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Christine Salem, la frondeuse du maloya

  Musique, #

Quand elle débarque, la silhouette élancée, le regard mutin et la moue rebelle, on ne peut s'empêcher d'y penser : avec sa coupe afro parfaitement dessinée, boule impressionnante qui rehausse un visage fin et élégant, Christine Salem convoque aussitôt le souvenir d'Angela Davis. Et qu'on ne s'y trompe pas, il s'agit bel et bien d'afficher une affirmation de soi pour la chanteuse réunionnaise. Point de coquetterie ou d'effet de mode derrière ce look. Comme en témoigne son nouvel album tout juste sorti, la " kafrine " née un 20 décembre, date de l'abolition de l'esclavage à la Réunion, a soif d'émancipation. Autodidacte, elle a toujours aimé vivre sa musique comme elle l'entend, interpelant ainsi des musiciens parfois trop férus de technique à son goût : "On ne retourne pas là-bas, on reste ici." Larg pa lo kor respecte particulièrement cet " ici ". C'est l'album désiré, voulu ainsi, un opus charnière dans la carrière de celle qui, en quinze ans, s'est imposée comme une des grandes voix féminines du maloya.

Exploratrice et militante de son identité réunionnaise, Christine Salem cultive avec passion ce blues des anciens esclaves de la Réunion longtemps interdit, et qui honore les ancêtres. Elle a conjugué à sa manière, au fil de cinq albums et aux côtés du producteur Philippe Conrath, cette musique traditionnelle, à la fois rituelle, festive et politique, classée depuis 2009 au Patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'Unesco. En créant Salem Tradition en 1997, groupe acoustique de maloya, puis, en son nom, avec deux autres albums qui ont vu le jour. "Bien des gens m'ont dit quand j'ai commencé : mais Christine, si tu fais du maloya, tu vas rester à la Réunion, ce n'est pas une musique exportable, se souvient-elle. Pourquoi jugent-ils ainsi ? Alors j'ai pris ça comme un défi, et aujourd'hui, je peux leur dire : tiens, voilà !" Ce " tiens, voilà ! " balancé au nez et à la barbe de ses détracteurs, c'est sa décoration en 2011 au grade de l'ordre de Chevalier des Arts et des Lettres, mais aussi son succès qui accompagne ses tournées internationales et sa reconnaissance aux Etats-Unis qui lui vaut des articles élogieux dans le New York Times. Fière d'avoir fait voyager et honoré la musique de ses ancêtres, elle assure : "J'aime les musiques traditionnelles en général, pas seulement le maloya. En fait c'est une base qui permet justement de faire évoluer la musique et d'y mettre sa personnalité à soi. J'ai fait ce que j'avais à faire, accompli ma mission et bien maintenant, je fais ce que je veux."

©N'Krumah Lawson Daku

Du maloya au blues américain, les mêmes racines, une même histoire

A la recherche de ses racines métisses et noires, Christine Salem a beaucoup voyagé, du côté de l'Océan Indien, aux Comores, à Madagascar, au Mozambique. Au gré de ses tournées internationales, elle a fait des rencontres, partagé des expériences musicales, noué des amitiés. Du côté de l'Amérique, avec le groupe franco-américain Moriarty. C'est là, outre-Atlantique, que ce nouvel album semble puiser sa source.

Dès les premières notes d'harmonica qui ouvrent l'album, nous voilà propulsés vers la Louisiane. "J'ai toujours été autant fan du blues américain que du maloya, confie-t-elle. Notre musique a la même histoire, les mêmes racines. Je voulais réunir les deux." Avec grâce, la rencontre a lieu sur Larg pa lo kor. Le guitariste Seb Martel, connaissance de Moriarty, a réalisé l'album. Un complice de chaque instant pour Christine Salem, qui l'a voulu plus harmonique que rythmique, démarche inédite dans le maloya : "J'ai toujours composé à la guitare, puis je réadaptais à la percussion, explique-t-elle. Pour cet album-là, je me suis dit que j'allais laisser les choses telles quelles." A l'arrivée, c'est un album très attachant, tantôt mélancolique avec ce Mama don't give up, complainte envoûtante, qui aborde la difficile condition féminine d'aujourd'hui, ou avec Lab, magnifique poème sur l'amour chanté en duo avec Rosemary Standley de Moriarty. Tantôt enlevé avec Malangé, un titre célébrant le multiculturalisme des racines réunionnaises, ou avec Mandéla, un hommage au leader sud-africain, symbole de liberté mais surtout de paix. "Pendant des années j'avais la rage, reconnaît la chanteuse, la haine d'entendre parler de " mes ancêtres les Gaulois " à l'école, alors que mes ancêtres étaient esclaves. Puis j'ai compris que rester dans la colère ne mène à rien, il vaut mieux communiquer. Mandela a réussi à le faire, en cela, il est génial." Avec Larg pa lo kor (traduisez " Ne lâchez rien "), la voix grave et puissante de Christine Salem, comme sortie de terre, porte ce message d'espoir d'un monde meilleur envers et contre tout. "Les décideurs politiques font n'importe quoi, s'inquiète-t-elle, on est confronté chaque jour aux attentats, on subit. Mais il ne faut pas lâcher. Ceux qui ne vont pas voter ont tort, comme je dis en créole " voté zordi i vo lor " (voter aujourd'hui vaut de l'or). Il faut qu'on prenne conscience qu'on a ce pouvoir là. Même si on a l'impression qu'on parle et que personne n'écoute, il y a toujours une oreille quelque part, toujours un retour." Nous, on vote pour Larg pa lo kor et on l'écoute en boucle.


Larg pa lo kor de Christine Salem, Zamora Label/Autre Distribution

En concert le samedi 6 février à l'Alhambra dans le cadre du Festival Au fil des voix

Jusqu'au lundi 15 février, le Festival Au fil des voix accueillera également, à l'Alhambra et au Studio de l'Ermitage, Las Hermanas Caronni, A Filetta, Alma de Tango, Titi Robin & Mehdi Nassouli, Daniel Mille, Sainkho Namtchylak, Sahra Halgan Trio et bien d'autres encore. Une programmation, pour cette 9e édition, fidèle à la philosophie du festival, autant dédiée aux découvertes qu'aux têtes d'affiche, brassant tous les sons du monde, du jazz, aux polyphonies corses et italiennes en passant par le tango et le blues.

Vue par...N'Krumah Lawson Daku



Source : Marianne


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Daya
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