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Ces acteurs français condamnés à réussir à l'étranger

  Société, #

Comme Julie Delpy, comédienne et réalisatrice de l'excellent film La Comtesse, certains artistes français ont fui leur pays, victimes d'un état d'esprit étroit et conservateur. Ils travaillent aujourd'hui à l'étranger, où ils exercent plus sereinement leur métier. Enquête et portraits.

Ils sont passés par ici, ils resteront là-bas. Ce n'est pas encore l'armée des Indes, mais les artistes français qui préfèrent aller travailler à l'étranger, plutôt que d'attendre, chez eux, d'hypothétiques propositions, sont en passe de créer une tendance. Parmi ces expatriés transformés en francs-tireurs: Julie Delpy, qui vient de réaliser (et d'écrire, et d'interpréter, ouf!) son troisième et excellent film, La Comtesse. Maltraitée par le gotha du cinéma tricolore, elle s'exile aux Etats-Unis dans les années 1990, y exerce son métier, en apprend d'autres, et revient aujourd'hui, pleine d'assurance et de talent. A ses côtés, si l'on peut dire, Saïd Taghmaoui, Issac de Bakolé ou Eriq Ebouaney, trois autres acteurs-voyageurs. On est content pour eux. Pourtant, il n'y a pas de quoi se réjouir.

Si le cinéma français bénéficie d'un système d'aides unique au monde, il crève de frilosité et de conservatisme. Sauf exception, ce sont toujours les mêmes vedettes qui se partagent le haut de l'affiche, pour des sujets peu ou prou similaires. "La France ne manque pas de talents, mais de décideurs audacieux", se plaint cette directrice de casting. "Un projet sans nom connu sera rejeté par toutes les télés", assure ce producteur. Le septième art français ne voit pas plus loin que le bout de son nez, mais pour ce qui est de renvoyer la patate chaude, il est champion du monde.

Les artistes dont il est question ici ne veulent pas devenir des stars. Ils veulent juste bosser. Sans forcément se plier aux mondanités d'usage, nécessaires pour être remarqué. "La futilité est le propre du métier", rétorque pourtant Bertrand de Labbey, patron de l'agence artistique Artmédia. Admettons. Mais quid de l'artiste docile, mais noir? Ou arabe? Roshdy Zem ou Jamel Debbouze cachent bel et bien une forêt déboisée. En règle générale, l'acteur "issu d'une minorité" est, au pire, placé sur le côté de l'écran, au mieux habillé dans le costard d'un troisième rôle. Pour la tête d'affiche, il va encore falloir attendre un changement des mentalités. Autour de la saint Glinglin. "Je crains que cela ne soit vrai, confirme Bertrand de Labbey. La seule solution serait d'établir, comme aux Etats-Unis, des quotas."

Certains vont donc voir ailleurs. Et souvent aux Etats-Unis. Où l'herbe n'est pas plus verte, mais plus facile à fouler. Parce que l'intégration n'y est plus un débat mais une réalité. Parce que la curiosité n'y est pas un vilain défaut mais une compétence professionnelle. "La culture anglo-saxonne mise sur l'avenir plutôt que sur le patrimoine, explique la comédienne Nitsa Benchetrit, qui a créé sa maison de production à Londres. Ensuite, évidemment, il faut faire ses preuves." Comme partout. Ces quatre-là les ont faites. Seuls les professionnels français ne l'ont pas remarqué.

 

SAÏD TAGHMAOUi, acteur, 36 ans

Il est né arabe, fallait pas. Son père trimait sur les chantiers, sa mère élevait dix gosses à l'ombre des barres grises de la cité des 3 000, en banlieue parisienne. Ça non plus, fallait pas. Beur, fauché et zonard, c'est beaucoup pour un petit gars qui veut faire du cinéma. Pourtant, quand La Haine sort en 1995, la France crie au film culte, et Saïd Taghmaoui écope d'une nomination aux Césars, catégorie espoir. Puis après, rien, ou pas loin. Il serait vert avec des antennes sur la tête, ce serait pareil. Tu parles d'un espoir. "On ne me proposait que des caricatures d'Arabes et les seuls projets intéressants dans lesquels j'étais impliqué se sont faits sans moi. J'ai compris que l'égalité des chances n'existait pas en France quand on est basané et étranger."

