout dès qu'est prononcé le mot "banlieue". Tessaud veut bien faire, montrer que dans ces territoires, tellement pointés du doigt qu'ils en sont oubliés, nombreuses sont les personnalités qui ne demandent qu'à s'exprimer.

Le problème du film est qu'à vouloir à tout prix éviter les clichés, il s'embourbe un peu dans ses maladresses, dans une candeur pas forcément d'actualité. Les personnages sont filmés de très près, dans une approche quasi documentaire, alors que la diversité (géographique, personnelle, émotionnelle) de ses héros mériterait un cinéma plus ambitieux. Mais l'envolée qui manque à la mise en scène est incarnée avec beauté par Brooklyn elle-même, l'actrice KT Gorique, métisse sicilo-ivoirienne qui a grandi en Suisse et qui surplombe l'ensemble avec une grâce rare.