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Cinéma : la " blaxploitation " à la sud-africaine

  Culture & Loisirs, #

Dans les années 1970, le courant alternatif de la " blaxploitation " avait permis de donner le beau rôle et de beaux rôles à la communauté afro-américaine : Shaft, Sweet Sweetback's Baadasssss Song, Blacula... Tous les genres, films policiers, westerns, cinéma d'horreur ou péplums, ont été réinvestis par ces productions reflétant les aspirations, la vie ou les codes d'une communauté jusque-là quasiment invisible dans les productions hollywoodiennes. Or, au même moment en Afrique du Sud, en plein apartheid, des films étaient également réalisés à destination d'une audience noire, mais dans des conditions plus complexes, vient rappeler le Guardian.

En juillet 2014, Tonie van der Merwe, 74 ans, était récompensé parmi quatre " héros et légendes " du cinéma national lors du festival de cinéma de Durban. Une reconnaissance tardive et inattendue pour ce cinéaste afrikaner. Car, contrairement aux films de la " blaxploitation " américains, qui ont marqué une émancipation artistique et sociale de la communauté afro-américaine - même si, le plus souvent, la production était assurée par des Blancs -, les films à destination de la majorité noire d'Afrique du Sud sous l'apartheid étaient sous le contrôle total des Blancs.

Joe Bullet, à mi-chemin entre John Shaft et James Bond

Toute l'ambiguïté, voire le cynisme, de ces films de genre, voués au pur divertissement, reposait sur l'intervention de l'Etat qui subventionnait ces fictions encourageant la population noire à accepter l'ordre établi. A la fin d'un film de Van der Merwe, son acteur fétiche, Popo Gumede, se tournait vers la caméra et déclarait : " Toute cette violence aurait pu être évitée si nous avions pris le temps de nous asseoir pour en discuter ", cite le Guardian. Malgré tout, ces films ont contribué à bâtir une industrie du film " noir ", et formé ou inspiré une génération de cinéastes.

Comment cet entrepreneur spécialisé dans le bâtiment en est-il venu à la " blaxploitation " maison ? C'est sur un chantier, à 30 ans, que Tonie van der Merwe a rencontré deux frères cinéastes, Louis et Elmo de Witt. Or, il avait déjà observé le succès des films de la " blaxploitation " qu'il diffusait le samedi soir à ses 200 ouvriers, et y avait vu une opportunité financière évidente. " J'ai donc tout financé. Nous utilisions le matériel de mon entreprise : mes pelleteuses, mon avion, mes voitures ",confie-t-il au Guardian.

Cela a donné Joe Bullet, l'un des premiers films sud-africains au casting 100 % noir, sorti en 1972. Un film produit par lui, et réalisé par Louis de Witt. A l'affiche : Ken Gampu, qui fera par la suite carrière à Hollywood, dans un rôle-titre de justicier luttant contre la corruption dans le monde du football, à mi-chemin entre John Shaft et James Bond.

Un succès immédiat, mais de très courte durée, puisque le film fut censuré par le gouvernement au bout de quelques jours à cause de ce personnage trop libre. " A cette époque, un homme noir avec un pistolet était quelque chose de tabou ", expliquait, il y a quelques mois, le réalisateur au New York Times. Après 18 mois de travail, ce fut un désastre financier pour Van der Merwe.

 

Premier film en zoulou

Ne baissant pas pour autant les bras, il réussit à convaincre le gouvernement, avec d'autres, de créer un financement pour les films " noirs " auxquels l'Etat n'aurait rien à redire. Au total, pendant près de vingt ans, il a eu la main sur près de 400 films, à un rythme effréné, parmi les quelque 1 600 films sortis, réalisés par une vingtaine de cinéastes.

L'investissement se révéla excellent pour celui qui fut complice d'un système sans être un idéologue. A défaut de vouloir changer son pays, il a néanmoins " montré les Noirs comme de vrais être humains, avec des vies intérieures ", avait déclaré Peter Machen, le directeur du festival de cinéma de Durban l'été dernier. Et si ses fictions de genre ne s'aventuraient jamais dans le champ social, il défend avoir toujours eu une " exigence de qualité " dans ses scripts comme dans le filmage.

Coup aussi opportuniste qu'à haute valeur symbolique : l'homme d'affaire a également produit le tout premier film en langue zoulou ( Ngomopho, soit traces noires), langue qu'il ne parlait pas lui-même - il invita d'ailleurs le roi zoulou, Goodwill Zwelithini, à la première du film, en 1975. Il en fera de nombreux autres, comme le western Umbango (la dispute), en 1986, film qu'il considère comme son meilleur.

 

Van der Merwe rappelle que faire un film à destination du public noir signifiait aussi assurer les projections : des camions équipés de matériel de projection sillonnaient le pays jusque dans les townships les plus reculés, où beaucoup ont découvert le cinéma par ce biais semi-artisanal.

 

Episode un peu honteux

En 1989, deux ans avant la fin de l'apartheid, les subventions cessèrent, mettant fin à cette aventure paradoxale. Van der Merwe se reconvertit dans l'hôtellerie. Puis, avec le changement de régime, cet épisode un peu honteux tomba dans l'oubli. Jusqu'à ce que l'ex-producteur contacte Gravel Road, une société de production de Cape Town, pour un projet de comédie musicale. Quand son dirigeant, Benjamin Cowley, apprit qu'il possédait toujours les boîtes de pellicule de tous ses films, il lui proposa de les numériser, créant même au passage une structure dédiée, Retro Afrika Bioscope. En juillet 2014, Joe Bullet ressortait ainsi dans une version restaurée à l'occasion du festival de Durban, et son auteur était donc, pour la première fois, récompensé pour son œuvre.

Quelques mois plus tôt, cinq autres de ses films, documents-curiosités d'une époque, ont pu être diffusés à la télévision sud-africaine. Joe Bullet a été projeté au cours de l'hiver à travers les Etats-Unis, en commençant par le MoMA en novembre, puis il a été projeté au festival de Carthage, en Tunisie, en décembre, avant d'être programmé à Berlin, avec Umbango, lors de la Berlinale, en février. Aucune projection n'est encore prévue en France.



Source : www.lemonde.fr


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