Lui, il veut être acteur, pas arabe. Il lui prend des envies d'ailleurs. Tourne en Allemagne, en Italie, au Maroc, mais se sent comme un taulard en conditionnelle. Il dit que l'Amérique n'a jamais été un rêve, juste une solution pour retrouver sa dignité, réapprendre à s'aimer. Mark Wahlberg, qu'il rencontre sur le plateau des Rois du désert, lui ouvre la porte de tous les possibles en 1998. Entre parias, ils se comprennent. "On vient tous les deux d'un ghetto, on a vécu des choses difficiles. Il m'a pris sous son aile, m'a hébergé, m'a emmené partout." C'est ainsi qu'il se retrouve dans , L'Homme de la Riviera,J'adore Huckabees ou la série Lost. "En Amérique, ce qui compte, c'est la discipline et la compétence. Ils ne font pas de sentiments là-bas, ils te demandent juste d'être bon et d'avoir du succès."

Il avoue, l'ironie endolorie, que c'est aux Etats-Unis qu'il s'est senti pleinement français pour la première fois. Il vit toujours chez Mark Wahlberg, son ami, son frère. Il n'a pas de bagnole de luxe, pas de château, seulement une petite maison au Maroc et une autre en France qu'il a achetée pour sa mère. Le réprouvé est devenu un fils prodigue, le reste n'est que poussière du temps.

ISAACH DE BANCHOLÉ, acteur, 52 ans

Quand il était petit, Isaach de Bankolé était déjà noir. Une faute de goût apparemment. Meilleur espoir masculin grâce à Black Mic-Mac, en 1987, il ne décroche que quelques rôles dans les années qui suivent: "J'étais cantonné dans le rôle de l'Africain. J'étais comme une plante qu'on n'arrose plus, j'avais l'impression de mourir." Arrive Jim Jarmusch, autrement dit Dieu. Claire Denis a été son assistante sur Down by Law. Il passe la voir alors qu'elle est en montage de Chocolat avec, ça tombe bien, Isaach de Bankolé. Jarmusch découvre un formidable acteur, il le veut, là, tout de suite, dans son prochain film, Une nuit sur terre. "Je suis allé en vacances à New York, j'ai passé l'audition et Jim m'a dit qu'il me donnait le rôle destiné à Depardieu", dixit de Bankolé, pas peu fier.

De retour en France, il s'étiole un peu plus, ressasse des fantasmes d'exil. "Je me disais que j'aurais plus de chance n'importe où ailleurs qu'en France. Il fallait que je m'en aille. Si je suis parti vivre à New York en 1997, c'est parce que j'étais amoureux, ça aide." Là-dessus Dieu, toujours Jim Jarmusch en fait, lui offre de jouer le pote de Forest Whitaker dans Ghost Dog. La voie du samouraï. Suivent Coffee and Cigarettes, The Limits of Control. Pas de doute, c'est l'Amérique. Isaach apprend à parler l'anglais avec l'accent de là-bas, passe des castings, se dégote un agent, atterrit dans Les Soprano, devant la caméra de Lars von Trier, de James Ivory, de Michael Mann et de Martin Campbell. "Engager un Noir reste un risque, même pour les Américains. On vit dans un monde de Blancs, mais, aux Etats-Unis, ils aiment relever des défis, contrairement à la France." Il martèle qu'il irait au bout du monde pour garder l'excitation de jouer, concède que c'était comique d'avoir la Légion d'honneur en 2007, que sa vie est à New York maintenant. Parce que là, il n'est ni noir ni français. Seulement un acteur. Vivant.

JULIE DELPY, actrice-réalisatrice, 40 ans

Vu de l'extérieur, tout va bien. A 14 ans, la (jeune) comédienne travaille avec Jean-Luc Godard dans Détective, à 16, avec Leos Carax dans Mauvais Sang, à 17, avec Bertrand Tavernier dans La Passion Béatrice. Vu de l'intérieur... "Ce furent des expériences difficiles", résume poliment l'intéressée. Fille de comédiens reconnus mais discrets (Marie Pillet et Albert Delpy), Julie Delpy ne "se sent pas à l'aise dans le milieu. Un peu rejetée même". Et pour cause! Candide, elle croit pouvoir gérer sa carrière comme elle l'entend et refuse "un énorme projet" qui lui déplaît. "Le producteur, important, m'a promis de détruire ma carrière. Et je l'ai cru."

