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Danse : Germaine Acogny dialogue avec ses ancêtres

  Culture & Loisirs, #

Elle fut la " fille noire spirituelle " de Maurice Béjart. Une de ses grandes étoiles et directrice durant six ans de son école Mudra Afrique, fondée avec Léopold Sédar Senghor. L'an dernier, elle rendait hommage à ce grand chorégraphe en dansant sur Le Sacre du printemps d'Igor Stravinsky, dans un solo conçu par Olivier Dubois, directeur du Ballet du Nord. Avec À un endroit du début, présenté pour la première fois en France à la Ferme du Buisson (Noisiel) fin janvier 2016 dans le cadre du festival Je danse le Moa, Germaine Acogny poursuit sa danse de la rencontre. Du dialogue Orient-Occident.

Elle creuse aussi son rapport à sa propre histoire, déjà esquissée dans Songook Yaakaar - " affronter l'espoir " - (2010), où elle verbalisait pour la première fois des sujets qui traversent sa danse depuis plus de 35 ans : la condition de la femme, la représentation de l'Afrique dans les médias internationaux, le racisme. Mis en scène par le Franco-Allemand Mikaël Serre, son dernier spectacle est aussi un retour aux origines. Les siennes, et celles d'un Sénégal aux mythes aujourd'hui en passe d'être folklorisés. Dont, selon Mikaël Serre, " on ne sait pas s'ils résisteront à une modernité imprégnée de relents colonialistes ".

Tragédie familiale

Assise sur le sol, devant un livre ouvert et une bougie, Germaine Acogny ouvre son solo par des mots. À 70 ans, celle qui est considérée comme la fondatrice de la danse contemporaine en Afrique considère que le temps de la parole est venu. Sans pour autant renoncer à celui du corps. Aussi douce qu'imposante, la chorégraphe se présente en conteuse pour mieux faire advenir le geste. Son langage très personnel, forgé au fil de ses expériences entre le Sénégal et la France. Dans le reste du monde aussi, où elle s'est produite aux côtés de Maurice Béjart puis seule. Avec ses nombreux solos qu'elle a elle-même chorégraphiés.

" Je suis la mère de mon père ", dit-elle dans un souffle. Commence alors un récit fragmentaire, centré sur deux figures du passé : son père Togoun Servais Acogny, haut fonctionnaire auprès des Nations unies, et sa grand-mère Aloopho, prêtresse Yoruba du Dahomey. Projetées sur le mur, des citations d'un livre autobiographique du père - jamais publié, contrairement aux Récits d'Aloopho, parus chez Edicef en 1985, dont Germaine Acogny utilise aussi des passages - accompagnent les phrases prononcées par la danseuse. Et ses gestes d'abord lents, comme englués dans un mauvais rêve, puis de plus en plus rapides, jusqu'à une forme de transe. Une catharsis des douleurs provoquées par la conversion de son père au catholicisme, et par le choix de son premier mari de prendre une seconde épouse.

Une intime négritude

" Quand Mikaël m'a fait lire un passage de Médée, la modernité et les résonances de cette tragédie avec la situation de la femme sénégalaise - de la femme en général, d'ailleurs - m'ont frappée. J'ai eu envie de mêler mon histoire à celle de cette héroïne antique ", explique Germaine Acogny. À un endroit du début n'est donc pas seulement à la croisée des cultures : il est au carrefour des époques, expression d'un féminin universel opprimé mais en lutte. Germaine Acogny considère cependant ce solo comme étant moins engagé politiquement que la plupart de ses spectacles antérieurs. " Cette chorégraphie a d'abord été pour moi une manière d'avoir avec mon père la discussion que nous n'avons jamais pu avoir de son vivant. J'ai réussi à le pardonner. " Mikaël Serre ne partage pas tout à fait cette vision de l'intime. Pour lui, le " je " est le lieu par excellence du politique. De la révolution. " Chez Germaine, le travail de mémoire pose des questions qui la dépassent de loin. La rupture de transmission générationnelle provoquée par la conversion de son père au catholicisme a concerné toute une génération. Celle de Senghor, dont la pensée est encore très vive au Sénégal, chez Germaine en particulier ".

Cette dernière reconnaît en effet porter la trace de la négritude, tout en précisant la nécessaire évolution de ce mouvement politique et culturel fondé avec Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas durant l'entre-deux-guerres. " En tant que revendication d'un être unique et ouvert aux autres, la Négritude doit être sans cesse remise en mouvement, repensée. Ma négritude est tout sauf figée " affirme la chorégraphe. Sa collaboration avec Mikaël Serre et d'autres artistes occidentaux témoigne de ce désir d'ouverture. D'une poétique de la relation fondée sur le donner et le recevoir, que Germaine Acogny pratique aussi dans son École des Sables, fondée en 1998 à Toubab Dialaw, près de Dakar, en invitant des artistes étrangers à un échange de connaissances avec ses élèves.

Mythes d'ici et d'ailleurs

À un endroit du début porte les traces d'un tel échange. Les vidéos qui accompagnent la danse puissante de Germaine Acogny, par exemple, témoignent du partage entre la danseuse et le metteur en scène. Tournés au Sénégal, à l'occasion du voyage qu'y a fait Mikaël Serre avec Germaine, et en France pendant la résidence des deux artistes à la Ferme du Buisson, ces films rappellent l'esthétique documentaire de Songook Yaakaar mettent en parallèle, selon les termes de Mikaël Serre, " des traditions africaines en voie de folklorisation, ou menacées par ce phénomène, et la consommation de masse qui, selon Pasolini, a remplacé les mythes occidentaux ".

Les images d'un rituel sénégalais entre coépouses côtoient alors des scènes prises à Disneyland Paris. Des photos de familles françaises succèdent à celles des ancêtres de Germaines Acogny. Un relativisme par l'image que Mikaël Serre a mis en place afin de formaliser la question de sa légitimité à s'exprimer sur une réalité africaine qui lui était parfaitement inconnue avant À un endroit du début. " J'ai fait mienne l'idée de Levi-Strauss selon laquelle on est parfois plus proche d'un pays lointain que d'un pays culturellement proche du nôtre ". Cela en traduisant au plus proche l'histoire que Germaine Acogny lui a généreusement livrée.

REGARDEZ Germaine Acogny danser dans le spectacle À un endroit du début.



Source : Le Point Afrique


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Rina
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