Effrayée et dégoûtée, elle part à New York en 1992, s'inscrit à l'université et apprend à se servir d'une caméra et d'une table de montage. Puis s'installe à Los Angeles, où elle se fait refouler du casting de Jurassic Park, mais tourne dans Killing Zoé, produit par Quentin Tarantino. "Etre comédienne n'est pas plus cool à Hollywood qu'à Paris, mais l'ambiance est moins insidieuse", constate l'actrice. C'est le royaume du parler-franc. Les managers lui conseillent au mieux la chirurgie plastique (un 95 C, par exemple), au pire d'approcher de très, très près tel ou tel producteur. Loin d'être offusquée, elle en sourit, définitivement débarrassée de ses illusions et décidée à mener sa barque en écrivant.

Elle gagne sa vie entre petits films et une saison dans Urgences. Dix ans après Before Sunrise, joli succès indépendant de 1994, elle coécrit la suite, Before Sunset, avec son ami Ethan Hawke. "Mon agent me disait que je perdais mon temps", se souvient-elle. Une nomination aux Oscars plus tard, le regard change. Pas elle. Résolue à passer derrière la caméra, elle signe, après Looking for Jimmy, resté confidentiel, Two Days in Paris (2007), carton critique et public. Notamment... en France. Le landerneau se rappelle à elle. Ni amère ni revancharde, elle s'en fiche. Et en rit. "J'en ai tellement pris plein la gueule que tout cela me passe désormais au-dessus des oreilles." Elle a d'autres chats à fouetter: la sortie de La Comtesse, le tournage, en juin, de Skylab, une comédie familiale située en Bretagne en 1979, et la préparation de Two Days in New York. A lot of work, donc.

ERIQ EBOUANEY, acteur, 42 ans

Pour l'heure, il est au Gabon où il joue dans Le Lion de Pubara, de Henri Joseph Koumba Bididi, au côté d'Hélène de Fougerolles. Avant, il était au Canada avec Tim Roth pour Darkness Visible, de Damian Pettigrew. Cet été, il sera en Namibie pour une production anglaise. Voilà dix ans qu'Eriq Ebouaney se balade à travers le monde, répondant aux demandes de Ridley Scott, de Park Chan-wook et des autres. "Je suis souvent à l'étranger, explique l'acteur, pourtant domicilié en France avec femme et enfants. Comme le boulanger doit faire son pain, je vais là où le devoir m'appelle."

Et tout cela grâce à deux films sortis en 2001: Lumumba, de Raoul Peck, dont il tenait le rôle-titre, et Femme fatale, de Brian De Palma. "Les réalisateurs étaient curieux de savoir d'où je sortais", se souvient cet ancien responsable d'import-export, devenu acteur en 1996. Quand il est en France, il court les cocktails, les festivals, les fêtes. Il y a pris le parti de s'amuser plutôt que de décrocher des rôles. "Tous les metteurs en scène français me félicitent, mais quand je leur parle de leur prochain scénario, ils sont désolés de ne pas avoir de personnage black dedans." Il ne leur en veut pas. Met cela sur le dos de décideurs financiers "incapables de voir l'évolution de la société". Demeure persuadé qu'"une nouvelle génération sera présente sur les écrans dans une dizaine d'années".

En attendant, il se heurte à la bêtise ambiante. Malgré trois films sortis en rafale (, avec John Malkovich, Le temps de la kermesse est terminé, avec Stéphane Guillon, Lignes de front, avec Jalil Lespert), pas un coup de fil pour une interview. "Une attachée de presse était persuadée que j'étais sud-africain et l'avait même écrit dans le dossier de presse!" Il est des barrières plus dures à supprimer qu'une frontière.



Source : www.lexpress.fr


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Charlie
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